vendredi 15 février 2008

L'État turc met le paquet...

La décision de la Cour d'appel d'Anvers du 7 février dernier continue à susciter la réaction de la part de la Turquie au-delà de tout ce qui est concevable en Europe. Cependant, l'attention des médias européens est plutôt braquée sur le débat autour du port du voile dans les universités et sur l'interventionnisme du gouvernement au sujet d'un incendie probablement criminel dans un immeuble habité par des Turcs en Allemagne. Là-dessus, une parole qui mérite le détour de la part du premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan, qui fait de l'assimilation “un crime contre l'humanité”. Une phrase qu'il a d'ailleurs répétée devant l'assemblée turque après son retour de voyage.

Cette phrase n'est en effet pas anodine dans un pays comme la Turquie. Les kémalistes, qui se sont inspirés largement du modèle français de l'État au début du 20ème siècle, l'ont porté à son paroxysme pour former le nec plus ultra du jacobinisme, du centralisme et de l'unitarisme et par conséquent l'État le plus assimilationniste du monde. La réaction des milieux pro-kurdes qui dénoncent l'ethnocide de leur culture depuis de nombreuses années ne s'est pas fait attendre [cf : Yeni Özgür Politika (pro-kurde) vilipendant Erdoğan l'hypocrite qui interdit aux Kurdes l'éducation dans leur langue maternelle]. Toutefois, ce genre de contradiction flagrante est souvent relevé par les observateurs réguliers. Une schizophrénie turque dont la base la plus certaine est le nationalisme d'État, y compris au sein de l'AKP, le parti au pouvoir. On est ici dans dans le quasi domaine de la doublepensée orwelienne.

Revue de presse

Pour ceux qui doutaient encore de l'interventionnisme de l'État turc, ses réactions ont été à nouveau nombreuses cette semaine. L'État turc n'accepte définitivement pas le verdict du 7 février de la Cour d'appel d'Anvers, un verdict qui remet en question ipso facto toute sa politique fondée sur la lutte contre le terrorisme. On peut dire que cette politique englobe aussi bien des questions sociales de taille que les droits des minorités qui se retrouvent opportunément résumés à cette seule thématique : le terrorisme.

Dans une interview relatée mercredi dernier par le journal nationaliste Hürriyet, Çiçek a évoqué l'existence d'une réunion ministérielle à propos d'une réaction turque à portée internationale. Cette réunion aurait impliqué le Cabinet du premier ministre, les Affaires intérieures, la Défense nationale, les Affaires étrangères et le Cabinet du ministère de la Justice. Ensemble, ils auraient constitué un “groupe de travail” durant la semaine qui vient de s'écouler pour étudier “quelles sont les choses qui peuvent être faites”. Surtout, il a insisté sur le fait qu'une réaction officielle ne pourrait pas suffire. “Il faut aussi que nos corporations de métier montrent la sensibilité nécessaire à ce sujet et que leurs confrères expriment la réaction nécessaire aux institutions” a-t-il dit. Çiçek ne fait rien d'autre que de demander une implication des lobbies turcs actifs en Europe. Il cite notamment la TÜSIAD et le TOBB, deux patronats turcs très exercés à la pratique du lobbying, notamment à Bruxelles en ce qui concerne la TÜSIAD. Il demande aussi une réaction de l'Union des Barreaux de Turquie. Il ajoute enfin qu' “il serait nécessaire que les chambres de métier aient des choses à dire contre cette décision qui encourage le terrorisme”.

Le même jour, toujours dans Hürriyet, Mehmet Ali Birand, qui n'est rien de moins que le journaliste de la presse écrite le plus médiatique et le plus pris au sérieux, se lance dans un vibrant plaidoyer en faveur de l'application des lois antiterroristes. Partant, il mêle opportunément le verdict du procès d'Anvers à l'affaire du triple assassinat dans la tour du holding Sabancı en 1996 alors même que la Cour de cassation a déclaré la Justice belge compétente pour organiser un futur procès à ce sujet. De plus, à l'instar des premières réactions gouvernementales, M. A. Birand se plaît à parler de "réaction du public turc". Pourtant aucune manifestation et aucune réaction particulière n'ont été constatées jusqu'à présent. Ceci éclaire un autre aspect des médias turcs : ils s'occupent avant tout de fabriquer de toutes pièces l'opinion publique au profit d'un intérêt politique. Pour couronner le tout, il recommande rien de moins que d'apporter les modifications nécessaires à la loi belge pour que la Belgique arrive enfin à mettre les "terroristes" en prison. Du grand journalisme... turc.

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