mercredi 25 mars 2009

Leyla Zana de nouveau en prison ?

Dans des éditos fort souvent pris au sérieux de personnes telles que Mehmet Ali Birand (sorte de journaliste turc vedette), il y a une rhétorique qui revient à tout bout de champ : il serait erroné de mettre des députés kurdes en prison. Non pas que cela violerait quelque liberté fondamentale, mais parce que ça apporterait de l'eau à leur moulin. Comprendre, ils pourraient ensuite s'adresser au reste du monde et accuser la République turque de répression et s'octroyer un rôle de victime.
En terme de logique pure, c'est le même genre d'argumentation qui sert à prouver qu'une femme violée est en fait coupable d'avoir attisé la réaction de son agresseur, qu'une personne n'avait pas à exposer une petite merveille de la technologie en pleine rue devant les yeux envieux de son voleur et on pourrait continuer comme cela.
À cela, s'ajoutent les nombreux clichés sur lesquels finalement rares sont les Turcs à avoir réfléchi jusqu'ici. Ceux du Kurde fourbe, adepte du coup dans le dos, qui ne comprend que le langage de la violence et qu'il faut sortir de la barbarie par une allégeance saine à la République.
À l'heure où Leyla Zana est à deux doigts de purger arbitrairement d'autres années de prison, c'est bien le genre d'arguments que l'on pourrait retrouver chez une certaine engeance intellectuelle.
Petite rétrospective chronologique sur le parcours politique de cette femme courageuse.

Octobre 1991
Leyla Zana est élue comme députée du HEP (ex-DEP, ex-HADEP, ex DEHAP, ex-DTP). Le HEP s'était alors allié avec le SHP, équivalent du CHP avant qu'il ne reprenne son nom. C'est cette stratégie qui avait permis l'élection de députés issus du mouvement pro-kurde pour la première fois.
Toujours en 1991, à l'occasion de cette élection, Leyla Zana et d'autres députés prononcèrent partie de leur serment en kurde et portèrent sur eux des couleurs évoquant le drapeau kurde. Contrairement à ce qui est habituellement cru ou attesté, cet acte de désobéissance civile ne leur a jamais valu la prison. En revanche, il soulèva un haut-le-coeur des kémalistes et les députés pro-kurdes furent alors bannis du SHP.


Mai 1993
Pressentant la future inderdiction du HEP poursuivi devant la Cour constitutionnelle, la plupart de ses députés, dont Leyla Zana, rejoignent le DEP nouvellement fondé.

Juillet 1993
La Cour constitutionnelle de Turquie déclare le HEP parti illégal. Ce n'est pas la prestation de serment mais l'activité générale du parti qui est visée. Celle-ci fut jugée à l'encontre de l'unité indivisible de l'État [devletin bölünmez bütünlüğü], l'une des rengaines doctrinales les plus ressassées en Turquie. Il n'est toujours pas question d'emprisonnement à l'encontre des députés pro-kurdes.

Mars 1994
L'immunité parlementaire des députés DEP est levée par le Conseil général de l'Assemblée nationale. Leyla Zana est placée en garde à vue et deux semaines plus tard elle est emprisonnée avec trois autres députés.

Juin 1994
Le DEP est à son tour interdit par la Cour constitutionnelle.

Décembre 1994
Leyla Zana et cinq autres députés de l'ex-DEP sont condamnés à 15 ans de prison pour appartenance à une organisation terroriste. La même année, elle avait déjà reçu le Prix Thorolf Rafto. Plus tard, son combat en faveur des Droits de l'Homme sera reconnu et récompensé de toutes parts au niveau international. Elle fut également évoquée pour le prix Nobel de la paix.

Octobre 1995
Leyla Zana reçoit le prix Bruno Kreisky.

Décembre 1995
Leyla Zana reçoit le prix Sakharov du Parlement européen, prix qu'elle ne peut venir chercher comme les précédents pour cause de détention.

Au cours de l'année 1998
Un certain nombre de ses lettres de prison est publié dans la presse. Elle reçoit une peine supplémentaire pour avoir exprimé des opinions séparatistes.


Juillet 2001
La Cour européenne des Droits de l'Homme rend un arrêt qui constate le caractère liberticide du procès dont a été victime Zana et ses coïnculpés. L'État turc n'en tient pas directement compte mais dès lors les pressions de l'Union européenne seront plus régulières à ce sujet.

Avril 2004
Suite à une nouveau procès, la sentence de Leyla Zana et de ses coïnculpés est confirmée par une Cour de Sûreté de l'État.

Juin 2004
Deux mois après la confirmation des peines, sur proposition du procureur de la Cour suprême (Cassation) et par une décision plus politique que judiciaire, Leyla Zana et les trois autres députés pro-kurdes sont libérés après 10 ans de détention. En effet, les Cours de Sûreté de l'État avaient été supprimées entre temps par réforme constitutionnelle.

Avril 2008
Une cour de justice turque condamne Leyla Zana à deux ans de prison pour “propagande en faveur d'une organisation terroriste”.

Décembre 2008
Une cour de justice turque déclare une nouvelle fois Leyla Zana membre d'une organisation terroriste en tenant “pour preuve” neuf de ses discours et la condamne à dix ans de réclusion, c-à-d la peine maximale prévue par l'article 314/2 du code pénal turc.

Janvier 2009
Estimant que la condamnation en première instance n'était pas suffisante, le procureur a fait appel de la première décision concomitamment à l'avocat de Leyla Zana. Le procureur demanderait plus de 45 années de prison en cumulant les peines afférentes aux différents discours. Ayant fait directement appel de ces deux décisions de justice, Leyla Zana est encore libre mais peut-être plus pour longtemps.

Le parcours de Leyla Zana est à l'image de celui de bien d'autres femmes et hommes politiques kurdes sans même parler des militants. Sa condamnation, si elle se réalise dans le silence, sera accueillie comme un contreseing à la politique répressive d'Ankara. C'est pourquoi, une pétition circule sur le net pour s'y opposer :


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