mercredi 22 avril 2009

Avril, un mois difficile pour la gauche en Mer Noire


Photo : Les 5 victimes de lynchage à Trabzon (avril 2005)


Le 6 avril 2005, Zeynep Erdugrul, Cetin Güven et trois autres jeunes militants avaient été lynchés par une meute de plus de 2.000 personnes galvanisées par des provocateurs agissant pour le compte de la sûreté turque et ce, alors qu’ils distribuaient un tract de l’association d’entraide avec les familles de détenus (TAYAD) dénonçant les conditions inhumaines de détention dans les tristement célèbres pénitenciers cellulaires de type F. La rumeur selon laquelle ils étaient des terroristes, des séparatistes kurdes et des assassins de policiers se répandit comme une traînée de poudre, entraînant la folie furieuse de milliers d’habitants de la ville septentrionale de Trabzon.

Ces cinq jeunes activistes de gauche avaient ensuite été embarqués manu militari dans un véhicule blindé par des policiers qui voulaient prétendument les « sauver de la vindicte populaire ».

La violence et la lâcheté de la foule suscitèrent l’indignation de la société turque tandis que les victimes elles, à peine sorties de leur garde à vue, loin de se décourager, allèrent à la rencontre de leurs agresseurs pour les admonester et exiger des excuses. Leur patience porta ses fruits puisque non seulement, ils gagnèrent la confiance et le respect de nombre de leurs ex-lyncheurs, mais en plus, leur journal intitulé « Özgür Karadeniz’in Sesi » (La voix de la Mer Noire libre), pourtant résolument de gauche, devint très vite l’une des gazettes locales les plus lues dans la région.

Face à l’étonnante perméabilité de la population du littoral pontique à l’égard du message politique porté par une poignée de militants dans une région aussi hostile, gangrenée par le nationalisme, le fondamentalisme religieux et le racisme les plus acerbes, une région soumise depuis près d’un siècle à une intense campagne anti-chrétienne, anti-grecque, anti-arménienne et anticommuniste de la part du pouvoir central (puis anti-kurde à partir des années 1990, avec l’intensification de la lutte de libération nationale kurde), les membres de la sûreté turque avait toutes les raisons d’ourdir de nouvelles ruses.

Dans les régions de la Mer Noire, on est pourtant loin de la création du Soviet de Fatsa [*] et Fikri le Tisserand (Fikri Sönmez) son maire rebelle des années 70 est mort depuis bien longtemps dans les geôles du général Evren.

Néanmoins, le 11 avril dernier, la police opéra une vaste opération antiterroriste visant des milieux soi-disant proches du DHKP-C (Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple) à Trabzon, Rize et Istanbul. Trois jours plus tard, la 2e Cour d’assises d’Erzurum a émis un mandat d’arrêt contre 9 des personnes interpellées sous l’accusation de porter assistance à l’organisation marxiste clandestine.

Or, les policiers n’ont saisi chez ces militants que des livres et des journaux dissidents. Parmi les victimes de cette énième intimidation policière, on retrouve Zeynep Erdugrul, aujourd’hui âgée de 28 ans et Cetin Güven (30 ans) mais aussi quatre étudiants de l’Université technique de la Mer Noire. Les 9 militants de gauche se trouvent actuellement à la prison d’Erzurum.


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[*] Le 12 juillet 1980, le gouvernement Demirel envoya les blindés sur la petite ville de Fatsa qui connut la première expérience de démocratie participative grâce à l’action de la gauche radicale et de Fikri Sönmez, son maire, membre de Devrimci Yol (le Sentier révolutionnaire). A l’issue de cette opération militaire (baptisée « Nokta », c’est-à-dire « Le Point ») préludant au coup d’Etat du 12 septembre 1980, 300 personnes furent arrêtées dont le maire de la ville. Ce dernier mourut le 5 mai 1985 en prison sous la torture.

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