mercredi 23 avril 2008

Fascisme structurel et « peur du rouge » en Turquie

Quatre faits illustrant le caractère structurel du fascisme et la « peur du rouge » en Turquie ont défrayé la chronique ces derniers jours. C’est avec tristesse et dépit que je souhaitais les partager avec vous :

1. La semaine dernière, le maire de la petite bourgade égéenne de Dikili dénommé Osman Özgüven a été mis en examen pour « abus de pouvoir » et ce, pour avoir fait du social et rendu service à la population comme par exemple, des trajets en bus gratuits pour les étudiants, la distribution gratuite d’eau courante en deçà d’un certain seuil de consommation, des soins de santé quasi gratuits dans un centre médical de la municipalité et la vente du pain à un prix modique. Ce même maire avait été mis sous enquête en 1984 pour « propagande communiste » sous prétexte d'avoir fait peindre les trottoirs qui bordent la plage en rouge parce que, selon ses dires « cela faisait plus joli au moment du coucher du soleil ». M. Özgüven a déclaré que s’il est interdit de servir le peuple, il continuerait à commettre ce crime (source : Milliyet, 14 avril 2008).

2. Dans son édition du 22 avril 2008, la une du quotidien « Radikal » libéral de centre gauche, a informé qu’un policier dénommé Ercan Elmastaş avait été limogé pour avoir participé en novembre dernier à une conférence organisée dans les locaux de la municipalité de Tunceli sur le thème d’un projet de Constitution populaire alternative à la Constitution militariste et répressive actuellement en vigueur. La conférence avait été organisée par le Front pour les droits et les libertés (HÖC), une organisation sociale considérée comme une émanation du mouvement marxiste clandestin DHKP-C (Part-Front révolutionnaire de libération du peuple) et appuyée par de nombreuses organisations de gauche telles que le Parti du travail (EMEP) et le Parti pour une société démocratique (DTP) pro-kurde. Le malheureux policier aurait été exclu de la police pour avoir « attentivement écouté » et « applaudi » les conférenciers. Avoir des sympathies pour les idées de gauche ? Impardonnable pour le pouvoir. Mais que la police turque soit idéologiquement dominée par les « Loups Gris » fascistes liés au Parti d’action nationaliste (MHP) n’a jamais suscité la moindre opposition de la part des autorités et ce, depuis le coup d’état militaire du 12 septembre 1980.

3. Le 21 avril 2008, le Conseil des ministres a refusé de faire du 1er mai un jour férié sous prétexte qu’il y aurait trop de congés en Turquie et que cela coûterait 2 milliards de livres turques (grosso modo 1,2 milliards d’euros). Pourtant, le 1er mai est un jour férié dans 166 pays, soit dans 4/5 des pays de la planète (source : journal télévisé du Kanal D). Il est vrai que vu le nombre de fêtes célébrées à la gloire de la nation turque et de l’Islam sunnite, il ne reste plus beaucoup de place dans le calendrier...

4. Le 22 avril 2008, le gouverneur et la police d’İstanbul appuyés par le premier ministre ont refusé la demande de manifester sur la place Taksim introduite par les syndicats. Pourtant, à Taksim, tout peut s’organiser: feux d’artifice, concentrations de supporters de football et de hooligans, manifestations d’extrême droite, défilés militaires, … Tout sauf, des manifestations syndicales ou des rassemblements d’organisations de gauche. Taksim revêt une importance hautement symbolique pour le mouvement ouvrier car c’est là que les services secrets et les policiers turcs massacrèrent 34 travailleurs lors du 1er mai 1977. Depuis lors, toute manifestation du 1er mai y est interdite.

Manifestation nationaliste sur la
place de Taksim - 29 octobre 2005

Les organisations syndicales comme la Confédération révolutionnaire des syndicats ouvriers (DİSK) et même la Confédération ouvrière Türk-İş généralement très conciliante envers les autorités ainsi que plus de 50 associations et partis politiques de gauche ont fait savoir que malgré l’interdiction, ils manifesteraient sur la place Taksim. D’ores et déjà, on peut craindre le pire pour les manifestants.

Bahar Kimyongür

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