samedi 27 juin 2009

kemalizm is faşizm

En évitant de sombrer dans la basique reductio ad hitlerum, on peut se demander pourquoi la Turquie - comme État ou comme régime – offre un nombre important de similitudes avec la chose politique telle qu’elle a été éprouvée en Europe lors des pages les plus sombres de son histoire. Autodafés, nuits de cristal ou lynchages, militarisme ambiant, persécution des minorités, nationalisme exacerbé : les ressemblances ne manquent pas.

Plus que de similitude, c’est de parenté dont il s’agit et on aurait tort de penser que ce ne serait le fait que d’une voie marginale, d’une tendance tardive empruntée à un moment particulier de l’histoire ou d’une frange spécifique de la société turque. Typiquement “l’extrême-droite”, les “loups gris”, le MHP ou d’autres.

Passé ce constat, il est alors peut-être temps de faire le lien entre ces épiphénomènes et leur terreau originel, c’est-à-dire la pensée de Mustafa Kemal comme héritage suprême de la Turquie contemporaine.

Mustafa Kemal aux côtés d'Afet İnan

Le nationalisme kémaliste peut se voir comme une recherche de la pureté dans l’absolu et à plusieurs niveaux.

Pureté territoriale

Tout d’abord, c’est une pureté nationale des habitants vivant sur le territoire nouvellement constitué par l’évincement des identités concurrentes.
Raul Hilberg dans ses travaux avait distingué trois phases graduelles appliquées à l’encontre de l’identité juive en Europe dont la Shoah représentait le stade ultime, la solution finale.
En reprenant l’énonciation de ces étapes, on pourrait les résumer comme suit : “tu ne peux pas vivre parmi nous comme x”, “tu ne peux pas vivre parmi nous” et enfin “tu ne peux pas vivre”. Conversion, expulsion, annihilation [1].

Ces trois processus d’exclusion des identités hétérogènes ont tous été mis en application par le nationalisme turc naissant mais sans suivre forcément cette linéarité progressive. L’une des raisons étant qu’il a été déployé à l’encontre de plusieurs communautés à des intensités différentes. La conversion ne se limite bien entendu pas à son aspect religieux, elle peut aussi toucher à l’identité culturelle et à la langue.

L’extermination, on le sait, a touché essentiellement la minorité arménienne. Plus tard, le nationalisme turc sous la forme particulière du kémalisme a poursuivi abondamment l’application des deux premières formes d’exclusion pour accomplir la pureté territoriale en Anatolie.

Cela étant, des Arméniens ont continué à être massacrés par la suite, comme à l’occasion des révoltes fomentées par les kémalistes à l’intérieur de la Cilicie française. Lors de ce qui est traditionnellement appellé “la guerre d’indépendance” en Turquie, Mustafa Kemal désigne alors “les Chrétiens” comme l’ennemi par opposition aux populations musulmanes (ou définies musulmanes) de l’Anatolie. Les Arméniens constituent donc des cibles de choix [2].

Dès la première seconde, le kémalisme a été une idéologie raciste, fondée sur l’assimilation forcée et la pureté d’un espace turc à bâtir. Et il ne saurait en être autrement car il est lui-même issu du bain nationaliste des Jeunes Turcs qui en ont énoncé les premiers contours. La nouveauté du kémalisme résidant dans l’invention d’une Turquie [Türkiye] comme espace majoritairement peuplé de Turcs, écumé des populations non-musulmanes et programmant l’assimilation des musulmans hétérogènes. Des recherches ont démontré que cette vision au sein du kémalisme n’était pas une “perversion” ou un “dévoiement” du pouvoir mais bien un modèle complètement parachevé à ses débuts [3].

Mustafa Kemal n’a pas pris part au génocide arménien car il avait été affecté sur le front des Dardanelles. C’est ce qui lui donna l’opportunité de prendre le pouvoir plus tard (car il apparaissait notamment comme quelqu’un n’étant pas mêlé aux grands procès qui ont suivi) et de continuer le projet d’homogénéisation du Lebensraum turc entamé par ses prédécesseurs.

Par la suite, cette politique sera maintenue avec les explusions massives des Grecs d’Anatolie qui dépassèrent le million d’individus.
L’Anatolie débarrassée en grande partie de ses éléments chrétiens : Grecs, Arméniens, Syro-Chaldéens,... il restait encore à s’occuper de l’uniformisation de ceux qui y étaient restés.

Pureté de la race

L’un des critères qui définit la nation selon le kémalisme est “l’unité de race et d’origine” [ırk ve menşe birliği] qui coexistent à côté d’autres unités telles que “la langue”, “les liens de sang moraux”, etc... Cette assertion peut être vérifiée le plus simplement du monde sur le site du ministère turc de la culture et du tourisme en français dans le texte.

Au cours des années 30, Mustafa Kemal s’était entouré d’un certain nombre de “penseurs” censés fournir le bric-à-brac idéologique donnant légitimité à son régime.

La théoricienne chargée de prouver le caractère exceptionnel de la race turque ne sera autre que l’une de ses filles adoptives connues sous le nom d’Afet İnan qui écrira une thèse s’appuyant sur les théories racistes de l’époque [4]. Encore aujourd’hui, beaucoup de Turcs prennent très au sérieux ces études qui s’inscrivent dans cette tendance et qui consistent notamment à mesurer des crânes [5].

Le professeur Mehmet Yaşar İşçan

Très vite, il faudra prouver que les Turcs sont un peuple aryen au même titre que les Allemands, les Italiens, etc... pour justifier leur ancrage au sein de la civilisation. En l’occurrence, on fera usage de davantage de malhonnêteté intellectuelle encore pour faire coller la réalité aux thèses chères au fascisme [6].

La jeune Turquie kémaliste était alors mûre pour voir apparaître ce que l’on a appellé la théorie de la langue du Soleil [Güneş Dil] qui stipulait doctement que la langue turque n’était rien de moins que la mère de toutes les autres : la langue originelle. Afet İnan joua une fois de plus un rôle prépondérant dans cette voie en ajoutant sa signature aux recherches allant dans ce sens à côté d’autres pointures du régime kémaliste.

Pureté linguistique

C’est précisément dans cette perspective que le Türk Dil Kurumu fut fondé. Il s’agit d'un institut créé à l’initiative de Mustafa Kemal et censé reconstituer une langue turque originelle, épurée de ses emprunts arabe, persan ou européen. Le nom de cette sorte de novlangue est éloquent puisqu’il ne s’agit rien de moins que du “turc pur” [öz türkçe] où le lexique recensé est considéré – chimériquement, il faut bien le dire – de création totalement turque. Par ailleurs, à ce jour, personne ne parle couramment le “turc pur”.

L’article 134 de l’actuelle constitution turque consacre pleinement l'Institut de la Langue turque comme institution publique aux côtés des deux autres consacrés à l’Histoire et à la Culture, pareilles initiatives de Mustafa Kemal. C’est notamment au sein de telles institutions profondément kémalistes que l’on voit apparaître des personnages tels que Yusuf Halaçoğlu, certes connu comme un négationniste de la question du génocide arménien, mais également comme l’auteur de thèses racialo-historiques. On citera au hasard “l’inexistence” des Kurdes ou bien encore la conversion des Arméniens à l’origine des Alévis [7].

Yusuf Halaçoğlu (Institut d'Histoire turque)

De cette manière, les Turcs ne sont pas présentés seulement comme un peuple différent, c’est surtout un peuple qui a conservé le caractère originel de sa langue - outre celui de sa race au-delà du métissage - ce qui amène à la dernière étape de ce cheminement nationaliste : le classement inter-racial.

Supériorité

La pureté “acquise” sur le plan “épistémologique”, le discours peut alors s’orienter sur la supériorité de la nation turque.

Lors du dixième anniversaire de la fondation de la République, Mustafa Kemal devenu Atatürk veut marquer le coup et fait composer un chant connu sous le nom d’Onuncu Yıl Marşı. Littéralement : la Marche de la Dixième Année. À ce jour, ce chant est inculqué à l’écolier turc au même titre que l’hymne national. Il s’agit en fait d’un panégyrique où il est question des Turcs dont les poitrails sont les remparts de bronze de la République et de la patrie pure dont la carte a été dessinée avec le sang [turc]. La supériorité du Turc y est entre autre affirmée de manière explicite comme suit : « Türk'üz bütün başlardan üstün olan başlarız » que l’on peut traduire par « nous sommes Turcs, les premiers d’entre les premiers » (litt. : « nous sommes Turcs, les têtes au-dessus de toutes les têtes ») [8].

À côté de cela, on trouve toute une série de citations attribuées à Mustafa Kemal qui attestent de la supériorité de la nation turque [9] :

« Je connais les nations occidentales, toutes les nations du monde. Je connais les Français, je connais personnellement les Allemands, les Russes et toutes les nations du monde. Ces rencontres, je les ai faites au front, sous le feu. Face à la mort. Je peux vous le garantir en jurant que la force morale de notre nation est plus forte que celle de tous les nations »

« La nation turque est supérieure à toutes les nations tant dans l’héroisme que le talent et la dignité »


Ceci ne se veut qu’une esquisse brève de la parenté entre le fascisme originel et le kémalisme tel qu’il a été initié, l’hérédité des systèmes totalitaires qui le concerne. On ne saurait assez écrire à ce propos et à vrai dire, il y aurait beaucoup de choses à énumérer. Hamit Bozarslan cite notamment les délégations dépéchées par Mustafa Kemal auprès de l’Italie fasciste et de l’URSS stalinienne dans une quête d’inspiration pour la fondation de son propre régime [10]. C’est sans doute l’une des meilleures illustrations mais elle est loin d’être la seule.

Il y a maintenant deux choses à signaler. Tout d’abord la neutralité de la Turquie durant la Seconde Guerre mondiale, ce qui a impliqué que ce régime se soit inscrit dans une certaine continuité sans jamais avoir pu être relativisé. Ensuite, l’intangibilité du mythe kémaliste dogmatisé au point le plus haut que l’on puisse imaginer par l’État (et plus particulièrement l’État militaire) mais aussi renforcé sans doute par ce regard appréciateur de l’Occident qui y cherche non pas une source d’inspiration mais un reflet satisfaisant.
Il est clair que l’accomplissement d’une Anatolie démocratique ne pourra se faire que par la rupture nette du kémalisme, mais aussi de tous ses symboles et références. Si l’on en croit la sagesse d’Héraclite né sur ses terres, ce processus, bien qu'urgent, s’accomplira un jour ou l'autre. En revanche, cela risque de prendre du temps.

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Notes :

[1] Raul HILBERG, La Destruction des Juifs d’Europe, Paris, Gallimard, 2006.
[2] Vahe TACHJIAN, La France en Cilicie et en Haute-Mésopotamie - aux confins de la Turquie, de la Syrie et de l’Irak (1919-1933), Paris, Éditions Karthala, 2004, p. 127 ; p. 184.
[3] Sur la constance de l’idéologie kémaliste : Vahe TACHJIAN, op. cit., pp. 184-189 ; lequel cite notamment Mardin ŞERİF, Religion and securlarism in Turkey in The Modern Middle East : A reader, édité par Albert HOURANI, Philip S. KHOURY et Mary C. WILSON, Londres, 1993, pp. 347–371.
[4] Afet İNAN, L’Anatolie, le pays de la Race Turque. Recherches sur les caractères anthropologiques des populations de la Turquie, Genève, 1939.
[5] Il en est ainsi par exemple du professeur Mehmet Yaşar İşcan, professeur d’un département de médecine à l’Université d’İstanbul qui avait révélé très naturellement la conclusion de ses recherches sur la pureté de la race turque, dite “aryenne” [ari ırk Türk] dans la revue Tempo.
[6] Bernard LEWIS, The emergence of Modern Turkey, New York, Oxford University Press, 1961, p. 360.
[7] À titre d'exemples : les spéculations de Yusuf Halaçoğlu sur l’origine supposée des Kurdes dans Radikal 20/08/2007 ou bien celles sur la désormais très classique pseudo-origine turque des Étrusques et donc, par extension, de toute la civilisation romaine dans Radikal 08/06/2007.
[8] Les sites officiels reprenant l’Onuncu Yıl Marşı sont légions mais on peut la consulter, par exemple, sur le site du gouvernorat d’İstanbul.
[9] Ces citations sont traduites, tirées de biographies citées et consultables elles aussi sur le site du ministère turc de la culture et du tourisme.
[10] Hamit BOZARSLAN, Histoire de la Turquie contemporaine, Paris, La Découverte, 2004, pp. 30-31.

lundi 15 juin 2009

La dernière audience du procès DHKC à Bruxelles

«Pour une conférence de presse où a été lu un communiqué –pour "une conférence de presse" je dis bien–, le Procureur Johan Delmulle réclame dix ans de prison à l’encontre de Musa Aşoğlu. "Dix ans", soit la même peine que celle à laquelle a été condamné Nizar Trabelsi qui s’apprêtait, lui, à faire exploser une bombe dans une base belge de l’OTAN».

Après cette entrée en matière «surréaliste», Jan Fermon va expliquer (quatre heures durant, quatre heures sans s’arrêter) pourquoi, dans la présente affaire, on se doit de prendre en compte un évident «état de nécessité». Un état qui explique et justifie les cinq armes, les faux papiers d’identité, les cachets «officiels» contrefaits –toutes choses retrouvées à Knokke en 1999.
Quatre heures donc pour évoquer ce qui, en Turquie, est habituel, récurrent et fonctionnel : la violence d’Etat, dans son exaspération ordinaire et ordurière. Deux cent quarante-deux minutes exactement pour avancer… près de cinquante exemples.
De l’emprise de l’armée sur l’ensemble des superstructures étatiques à l’incrustation de la mafia dans celles-ci (avec l’aval de l’Etat-Major), Fermon n’aura que peu de temps pour faire entrer dans le prétoire une sorte d’émotivité progressivement portée jusqu’à l’émotion. Des histoires de militants d’extrême gauche aux corps torturés, déchiquetés, écrasés, broyés, noyés, révolvérisés, scarifiés, brûlés, gazés, violentés, violés, vitriolés, passés à l’électricité… Par les forces de sécurité, les services spéciaux (organisés au sein des Corps de police ou des différents départements de l’armée), les escadrons de la mort liés au ministère de l’Intérieur, les officines secrètes financées par la CIA, ou les nervis délégués par la pègre pour assassiner les opposants politiques.
Exemple ? Turan Ünal. Ce tortionnaire, spécialisé dans l’enlèvement de militants et la disparition de leurs corps, faisait partie de diverses unités spéciales (dont l’unité 03) et du Service «Renseignements» de la gendarmerie. Ainsi, le 31 mars 1998, il a participé à l’enlèvement à İzmir de quatre membres du DHKC –l’étudiante Neslihan Uslu, Metin Anda (un villageois qui militait contre l’implantation d’une entreprise d’extraction de l’or, Eurogold, empoisonnant la nature au cyanure), le militant Mehmet Ali Mandal et le syndicaliste Hasan Aydoğan. En compagnie de ses sbires, Ünal les a torturés dans une caserne militaire à Foça, a en partie broyé leur corps et a embarqué les restes dans une barque qu’il a fait exploser au large de Seferhisar, une localité proche d’İzmir. Ensuite, lui et ses complices ont célébré cette «opération réussie» dans un club de vacances de Çeşme appelé Fly-Inn. Ünal a aussi participé à de nombreuses séances de torture dans les centres les plus connus de la section antiterroriste d’İstanbul, au laboratoire de recherche approfondie (DAL) à Ankara, au casino Bayrak, dans les locaux des services secrets de la gendarmerie de Yenimahalle, dans les centres de torture à Izmir, en Phocée, à Üçkuyular. En avril 1998, il a créé une association culturelle ainsi qu’une bibliothèque populaire dans le village de Diphaciköy en province d’Amasya pour y attirer le potentiel de gauche et infiltrer les milieux proches des camps de guérilla tant du DHKP-C que du TKP-ML. En juillet 1996, Ünal a participé à plusieurs enlèvements et à la répression contre les familles des disparus qui avaient manifesté en marge du Sommet sur le logement Habitat. Selon des témoignages concordants, il a activement participé aux séances de sévice. Il a également mis sur pied des réseaux d’informateurs dans les montagnes d’Egée et du Taurus pour filer les combattants du DHKC. Il a commis des activités de provocation dans les campus universitaires de Hacettepe, de Beytepe et à la Faculté des Sciences politiques d’Ankara. Idem à İstanbul, où il a tenté d’infiltrer les milieux progressistes de la Faculté des Lettres et a organisé des rafles parmi les étudiants de gauche afin d’intimider et pousser ses victimes à la collaboration.
Durant ses activités de kidnapping menées de novembre 1995 à novembre 1998, Turan Ünal n’a évidemment jamais cessé de s’enrichir : par les trafics de drogue et d’armes, des trafics «sous hautes protections»… «Poing» final ? Le 8 juillet 1999 dans un communiqué explicatif, le DHKC a ouvertement revendiqué l’exécution de cet assassin de masse, dont les missions étaient inspirées, commanditées et couvertes par les plus hautes autorités.

SANS SUITES...
Sur quatre cents plaintes déposées par des victimes de tortures (ou par leurs proches) auprès des organes de Justice turcs compétents, toutes ont été classées «sans suites»... Sauf une (dont les conclusions se font toujours attendre). Pour porter illustration de ces brutalités pour tout dire inimaginables, J. Fermon tendra vers les juges des photos à la vérité insoutenable. Notamment des clichés de la tuerie exécutée au pénitencier d’Ulucanlar (Ankara) par les forces de sécurité... le 26 septembre 1999, lors d’un raid à la kalachnikov. Sur ces documents, on voit distinctement des dizaines de prisonniers politiques dont les cadavres ont été pulvérisés sous les coups de crosse et les balles.
Enfin, Fermon se fera une ultime fois honneur –en prenant en flagrant délire les revendications pénales avancées par le Procureur fédéral contre l’association TAYAD. On le sait ce mouvement (regroupant en Turquie, mais aussi dans la plupart des pays européens, les familles de détenus politiques emprisonnés ou disparus) ne devrait selon J. Delmulle bénéficier d’aucun droit de cité en Belgique parce qu’«il fait partie de la même structure terroriste que le DHKP-C». Autrement dit, TAYAD devrait désormais être purement et simplement interdit en Belgique... «alors que ce n’est aucunement le cas en Turquie» –où ce mouvement a une représentativité sociale et une influence démocratique indéniables. Pour preuve, Fermon fait valoir un reportage photo publié dans l’un des derniers numéros de la revue (sur papier glacé) du HÖC Front for Rights and Liberty»). Des illustrations panoramiques où l’on peut voir treize mille (13.000) sympathisants lors d’un concert donné à Istanbul au profit de TAYAD et 30.000 (30.000) manifestants défilant pour soutenir son combat et ses revendications. Bref une amplitude publique qui n’a rien à voir avec l’habit et l’habitude terroristes dont le Parquet fédéral voudrait travestir cette courageuse organisation…

Fallait-il s’en douter ? Passé 13 heures, le président de la Cour d’Appel invoque un exposé à la longueur compromettante pour refuser à la défense ce qui lui avait été reconnu chichement la veille. La projection des deux vidéos à la durée écourtée ? «Eh bien, ça ne sera pas possible. Vous comprenez ?». Fermon ne comprend pas mais pour Antoon Boyen, c’est comme ça et pas autrement.

Après l’interruption «13 heures 25-14 heures quart», la seconde partie de cette audience finale va donc s’engager au pas de charge. D’abord Raf Jespers (sur la notion de recours justifié à la violence face à la tyrannie, et à la souveraineté populaire pour construire de la démocratie), auquel succède Nadia Lorenzetti. Prenant directement à partie Kris Vincke, l’avoué chaque fois plus désavoué, l’avocate se limite à un considérant et à une admonestation : «Revendiquer des dommages et intérêts au nom d’un Etat mafieux, morbide et criminel, c’est tout simplement choquant. Messieurs de la Cour n’y donnez, s’il vous plaît, aucune suite».
Puis Alexander et Fermon, tous deux courtissimes. Après quoi, une demi-heure est squeezée par Delmulle (là, pour la première fois de la journée, les trois juges n’arrêtent pas de prendre des notes). Premier temps, le représentant du Ministère public passe la pommade et l’onguent («Les faits de répression exercés par l’Etat turc, et qui ont été cités ce matin, sont détestables et intolérables. Cela ne justifie pas pour autant l’action violente du DHKP-C»), après quoi il balance le vitriol et un récit acidifié faisant des accusés des crapules certifiées. Vincke prend le relais pour répéter, comme à chacune de ses interventions, combien le régime «démocratique» turc est droit dans ses bottes («La preuve que les militants du DHKP-C, incarcérés ces dix dernières années, n’ont jamais été les victimes d’un prétendu terrorisme d’Etat, c’est que les 122 d’entre eux qui sont morts l’ont été par leur propre et seule volonté, lors de grèves de la faim qu’ils avaient eux-mêmes décidées»). Une lecture carrément révisionniste de l’Histoire turque contemporaine –de la part d’un avocat acheté, transformé en parfait vendu. Car pour refuser leur transfert dans les nouvelles prisons dites de type F (où les militants auraient été inévitablement transformés en cohortes de morts-vivants), l’opinion démocratique et les secteurs progressistes de la société civile n’ont jamais cessé de réclamer l’ouverture de négociations. Dès juillet 2000 précisément –où pour trouver une solution pacifiée à même de respecter l’identité, l’intégrité des détenus politiques, et mettre un terme à leurs grèves de la faim voire de la soif…, même l’écrivain Orhan Pamuk (devenu, en 2006, Prix Nobel de littérature) fera partie des négociateurs. En vain. Les autorités, roublardes et revanchardes, feront tout pour ralentir l’avènement d’un compromis acceptable par les détenus (espérant, de la sorte, les forcer à mettre fin à leur mouvement de protestation).

TRONQUÉ, DONC TRUQUÉ
Qui risque le plus dans ce dossier tronqué et truqué (où les faits défaits ont été sciemment trafiqués par le Parquet) ? Musa Aşoğlu.
Celui-ci prendra donc la parole. 120 minutes nécessaires pour clarifier ce qu’il est juste d’entendre par «terreur» et par «démocratie». Une démonstration développée sur un ton étonnamment posé et calme. Sauf, une seule fois –quand Musa mettra directement en cause le défenseur du régime turc et l’obscénité d’un Etat coupable d’avoir massacré 28 prisonniers sans défense –dont la seule «violence» était de revendiquer des droits élémentaires.
Dernier à pouvoir s’expliquer : Bahar Kimyongür. Égal à lui-même. Généreux, altruiste, entier. Toujours là pour revendiquer les gestes qu’il avait posés, et l’affirmation irrépressible de les recommencer exactement pareils «si c‘était à refaire».
Après ces explications improvisées (partagées entre une juste véhémence, du bon sens et un zeste d’humour), Antoon Boyen en fera confirmer les affirmations factuelles par l’intéressé lui-même. Des précisions –formant pièce à conviction, versée au dossier– et que les trois magistrats du siège devront apprécier pour constituer leur jugement.
«Nous essaierons de rendre notre Arrêt le 14 juillet», conclura un Président au style en rien révolutionnaire.

Jean FLINKER

Voir les comptes rendus des audiences sur le site du Clea.

dimanche 3 mai 2009

Dîlan

Agirê Jiyan est un groupe de musique kurde qui signifie littéralement le “Feu de Vivre”. Ils font partie de cette vague que l'on peut regrouper globalement sous l'appellation de protest müzik dont les textes sont fondamentalement politiques et engagés. Dépourvu de rapport avec le nom éventuel d'un artiste états-unien, le Dîlan désigne sans ambiguïté possible une sorte de danse kurde.


Quelques remarques sur le texte :
- [...] désigne une onomatopée incompréhensible.
- À la fin de la phrase Bi hezaran şehîd da(n), je fais du dernier “n” un nu éphelcystique.
- şehîd est un mot tiré de l'arabe qui signifie le martyr ("témoin devant Dieu" dans son sens arabe comme grec) et dont le sens s'est laïcisé pour désigner “quelqu'un qui est mort pour une cause politique”.

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Dîlan

Tev rabin ji bo dîlanê
Ev dîlanekê giran e
Dîlana me bi Şoreşî ye
Dîlan rewşa şêran e
[…] xwe bilezînin
Dîlan barê mêran e
Dîlana me bi Şoreşî ye
Dîlan barekî giran e
Bi hezaran şehîd da(n) :
Rêça rizgar Kurdistan
Barê me barekî giran
Ji bo azadîya nîştîman
Kurdino rabin dîlanê
Dîlan dîlana me ye
Dibê mamoste Lenîn
Lenîn li pêşiya me ye
Ava Dicle û Firat
Firat li benda me ye
Kurdino rabin :
Xilasbûn
Bi destê me ye !



Dîlan

Levons-nous ensemble pour la danse
C’est une danse lourde (de sens)
Notre danse est avec la Révolution
La danse est la posture des lions
Dépêchons-nous […]
La danse est le fardeau des braves
Notre danse est avec la Révolution
La danse est un lourd fardeau
De ces milliers de morts (pour la cause) :
La voie du Kurdistan libre
Notre fardeau est un lourd fardeau
Pour la liberté du pays
Kurdes, levons-nous pour la danse
Cette danse est la nôtre
Il (nous) faut le professeur Lénine
Lénine est sur notre front
(Il nous faut) L’eau du Tigre et de l’Euphrate
L’Euphrate nous attend
Kurdes, levons-nous :
La libération
Est entre nos mains !

Agirê Jiyan - Dîlan
Album : Adarê
[traduction indicative]

vendredi 1 mai 2009

De la fête de la nation à la fête du travail

Sur la place de Taksim, la plus importante d’İstanbul, se trouve le Cumhuriyet Anıtı [Monument à la République] représentant entre autres choses, Mustafa Kemal et certains de ses acolytes fondateurs de la République turque.
L’année passée, face à l’imposant dispositif policier déployé pour empêcher les manifestants d’atteindre la place, un caricaturiste de la presse nationaliste classique, avait dessiné un frêle ouvrier tentant de déposer une gerbe de fleurs en bas du dit monument et empêché de le faire par un policier surarmé.
Cette critique de l’action gouvernementale illustre bien les limites intellectuelles au-delà desquelles on ne peut interpréter la fête du travail en Turquie. Le Premier Mai est la fête du travail mais à la condition que l’ouvrier fasse montre de déférence à la figure de Mustafa Kemal et au monument symbolisant le régime qu’il a mis en place. Le Premier Mai, d’accord. Mais le Premier Mai comme énième fête de la nation et du fascisme…
C’est dans ce sens-là qu’avaient abondé la principale formation syndicale nationaliste : Türk-İş. L’année passée, en effet, elle s’était montrée unilatéralement disposée à y déposer une couronne (voir topic concerné). En réalité, la raison profonde pour un nombre certain de travailleurs de se rendre sur la place de Taksim est la commémoration des victimes de ce qui est communément appelé le Kanlı Bir Mayıs [Premier Mai Sanglant] de 1977 où plusieurs dizaines de personnes avaient été tuées et plusieurs centaines d’autres blessées, des inconnus ayant ouvert le feu [wiki].

Manifestants à Taksim (photo : Milliyet)

Récemment, le Premier Mai a été déclaré très officiellement “Jour du Travail et de la Solidarité” [Radikal]. Victoire de la pression syndicale, lâché de leste par l’AKP face à la détermination de l’année passée, image internationale à défendre : tous ces éléments entrent en ligne de compte. Dans son status ante quem, en 1935, sous Mustafa Kemal, le Premier Mai avait été transformé en fête nationale sans rapport avec le travail [Radikal]. Et de la fondation de la République jusqu’à 1975, cette fête n’avait jamais été célébrée massivement comme fête du travail. Après un interlude de deux ans, l'interdiction a prévalu jusqu'à aujourd'hui.
Cette année, les formations syndicales du DİSK et du KESK ont pu rejoindre la place de Taksim, ce qui n’a pas empêché les affrontements avec la police par ailleurs.

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vendredi 24 avril 2009

Rendez-leur leur enfance !



Un enfant torturé par un militaire le jour de la fête des enfants en Turquie

A l'occasion du 15e anniversaire de l'ouverture de la Grande assemblée nationale de Turquie, Atatürk, en bon père fondateur, avait dédié l'indépendance de la nation aux enfants en proclamant le 23 avril 1935 "fête des enfants et de la souveraineté nationale". Aujourd'hui, les 4 millions d'enfants qui travaillent dans des conditions insalubres pour survivre ou qui mendient au lieu d'aller à l'école (source: ILO), qui sont soumis à la maltraitance, à la drogue, à l'alcool, aux abus sexuels, à la misère et à l'exil, lui sont sans doute très reconnaissants.

Et que dire de ces millions d'enfants kurdes dont on a volé la langue, le sourire et les rêves ?

Aujourd'hui même, au cours d'une manifestation de protestation contre les rafles policières massives effectuées ces derniers jours dans les rangs du parti DTP (pro-kurde), un enfant kurde de 12 ans dénommé Seyfi Turan a été tabassé à mort à Hakkari par un membre des forces spéciales, à coups de crosse de mitraillette.

L'enfant a été transporté aux urgences de l'hôpital universitaire de Van. Il est dans le coma.

On se rappellera qu'en janvier dernier, M. Erdogan avait fustigé l'opération contre Gaza durant le sommet de Davos en présence de Shimon Peres. Son show avait fait un tabac et nombreux sont ceux qui avaient vu en lui un grand humaniste.

Depuis, on ne compte plus le nombre d'enfants kurdes tabassés, arrêtés ou massacrés par les forces de sécurité turques.

Actuellement, des centaines d'enfants kurdes qui ont manifesté contre les opérations terroristes de l'Etat turc peuplent les prisons.

Rendre leur enfance aux enfants le jour des enfants, est-ce trop demander ?


Pour voir les images atroces de l'enfant kurde battu à mort par le militaire turc:
http://www.youtube.com/watch?v=IEMuwkETXuU

Le 23 avril 2009
Bahar Kimyongür

mercredi 22 avril 2009

Avril, un mois difficile pour la gauche en Mer Noire


Photo : Les 5 victimes de lynchage à Trabzon (avril 2005)


Le 6 avril 2005, Zeynep Erdugrul, Cetin Güven et trois autres jeunes militants avaient été lynchés par une meute de plus de 2.000 personnes galvanisées par des provocateurs agissant pour le compte de la sûreté turque et ce, alors qu’ils distribuaient un tract de l’association d’entraide avec les familles de détenus (TAYAD) dénonçant les conditions inhumaines de détention dans les tristement célèbres pénitenciers cellulaires de type F. La rumeur selon laquelle ils étaient des terroristes, des séparatistes kurdes et des assassins de policiers se répandit comme une traînée de poudre, entraînant la folie furieuse de milliers d’habitants de la ville septentrionale de Trabzon.

Ces cinq jeunes activistes de gauche avaient ensuite été embarqués manu militari dans un véhicule blindé par des policiers qui voulaient prétendument les « sauver de la vindicte populaire ».

La violence et la lâcheté de la foule suscitèrent l’indignation de la société turque tandis que les victimes elles, à peine sorties de leur garde à vue, loin de se décourager, allèrent à la rencontre de leurs agresseurs pour les admonester et exiger des excuses. Leur patience porta ses fruits puisque non seulement, ils gagnèrent la confiance et le respect de nombre de leurs ex-lyncheurs, mais en plus, leur journal intitulé « Özgür Karadeniz’in Sesi » (La voix de la Mer Noire libre), pourtant résolument de gauche, devint très vite l’une des gazettes locales les plus lues dans la région.

Face à l’étonnante perméabilité de la population du littoral pontique à l’égard du message politique porté par une poignée de militants dans une région aussi hostile, gangrenée par le nationalisme, le fondamentalisme religieux et le racisme les plus acerbes, une région soumise depuis près d’un siècle à une intense campagne anti-chrétienne, anti-grecque, anti-arménienne et anticommuniste de la part du pouvoir central (puis anti-kurde à partir des années 1990, avec l’intensification de la lutte de libération nationale kurde), les membres de la sûreté turque avait toutes les raisons d’ourdir de nouvelles ruses.

Dans les régions de la Mer Noire, on est pourtant loin de la création du Soviet de Fatsa [*] et Fikri le Tisserand (Fikri Sönmez) son maire rebelle des années 70 est mort depuis bien longtemps dans les geôles du général Evren.

Néanmoins, le 11 avril dernier, la police opéra une vaste opération antiterroriste visant des milieux soi-disant proches du DHKP-C (Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple) à Trabzon, Rize et Istanbul. Trois jours plus tard, la 2e Cour d’assises d’Erzurum a émis un mandat d’arrêt contre 9 des personnes interpellées sous l’accusation de porter assistance à l’organisation marxiste clandestine.

Or, les policiers n’ont saisi chez ces militants que des livres et des journaux dissidents. Parmi les victimes de cette énième intimidation policière, on retrouve Zeynep Erdugrul, aujourd’hui âgée de 28 ans et Cetin Güven (30 ans) mais aussi quatre étudiants de l’Université technique de la Mer Noire. Les 9 militants de gauche se trouvent actuellement à la prison d’Erzurum.


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[*] Le 12 juillet 1980, le gouvernement Demirel envoya les blindés sur la petite ville de Fatsa qui connut la première expérience de démocratie participative grâce à l’action de la gauche radicale et de Fikri Sönmez, son maire, membre de Devrimci Yol (le Sentier révolutionnaire). A l’issue de cette opération militaire (baptisée « Nokta », c’est-à-dire « Le Point ») préludant au coup d’Etat du 12 septembre 1980, 300 personnes furent arrêtées dont le maire de la ville. Ce dernier mourut le 5 mai 1985 en prison sous la torture.

mardi 7 avril 2009

Liberté pour Ilker et Sefik

Le Comité français des libertés vient de publier un appel à la solidarité avec les détenus politiques d'origine turque Ilker ALCAN et Sefik SARIKAYA. Tous deux paient chèrement le prix de leur engagement en faveur d'une Turquie indépendante, démocratique et socialiste. Ilker ALCAN est un journaliste issu de la prestigieuse université de Galatasaray. Il passa de nombreuses années dans les prisons turques et survécut aux plus atroces tortures. Sa soeur Nilufer Alcan elle, périt avec 5 autres prisonnières dans les flammes boutées à leur dortoir de la prison de Bayrampasa par les militaires, durant l'assaut sanglant du 19 décembre 2000, une opération destinée à déporter les détenus politiques vers les prisons cellulaires de type F. Militant politique infatigable aux origines turques et arméniennes, Sefik Sarikaya est connu et respecté dans l'émigration anatolienne pour sa générosité et son humilité. Il a passé près de dix ans dans les prisons françaises pour son appartenance au DHKP-C dans une précédente affaire politico-judiciaire.

N'hésitons pas à leur écrire.

Ilker ALCAN
N° 367 643 D4
Maison d'Arrêt de Fleury-Merogis
7, Avenue des Peupliers
91705 SAINTE GENEVIEVE DES BOIS / PARIS




Sefik SARIKAYA
N° 289706 Cellule 1/107
Maison d'Arrêt de la Santé
42, Rue de la Santé
75014 PARIS - France



Ilker ALCAN et Sefik SARIKAYA
Jugés en France pour leur opposition au régime fasciste d’Ankara

Le 9 juin et le 20 octobre 2008 à 6h du matin, les commandos de la SDAT (Sous-direction anti-terroriste) firent irruption dans plusieurs domiciles ainsi que dans les locaux de l’Association anatolienne de culture et de solidarité de Paris. Cette intervention policière fut d’une rare violence : portes brisées, appartements saccagés, femmes et enfants plaqués au sol, armes pointées sur les tempes… Au total, 13 personnes ont été mises en garde à vue et en examen. Cible de cette opération: une association culturelle ordinaire ainsi que ses adhérents, qui défendent depuis des années les droits des travailleurs immigrés originaires de Turquie et qui s’opposent au régime fasciste d’Ankara. Tous sont accusés d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Mais les véritables chefs d’inculpation sont la tenue de manifestations, de conférences de presse parfaitement légales bénéficiant de l’accord de la préfecture et la vente de l’hebdomadaire Yürüyüs (La Marche), une publication de gauche imprimée et distribuée légalement, même en Turquie.

D’après le juge d’instruction : « les actions qu’ils mènent sont légales, mais servent à soutenir des réseaux clandestins hostiles au régime en Turquie. Par conséquent, leurs actions doivent être considérées comme terroristes et poursuivies en vertu des lois anti-terroristes. »

En réalité, nos camarades sont en prison pour leur opposition au régime fasciste d’Ankara, pour avoir défendu les libertés d’expression et d’association, pour avoir lutté contre des lois et des mesures antidémocratiques, pour avoir soutenu les travailleurs licenciés, les droits des étudiants, en somme, pour avoir défendu les sans-droits, les opprimés et les exploités.
Malgré l’absence de preuves, malgré le fait que les perquisitions n’aient révélé aucune activité illégale, Ilker Alcan et Sefik Sarikaya sont détenus depuis le 9 juin 2008.
Treize autres personnes ont été placées sous contrôle judiciaire avec l’interdiction de quitter le département où ils résident, de rencontrer leurs co-inculpés, de se rendre dans des associations fréquentées par des gens originaires de Turquie, de lire des revues de gauche imprimées en Turquie, mêmes légales.
Depuis 2006, on observe une augmentation sensible des poursuites judiciaires, des opérations de filature et des gardes a vue en France.
Il y a actuellement près de 1.200 prisonniers politiques dans les prisons françaises, et ce nombre s’accroît constamment.
Pourtant, ce qui se fait au nom de la guerre contre le terrorisme, n’a rien à voir avec l’objectif déclaré. Il s’agit en réalité d’une guerre contre des droits et des libertés fondamentales acquises au prix de grands sacrifices.

L’ANTIFASCISME, UN ENGAGEMENT LÉGITIME

Si les militants poursuivis ont fait le choix de lutter, ce n’est pas par plaisir mais par sens du devoir et par humanisme. La répression ne les empêchera pas de poursuivre un combat qu’ils considèrent comme légitime.
La France entretient des rapports politico-économiques privilégiés avec la Turquie .C’est par souci de ménager ces relations que la France répond aux exigences de l’Etat turc.
En réalité, au-delà du sort des 13 antifascistes originaires de Turquie, le procès politique dont il est ici question, a pour enjeu la sauvegarde voire la survie des droits et des libertés fondamentales dans la patrie des droits de l’homme.
Le peuple français qui a remporté de glorieuses luttes contre la tyrannie et contre le nazisme ne mérite sans doute pas un tel affront que celui de voir son pays collaborer avec un Etat fasciste.
D’autant que le juge chargé de l’affaire s’est rendu en Turquie pour recueillir des preuves à l’encontre des inculpés. Ce dernier a été jusqu’à intimider l’imprimeur du quotidien légal « Yürüyüs » à Istanbul !
En Turquie, la lutte pour la démocratie n’a jamais pu être anéantie, malgré les juntes militaires, la torture, les exécutions extrajudiciaires, les disparitions politiques et les massacres. Et voilà que l’Etat français se met à encourager nos bourreaux dans notre pays d’origine.
Nous pensons que les magistrats qui agissent au nom de la France n’ont pas à jouer ce rôle infâme et à rendre ainsi la population française complice de leurs agissements.
Quoiqu’il advienne de nous, nous continuerons à défendre nos droits, dont les libertés d’expression et d’association, aux côtés du peuple français.

A ceux qui, en France, veulent nous bâillonner, nous demandons :
Est-ce un crime en France que d’être antifasciste ?
Est-ce un crime en France que de dénoncer les crimes de l’Etat fasciste qui sévit en Turquie ?
Nous exigeons de la part des tribunaux français :
- La fin de leur collaboration avec le régime répressif en Turquie au nom des intérêts économiques qui lient les deux pays.
- L’annulation de l’instruction visant nos camarades et leur libération
- La fin des poursuites contre les révolutionnaires anatoliens sur le territoire français
- L’arrêt de l’utilisation de la loi anti-terroriste contre les militants politiques
- La libération de tous les détenus politiques

Résister contre le fascisme n’est pas un crime

Liberté pour Ilker et Sefik


Comité des libertés - France
comitedeslibertes@gmail.com

lundi 6 avril 2009

La fermeture négociée d’un média kurde

C’était dans l’air. Il semble bien que la nomination au poste de secrétaire général de l’OTAN de l’ancien premier ministre danois, Anders Fogh Rasmussen, ait été négociée en échange de mesures à prendre à l’encontre de Roj TV. C’est en tout cas ce que l’on peut déduire des paroles rapportées par la presse turque lors du dernier sommet qui se tenait à İstanbul : « Tout d’abord, on est en train d’enquêter pour savoir s'il y a un lien économique entre Roj TV et l’organisation terroriste PKK. On cherche à savoir si les émissions de Roj TV font de l’incitation au terrorisme ou pas. Si l’on réunit assez de preuves, nous ferons notre possible pour fermer la chaîne mais dans le cadre des lois danoises. » [Radikal]
C’est aussi la première raison rapportée par Hürriyet avant l’histoire des caricatures [Hürriyet]. Le quotidien faisait mention de la présence du Parquet et d’officiels danois dès le 31 mars au sujet de poursuites à entamer en échange d’un soutien à la candidature de Rasmussen [Hürriyet].
Il y a deux jours, la presse pro-kurde parlait, quant à elle, de chantage exercé de la part du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, devant un parterre de journalistes. Ce dernier mettant en avant son entrevue quatre ans plus tôt avec le premier ministre danois, sa requête non rencontrée pour faire fermer Roj TV et, par conséquent, l’avis négatif qu’il avait de la candidature en question. [Yeni Özgür Politika]
On peut donc s’attendre à de futures procédures judiciaires visant à démettre la chaîne de sa licence danoise. Il faut savoir que cet intense ballet diplomatique a déjà mené la chaîne à des sanctions pénales, notamment en Belgique où elle a été astreinte à 4 millions d’euro l’année passée par le ministère des finances [Radikal]. En effet, si son antenne émet depuis le Danemark, ses studios se situent à quelques kilomètres de Bruxelles et des institutions européennes.

Erdοğan et Rasmussen (photo : Radikal)

On parle beaucoup du "choc ressenti" par l’AKP, et à travers lui, la Turquie, eu égard aux caricatures danoises. C’est fort bien méconnaître les enjeux de ce pays. Que pèse véritablement cette anecdote face à la question kurde ? Le média c’est l’opinion et l’opinion c’est l’élection. Or, si l’on retient ce qui est en quelque sorte l’équation de Chomsky, que constate-t-on au Kurdistan ? Une débacle électorale comme l’AKP n’en avait plus connue depuis plusieurs années, renforcée sans doute par la faiblesse du vote utile des municipales (contrairement aux législatives). Or, personne n’ignore que Roj TV offre une tribune de choix pour les candidats DTP et diffuse abondamment leurs interviews, meetings et discours. L’indépendance médiatique, on le sait, n’est pas trop la tasse de thé d’Ankara (cf : ancien topic à ce propos). C'est donc bien à cette aune qu'il faut comprendre l’ouverture d’un média en langue kurde sur un canal public (topic de Newroz) et ces nouvelles manoeuvres.
En défendant sa position à propos des caricatures, Rasmussen était donc venu défendre la liberté d’expression à İstanbul… [La Libre Belgique].

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dimanche 5 avril 2009

L'école des fans

Si vous vous demandez pourquoi les militants de Savaş Karşıtları [pacifistes et anti-militaristes] se font attaquer par la foule lorsqu’ils manifestent en plein centre d’İstanbul, pourquoi beaucoup de Turcs se mettent au garde-à-vous lorsqu’ils entendent un air patriotique ou tout simplement pourquoi vous ne pouvez aborder certains sujets avec des kémalistes, la vidéo suivante peut vous apporter quelques éléments de réponse. Une réponse qui pourrait se résumer en un mot : conditionnement.

Vous connaissiez sans doute la petite Bismillah évoquant les Juifs comme des singes et des porcs à la présentatrice d’une chaîne saoudienne. Vous vous rappellez peut-être de la petite écolière turque, juste et travailleuse qui doit aimer sa nation plus que sa propre nature. Vous connaîtrez désormais la petite Suğra vociférant l’hymne national. La vidéo fait sensation chez le nationaliste lambda. Quand le patriotisme concurrence le bigotisme :


Et tout le monde de pleurer ému par une programmation si fiable et si efficace. La dame en peignoire conclut par un « c’est une bonne fille ».
Le texte de l’hymne national en soi ne réserve pas de surprise : race de héros, sang versé, martyrs morts pour la patrie, etc. Des ingrédients maintes fois éprouvés. Son intérêt littéraire se classe donc un cran en-dessous de Bambi, toute la beauté poétique en moins. Pour ceux que ça intéresse vraiment, c’est l’histoire d’un narrateur qui réprimande avec amour un drapeau qui flotte trop vigoureusement dans le vent… Qu’on le croit ou pas, le texte aurait remporté une compétition opposant 724 récits (wiki pour les sceptiques). On n’ose imaginer l’originalité des 723 autres…

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vendredi 3 avril 2009

Muharrem Cengiz, guitariste du Grup Yorum, a été arrêté !

Ci-dessous, le communiqué du Grup Yorum sur l'arrestation de l'un de ses guitaristes

Muharrem Cengiz : 2e à gauche à l’arrière-scène

Notre camarade guitariste Muharrem Cengiz avait été arrêté en 2004 et avait purgé plusieurs mois de prison pour des raisons les plus ridicules (*). Il avait ensuite été libéré. La Cour de cassation vient de confirmer sa condamnation. Il vient d’être arrêté et conduit en prison.

La Turquie est un pays où l’on peut être arrêté pour des motifs bidon au moment où on s’attend le moins et où l’on peut être maintenu en détention pendant des années. Dans un pays où les droits élémentaires sont bafoués, on ne peut parler de justice ! L’arrestation et l’incarcération de Muharrem Cengiz constituent un nouvel épisode dans l’injustice qui sévit en Turquie.

Alors que ceux qui pillent la Turquie, ceux qui ont fait de ce pays un vivier de corruption, ceux qui servent ce pays aux impérialistes sur un plateau doré, ceux qui torturent et assassinent se pavanent allègrement, Muharrem Cengiz a été arrêté par 15 à 20 policiers, a été battu et torturé en garde à vue !

Les valeurs défendues par Muharrem Cengiz et par Grup Yorum sont celles qui mettront fin à ce système qui sème exploitation et torture. Ce sont des valeurs intolérables pour les tyrans. Depuis 1985, l’année qui vit la naissance de notre Grup Yorum, nous subissons la répression, les gardes à vues, la censure, les détentions arbitraires, la torture, de longues captivités, l’exil... toutes ces persécutions ont pour motif la peur. Mais toutes ces persécutions sont vaines ! Ceux qui rêvent de voir notre voix s’éteindre, ceux qui croient que la prison empêchera notre marche vers des lendemains libres, armés de nos notes de musiques et de mélodies, se trompent et sont voués à la défaite.

Ils ne tairont pas notre infatigable devise « Les chansons ne se tairont pas, les halay (**) se poursuivront » !

Nous condamnons l’arrestation de notre camarade, membre de notre groupe Muharrem Cengiz, les sévices exercés sur lui et la confiscation de sa liberté.

Nous demandons la fin de la répression contre notre groupe.

Et nous appelons toutes celles et ceux qui, en Turquie, défendent les règles du droit et la justice, à protester contre l’arrestation illégale de Muharrem Cengiz.

Les chansons ne se tairont pas. Les halay se poursuivront !
Notre voix ne s’éteindra jamais !

Grup Yorum
Le 26 mars 2009


(*) En 2004, Muharrem Cengiz avait dû également comparaître devant une Cour de sûreté de l’Etat à Istanbul pour avoir publié en 2002 plusieurs articles dont un poème du poète chilien Pablo Neruda, intitulé « Chanson aux mères qui ont perdu leur fils » (nom original: Chant aux mères des miliciens morts). Il était alors le propriétaire de la revue artistique Kültür, Sanat Yasaminda Tavir (Attitude dans la vie culturelle et artistique). Reporters Sans Frontière. Rapport annuel 2004.

(**). Danse populaire d’origine paysanne, le halay est une farandole anatolienne omniprésente dans le patrimoine culturel des mouvements de gauche.

jeudi 2 avril 2009

Petitio Principii

Pour rebondir sur l'une des assertions d'Abdullah Gül dans l'interview précédente, voici une collection d'arguments fallacieux très en vogue en Turquie. Tantôt tirant sur la pétition de principe, tantôt sur le simple argument d'autorité, ils n'en sont pas moins affirmés avec la même crédulité que "le ciel est bleu" ou "l'eau est mouillée".
On ne rit pas. Beaucoup de gens prennent certaines de ces assertions très au sérieux. Au moins à partir de la quatrième ligne, et à commencer par le Président de la République...

prémisse A

prémisse B

conclusion

un être humain est un bipède

une poule est un bipède

un être humain est une poule

une chose rare est chère

un ordinateur bon marché est rare

un ordinateur bon marché est cher

si la quantité de gruyère croît, la quantité de trous croît

si la quantité de trous croît, la quantité de gruyère décroît

si la quantité de gruyère croît, la quantité de gruyère décroît

un raciste est quelqu’un qui établit une différence entre les origines des gens

revendiquer sa kurdité c’est établir une différence entre les origines des gens

quelqu’un qui revendique sa kurdité est un raciste

une organisation terroriste est une organisation illégale

le PKK* est une organisation illégale

le PKK est une organisation terroriste

un Turc est musulman

un Kurde est musulman

un Kurde est un Turc

des langues parentes ont un vocabulaire commun

gül/gul signifient “la rose” en turc et en kurde

le kurde vient du turc

quelqu’un qui commet un crime d’honneur est un barbare

des crimes d’honneur sont commis chez les Kurdes

les Kurdes sont des barbares

un primitif est quelqu’un qui ne sait pas lire et écrire

l’analphabétisme est élevé chez les Kurdes

les Kurdes sont des primitifs

un criminel est quelqu’un reconnu coupable devant une cour

Leyla Zana* a été reconnue coupable devant une cour

Leyla Zana est une criminelle

un traître est quelqu’un qui prend son propre pays pour cible

Orhan Pamuk*, un Turc, a pris pour cible la Turquie

Orhan Pamuk est un traître

etc

etc

etc


* d'autres organisations ou personnes peuvent être prises en exemple

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mardi 31 mars 2009

Les terroristes de mes amis sont-ils mes terroristes ?

C'est la très dure question à laquelle Abdullah Gül, Président de la République turque, a tenté de répondre dans une interview donnée récemment à Euronews. Ceci, non sans quelques redéfinitions croustillantes, il faut le dire. Chose rare, le journaliste revient à la charge par deux fois dans sa question. Pauvre âme inconsciente...

C'est ainsi que le Béotien apprend que le Hamas est une organisation qui commet des actes terroristes, certes, mais au moins « il milite pour sauver ses propres terres et son propre pays ». Ah mais n'était-ce pas déjà le but du PKK au départ ? Non, non, non, car - critère majeur - celui-ci pratique le terrorisme « depuis l'extérieur, contre la Turquie ». Suis-je bête... ?


Autre différence : « la Palestine est un pays sous occupation » [işgal altında bir ülke]. À savoir, pour celui qui ne suit pas, que ce n'est pas du tout le cas du Kurdistan. Un char sur chaque colline, l'armée comme première et quasi seule manifestation de l'État, cela doit recouvrir un tout autre concept.

Dans la série plus c'est gros, plus ça passe, il y a aussi : « N'oubliez pas ce qu'Israël a fait à Gaza, le fait qu'il ait tué de 1300 à 1800 personnes, c'est inacceptable ! » Traduction : la Turquie ne mange pas de ce pain-là. Ah oui ? Nous avons dû être mal informés, Monsieur le Président... [interview complète sur le site d'Euronews]

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lundi 30 mars 2009

Yan Mirin Yan Dîyarbekir

Puisque Diyarbakir était en quelque sorte l'enjeu principal de ces élections - remportée haut la main par le DTP par ailleurs - il était de meilleur ton d'ouvrir un topic particulier pour la chanson consacrée (trouvée à la base sur le blog de cette jeune dame) et sa traduction indicative.

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Yan mirin yan Dîyarbekir

We dibînim Dîyarbekir
Rabûn cotkar û karker
Min û te bi hev ra ban dikir
Yan mirin yan Dîyarbekir
Her bijî Dîyarbekir
Yan mirin yan Dîyarbekir

Dîyarbekir poz li banî
Çar dor ewî mêrg û kanî
Min û te bi hev ra soz danî
Yan mirin yan Dîyarbekir
Her bijî Dîyarbekir
Yan mirin yan Dîyarbekir



Diyarbakir ou la mort

Je vais vous contempler Diyarbakir
Laboureurs et travailleurs se sont éveillés
Toi et moi, nous clamions ensemble :
Diyarbakir ou la mort
Que toujours vive Diyarbakir
Diyarbakir ou la mort

Diyarbakir, perle dans la montagne
Ses quatre côtés sont prairies et sources
Toi et moi, nous en avons fait le serment :
Diyarbakir ou la mort
Que toujours vive Diyarbakir
Diyarbakir ou la mort

HPG - Yan Mirin Yan Dîyarbekir
[traduction indicative]

mercredi 25 mars 2009

Leyla Zana de nouveau en prison ?

Dans des éditos fort souvent pris au sérieux de personnes telles que Mehmet Ali Birand (sorte de journaliste turc vedette), il y a une rhétorique qui revient à tout bout de champ : il serait erroné de mettre des députés kurdes en prison. Non pas que cela violerait quelque liberté fondamentale, mais parce que ça apporterait de l'eau à leur moulin. Comprendre, ils pourraient ensuite s'adresser au reste du monde et accuser la République turque de répression et s'octroyer un rôle de victime.
En terme de logique pure, c'est le même genre d'argumentation qui sert à prouver qu'une femme violée est en fait coupable d'avoir attisé la réaction de son agresseur, qu'une personne n'avait pas à exposer une petite merveille de la technologie en pleine rue devant les yeux envieux de son voleur et on pourrait continuer comme cela.
À cela, s'ajoutent les nombreux clichés sur lesquels finalement rares sont les Turcs à avoir réfléchi jusqu'ici. Ceux du Kurde fourbe, adepte du coup dans le dos, qui ne comprend que le langage de la violence et qu'il faut sortir de la barbarie par une allégeance saine à la République.
À l'heure où Leyla Zana est à deux doigts de purger arbitrairement d'autres années de prison, c'est bien le genre d'arguments que l'on pourrait retrouver chez une certaine engeance intellectuelle.
Petite rétrospective chronologique sur le parcours politique de cette femme courageuse.

Octobre 1991
Leyla Zana est élue comme députée du HEP (ex-DEP, ex-HADEP, ex DEHAP, ex-DTP). Le HEP s'était alors allié avec le SHP, équivalent du CHP avant qu'il ne reprenne son nom. C'est cette stratégie qui avait permis l'élection de députés issus du mouvement pro-kurde pour la première fois.
Toujours en 1991, à l'occasion de cette élection, Leyla Zana et d'autres députés prononcèrent partie de leur serment en kurde et portèrent sur eux des couleurs évoquant le drapeau kurde. Contrairement à ce qui est habituellement cru ou attesté, cet acte de désobéissance civile ne leur a jamais valu la prison. En revanche, il soulèva un haut-le-coeur des kémalistes et les députés pro-kurdes furent alors bannis du SHP.


Mai 1993
Pressentant la future inderdiction du HEP poursuivi devant la Cour constitutionnelle, la plupart de ses députés, dont Leyla Zana, rejoignent le DEP nouvellement fondé.

Juillet 1993
La Cour constitutionnelle de Turquie déclare le HEP parti illégal. Ce n'est pas la prestation de serment mais l'activité générale du parti qui est visée. Celle-ci fut jugée à l'encontre de l'unité indivisible de l'État [devletin bölünmez bütünlüğü], l'une des rengaines doctrinales les plus ressassées en Turquie. Il n'est toujours pas question d'emprisonnement à l'encontre des députés pro-kurdes.

Mars 1994
L'immunité parlementaire des députés DEP est levée par le Conseil général de l'Assemblée nationale. Leyla Zana est placée en garde à vue et deux semaines plus tard elle est emprisonnée avec trois autres députés.

Juin 1994
Le DEP est à son tour interdit par la Cour constitutionnelle.

Décembre 1994
Leyla Zana et cinq autres députés de l'ex-DEP sont condamnés à 15 ans de prison pour appartenance à une organisation terroriste. La même année, elle avait déjà reçu le Prix Thorolf Rafto. Plus tard, son combat en faveur des Droits de l'Homme sera reconnu et récompensé de toutes parts au niveau international. Elle fut également évoquée pour le prix Nobel de la paix.

Octobre 1995
Leyla Zana reçoit le prix Bruno Kreisky.

Décembre 1995
Leyla Zana reçoit le prix Sakharov du Parlement européen, prix qu'elle ne peut venir chercher comme les précédents pour cause de détention.

Au cours de l'année 1998
Un certain nombre de ses lettres de prison est publié dans la presse. Elle reçoit une peine supplémentaire pour avoir exprimé des opinions séparatistes.


Juillet 2001
La Cour européenne des Droits de l'Homme rend un arrêt qui constate le caractère liberticide du procès dont a été victime Zana et ses coïnculpés. L'État turc n'en tient pas directement compte mais dès lors les pressions de l'Union européenne seront plus régulières à ce sujet.

Avril 2004
Suite à une nouveau procès, la sentence de Leyla Zana et de ses coïnculpés est confirmée par une Cour de Sûreté de l'État.

Juin 2004
Deux mois après la confirmation des peines, sur proposition du procureur de la Cour suprême (Cassation) et par une décision plus politique que judiciaire, Leyla Zana et les trois autres députés pro-kurdes sont libérés après 10 ans de détention. En effet, les Cours de Sûreté de l'État avaient été supprimées entre temps par réforme constitutionnelle.

Avril 2008
Une cour de justice turque condamne Leyla Zana à deux ans de prison pour “propagande en faveur d'une organisation terroriste”.

Décembre 2008
Une cour de justice turque déclare une nouvelle fois Leyla Zana membre d'une organisation terroriste en tenant “pour preuve” neuf de ses discours et la condamne à dix ans de réclusion, c-à-d la peine maximale prévue par l'article 314/2 du code pénal turc.

Janvier 2009
Estimant que la condamnation en première instance n'était pas suffisante, le procureur a fait appel de la première décision concomitamment à l'avocat de Leyla Zana. Le procureur demanderait plus de 45 années de prison en cumulant les peines afférentes aux différents discours. Ayant fait directement appel de ces deux décisions de justice, Leyla Zana est encore libre mais peut-être plus pour longtemps.

Le parcours de Leyla Zana est à l'image de celui de bien d'autres femmes et hommes politiques kurdes sans même parler des militants. Sa condamnation, si elle se réalise dans le silence, sera accueillie comme un contreseing à la politique répressive d'Ankara. C'est pourquoi, une pétition circule sur le net pour s'y opposer :


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samedi 21 mars 2009

Newroz

En ce jour de Newroz, fête par excellence de la résistance contre la tyrannie (voir le topic de l’année passée), un petit topo sur les derniers développements touchant à l’identité kurde en Turquie était bienvenu.

Newroz pîroz be avant tout

Un évènement en particulier n’est pas passé inaperçu. Depuis le premier janvier de cette année, une nouvelle chaîne a été lancée à l’initiative de l’AKP : TRT Şeş - TRT Six - en kurde dans le texte. Le premier ministre issu de l’AKP, Recep Tayyip Erdoğan, promettant même de nouvelles “étapes” dans l’avenir et souhaitant prospérité à la chaîne en kurmancî. Parallèlement à cela, le président du Haut Conseil de l’Éducation - le YÖK -, acquis depuis peu à l’AKP, annonçait l’ouverture imminente de deux nouvelles chaires d’université consacrées à l’étude de la langue et de la littérature kurde. [Radikal sur l’ouverture de TRT Şeş]


Au vu de ces développements, il est clair que l’AKP a osé quelque chose qu’aucun autre parti de tradition strictement kémaliste n’avait imaginé jusqu’à présent : garantir la pleine diffusion d’un média en langue kurde avec les deniers publics. La mouvance d’en face, concurrente de l’AKP, c’est-à-dire le CHP ou ses avatars du passé, avait bien fait des “gestes” comme l’inscription de candidats du mouvement pro-kurde sur leurs listes - Leyla Zana étant la plus célèbre d’entre eux -, permis des émissions en langues kurdes sur des canaux publics (obligatoirement sous-titrées et à des heures de basse audience) ou faussement promu l’éducation en langue kurde par ce miroir aux alouettes qu’est l’enseignement privé. Mais, consacrer une chaîne entière à une langue dont la disparition était programmée de longue date, c’était trahir la pensée ethnocide de Mustafa Kemal, une certaine vision fascisante de la culture. Un pas qui n’a pu être franchi finalement que par un parti qui s’en écartait davantage historiquement bien qu’y souscrivant par ailleurs.

Le retour de la réalité

Bien sûr, on ne peut être complètement dupe. La fin justifiant les moyens, on aura compris que ce qui motive l’AKP n’est pas vraiment l’amour désintéressé du droit. L’anecdote, somme toute très banale, de la polémique autour d’Ahmet Türk alors qu’il prononçait moitié de son discours en kurde en février dernier est là pour le rappeler [Hürriyet pour les faits]. Si les réactions épidermiques du MHP, du CHP ou de l’armée peuvent être vues comme des non-évènements à ce propos [Hürriyet encore], le double-standard de l’AKP est bien plus révélateur. Comme par exemple, Köksal Toptan (AKP), speaker à l’assemblée nationale turque, qui s’est empressé de condamner les paroles d’Ahmet Türk comme “anticonstitutionnelles”. Ou mieux, à peine quatre mois plus tôt, la réaction ultra d’Erdoğan aux manifestants lors de sa visite à Hakkari. Il avait alors sorti de nulle part une surprenante règle des trois “un” [“tek millet, tek devlet, tek vatan” - Radikal] à l’instar d’autres politiciens bien avant lui.

Parmi les plumes les plus libérales de la presse à grand tirage, on trouve Mustafa Akyol [Hürriyet] dont la réaction est assez symptomatique d’une certaine Turquie progressiste : l’auteur se montre indulgent [lenient] vis-à-vis de l’action symbolique du député et se dote d’une vision évolutionniste et progressiste des choses. On apprend ainsi qu’il y a 10 ans, Ahmet Türk aurait fini en prison, tandis que maintenant, les réactions sont plus relaxes. Mais ce qui compte c’est de s’interroger sur le fond. Finalement ces Kurdes, veulent-ils être d’heureux citoyens [happy citizens] de la République de Turquie ou pas ? Car dans le cas contraire, on ferait face à une tragédie et on serait en sérieuse difficulté [in trouble]. Charge alors aux députés kurdes, de se comporter comme il faut...

Dans cette frange progressiste de la Turquie, au-delà de l’impossibilité de concevoir une dissolution pacifiste d’un état – comme la Tchécoslovaquie ou, on y viendra peut-être dans peu, la Belgique – le séparatisme n’a pas droit de cité comme opinion de citoyens libres dans une démocratie pourtant érigée comme objectif suprême. De plus, ce sempiternel évolutionnisme qu'elle déploie est biaisé car la référence - les années 90 - constituent une période particulièrement épineuse de la question kurde et n’illustre pas correctement “le passé”. Relativement et toutes proportions gardées, les années 70 étaient plus “libérales” alors qu’elles devraient être pires ou équivalentes en suivant cette logique.

La bataille des médias

En vérité, on peut dégager au moins deux intérêts dans la démarche de l’AKP. D’abord, un à court terme : l’AKP tente de gratter un maximum de voix kurdes en cette période d’élections municipales, et par-dessus tout, essaye d’obtenir la majorité dans un certain nombre de grandes villes symboliques, acquises jusqu’ici à d’autres partis. Soit Diyarbakir, au niveau du Kurdistan. On se souvient des paroles d’Osman Baydemir promettant à Erdoğan qu’il n’aurait jamais cette forteresse en parlant de la ville [“Diyarbakır kaledir, bu kale düşmez” / “Diyarbakir est une forteresse et cette forteresse ne tombera pas” – Radikal sur l’ouverture du procès pour cette phrase].

Ensuite, il y a un intérêt à plus long terme qui sert plutôt les desseins d’Ankara en général vis-à-vis du Kurdistan mais qu’on ne peut pas isoler complètement du premier. Un objectif qui n’est pas vraiment caché d’ailleurs et qui consiste à détacher l’opinion kurde des médias kurdes indépendants, essentiellement Roj-TV. Et donc du PKK comme disent certains pour abonder dans le sens de la menace terroriste.
Le PKK ne signifiant rien de précis, il faut plutôt lire “la mouvance pro-kurde”. En général, celle-ci englobe les HPG, (Hêzên Parastina GelForces de Défense du Peuple), ne menant plus de véritable lutte armée depuis plus de 10 ans, les membres du DTP, élus ou non, l’ensemble du tissu associatif kurde solidaire de la figure d’Abdullah Öcalan et jusqu’à la seule élue d’origine kurde du Parlement européen : Feleknas Uca. Roj-TV ayant un ton plutôt favorable à tous ces protagonistes.

Il faut voir aussi la venue de TRT Şeş comme l’aboutissement d’un processus qui a visé jusqu’ici à élaguer cette opinion : pressions, notamment par le biais des Etats-Unis, contre la Belgique et le Danemark qui abritent respectivement les studios et l’antenne de Roj-TV pour qu’ils l’interdisent, lourdes amendes infligées in fine à cette dernière… Toutes ces pressions ont toujours été des échecs, la chaîne dissidente a toujours pu émettre et de nombreux foyers kurdes ont toujours réussi à la capter au cœur du Kurdistan. Dès lors, s’adresser au public cible directement dans sa langue se dégage plus comme un plan B qui n’a été possible que grâce à un concours de circonstances pas forcément prévisibles au départ : la longue survie de Roj-TV, l’émergence de l’AKP comme parti politique,... Même si l'on peut supposer que la création de TRT Şeş ne soit pas appréciée par le mouvement pro-kurde, l'apparition d'une nouvelle chaîne en kurde n'a pu se faire que grâce à lui parce qu'il a toujours gardé la main sur son indépendance médiatique.

L’épisode Diyarbakir

À la fin de ce mois, on devrait être fixé sur le sort de la ville : ravie par l’AKP ou demeurant un bastion du DTP. Indépendamment de cela, jeter un regard retrospectif sur les élections précédentes dans la circonscription de Diyarbakir permet d’éclairer l’une des façons dont les voix kurdes sont toujours assujetties à la volonté d’Ankara.
Il faut d'abord comprendre qu’AKP et DTP sont aussi les deux seuls partis qui émergent véritablement dans les régions kurdes. Les partis républicains et kémalistes n’y ont pas vraiment la cote pour des raisons faciles à comprendre. C'est particulièrement vrai dans la capitale du Kurdistan septentrional où une bonne part de la population se compose des déplacés-forcés dont les terres et biens ont été redistribués par l'État aux milices.

Diyarbakir...

Or, lors des dernières élections nationales, la liste AKP et le groupe de candidats indépendants cumulés issus du DTP avaient récolté, grosso modo, 200.000 voix chacun avec une légère avance de 20.000 voix en faveur du DTP, tout souvenir bon et valide.
Malgré cette légère avance, sur les 10 sièges de députés à pourvoir au sein de l’assemblée nationale, l’AKP en avait ravi 6 contre 4 pour les députés indépendants du DTP, soit 50 % de résultat en plus, pour 20.000 voix en moins… De quoi déjà largement s’interroger sur la “démocratie” à la turque. À noter que si le DTP s’était présenté sous forme de liste, il aurait obtenu 0 sièges contre 10 pour l’AKP dans cette circonscription à cause du barrage de 10% nécessaire au niveau national.
La tactique de présenter des candidats indépendants, n’est à vrai dire pas du tout une parade au système comme on a voulu parfois le faire croire. Et certainement pas pour faire entendre la voix des Kurdes. Ainsi, sur les 4 candidats pro-kurdes ayant obtenu un siège, le hasard a fait qu’ils se sont partagé approximativement 50.000 voix chacun. En réalité, chaque candidat indépendant concourt contre toutes les autres listes mais aussi ses propres co-partisans.
De cette manière, un parti présentant des indépendants doit donc évaluer à l'avance le nombre de sièges qu’il espère au sein d’une circonscription donnée, présenter autant de candidats aux élections et escompter une bonne dose de chance pour une répartition équilibrée des votes entre eux, ce qui leur permettra à chacun d'atteindre le quorum nécessaire à la conversion en siège. Autant de contraintes auxquelles ne sont pas soumises les listes.
Pour les élections municipales, le barrage n’existe qu’au niveau de la circonscription et le DTP peut présenter des listes. Diyarbakir est donc une ville dont la municipalité est acquise au DTP mais qui envoient une majorité de députés AKP à l’assemblée. Une belle contradiction qui illustre bien à quel point l’AKP profite du mode de scrutin.
À ce sujet et pour rappel, la Turquie connaît un mode de scrutin proportionnel qui, normalement, multiplie le nombre de partis représentés et favorise la formation de coalitions. Au sein de l'assemblée nationale turque, il n'existe en fait que trois listes représentées (deux lors de la législature précédente). Et il n'y a eu aucune coalition sur les deux dernières législatures. On a donc affaire à un scrutin proportionnel... qui produit les effets les plus extrêmes des scrutins majoritaires. Encore une contradiction qui souligne le caractère boiteux des élections turques.

Le kurmancî tire son épingle du jeu

Pour la langue kurmancî, toutefois, cette conjoncture se dessine plutôt comme une victoire quoiqu’il en soit, car sa diffusion permet sa pratique et sa survivance indépendamment du média employé. Mais on ne peut pas tirer de conclusions hâtives car une langue n’a pas beaucoup de chances de survie dès lors qu’elle n’est pas reconnue dans un système de dominance d’une culture sur d’autres et qu’elle n’est pas enseignée publiquement dès le plus jeune âge.
Encore peut-on espérer à terme l’échec et le dépassement total du système de l’État-nation mais ça c’est une autre histoire…

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