samedi 27 juin 2009

kemalizm is faşizm

En évitant de sombrer dans la basique reductio ad hitlerum, on peut se demander pourquoi la Turquie - comme État ou comme régime – offre un nombre important de similitudes avec la chose politique telle qu’elle a été éprouvée en Europe lors des pages les plus sombres de son histoire. Autodafés, nuits de cristal ou lynchages, militarisme ambiant, persécution des minorités, nationalisme exacerbé : les ressemblances ne manquent pas.

Plus que de similitude, c’est de parenté dont il s’agit et on aurait tort de penser que ce ne serait le fait que d’une voie marginale, d’une tendance tardive empruntée à un moment particulier de l’histoire ou d’une frange spécifique de la société turque. Typiquement “l’extrême-droite”, les “loups gris”, le MHP ou d’autres.

Passé ce constat, il est alors peut-être temps de faire le lien entre ces épiphénomènes et leur terreau originel, c’est-à-dire la pensée de Mustafa Kemal comme héritage suprême de la Turquie contemporaine.

Mustafa Kemal aux côtés d'Afet İnan

Le nationalisme kémaliste peut se voir comme une recherche de la pureté dans l’absolu et à plusieurs niveaux.

Pureté territoriale

Tout d’abord, c’est une pureté nationale des habitants vivant sur le territoire nouvellement constitué par l’évincement des identités concurrentes.
Raul Hilberg dans ses travaux avait distingué trois phases graduelles appliquées à l’encontre de l’identité juive en Europe dont la Shoah représentait le stade ultime, la solution finale.
En reprenant l’énonciation de ces étapes, on pourrait les résumer comme suit : “tu ne peux pas vivre parmi nous comme x”, “tu ne peux pas vivre parmi nous” et enfin “tu ne peux pas vivre”. Conversion, expulsion, annihilation [1].

Ces trois processus d’exclusion des identités hétérogènes ont tous été mis en application par le nationalisme turc naissant mais sans suivre forcément cette linéarité progressive. L’une des raisons étant qu’il a été déployé à l’encontre de plusieurs communautés à des intensités différentes. La conversion ne se limite bien entendu pas à son aspect religieux, elle peut aussi toucher à l’identité culturelle et à la langue.

L’extermination, on le sait, a touché essentiellement la minorité arménienne. Plus tard, le nationalisme turc sous la forme particulière du kémalisme a poursuivi abondamment l’application des deux premières formes d’exclusion pour accomplir la pureté territoriale en Anatolie.

Cela étant, des Arméniens ont continué à être massacrés par la suite, comme à l’occasion des révoltes fomentées par les kémalistes à l’intérieur de la Cilicie française. Lors de ce qui est traditionnellement appellé “la guerre d’indépendance” en Turquie, Mustafa Kemal désigne alors “les Chrétiens” comme l’ennemi par opposition aux populations musulmanes (ou définies musulmanes) de l’Anatolie. Les Arméniens constituent donc des cibles de choix [2].

Dès la première seconde, le kémalisme a été une idéologie raciste, fondée sur l’assimilation forcée et la pureté d’un espace turc à bâtir. Et il ne saurait en être autrement car il est lui-même issu du bain nationaliste des Jeunes Turcs qui en ont énoncé les premiers contours. La nouveauté du kémalisme résidant dans l’invention d’une Turquie [Türkiye] comme espace majoritairement peuplé de Turcs, écumé des populations non-musulmanes et programmant l’assimilation des musulmans hétérogènes. Des recherches ont démontré que cette vision au sein du kémalisme n’était pas une “perversion” ou un “dévoiement” du pouvoir mais bien un modèle complètement parachevé à ses débuts [3].

Mustafa Kemal n’a pas pris part au génocide arménien car il avait été affecté sur le front des Dardanelles. C’est ce qui lui donna l’opportunité de prendre le pouvoir plus tard (car il apparaissait notamment comme quelqu’un n’étant pas mêlé aux grands procès qui ont suivi) et de continuer le projet d’homogénéisation du Lebensraum turc entamé par ses prédécesseurs.

Par la suite, cette politique sera maintenue avec les explusions massives des Grecs d’Anatolie qui dépassèrent le million d’individus.
L’Anatolie débarrassée en grande partie de ses éléments chrétiens : Grecs, Arméniens, Syro-Chaldéens,... il restait encore à s’occuper de l’uniformisation de ceux qui y étaient restés.

Pureté de la race

L’un des critères qui définit la nation selon le kémalisme est “l’unité de race et d’origine” [ırk ve menşe birliği] qui coexistent à côté d’autres unités telles que “la langue”, “les liens de sang moraux”, etc... Cette assertion peut être vérifiée le plus simplement du monde sur le site du ministère turc de la culture et du tourisme en français dans le texte.

Au cours des années 30, Mustafa Kemal s’était entouré d’un certain nombre de “penseurs” censés fournir le bric-à-brac idéologique donnant légitimité à son régime.

La théoricienne chargée de prouver le caractère exceptionnel de la race turque ne sera autre que l’une de ses filles adoptives connues sous le nom d’Afet İnan qui écrira une thèse s’appuyant sur les théories racistes de l’époque [4]. Encore aujourd’hui, beaucoup de Turcs prennent très au sérieux ces études qui s’inscrivent dans cette tendance et qui consistent notamment à mesurer des crânes [5].

Le professeur Mehmet Yaşar İşçan

Très vite, il faudra prouver que les Turcs sont un peuple aryen au même titre que les Allemands, les Italiens, etc... pour justifier leur ancrage au sein de la civilisation. En l’occurrence, on fera usage de davantage de malhonnêteté intellectuelle encore pour faire coller la réalité aux thèses chères au fascisme [6].

La jeune Turquie kémaliste était alors mûre pour voir apparaître ce que l’on a appellé la théorie de la langue du Soleil [Güneş Dil] qui stipulait doctement que la langue turque n’était rien de moins que la mère de toutes les autres : la langue originelle. Afet İnan joua une fois de plus un rôle prépondérant dans cette voie en ajoutant sa signature aux recherches allant dans ce sens à côté d’autres pointures du régime kémaliste.

Pureté linguistique

C’est précisément dans cette perspective que le Türk Dil Kurumu fut fondé. Il s’agit d'un institut créé à l’initiative de Mustafa Kemal et censé reconstituer une langue turque originelle, épurée de ses emprunts arabe, persan ou européen. Le nom de cette sorte de novlangue est éloquent puisqu’il ne s’agit rien de moins que du “turc pur” [öz türkçe] où le lexique recensé est considéré – chimériquement, il faut bien le dire – de création totalement turque. Par ailleurs, à ce jour, personne ne parle couramment le “turc pur”.

L’article 134 de l’actuelle constitution turque consacre pleinement l'Institut de la Langue turque comme institution publique aux côtés des deux autres consacrés à l’Histoire et à la Culture, pareilles initiatives de Mustafa Kemal. C’est notamment au sein de telles institutions profondément kémalistes que l’on voit apparaître des personnages tels que Yusuf Halaçoğlu, certes connu comme un négationniste de la question du génocide arménien, mais également comme l’auteur de thèses racialo-historiques. On citera au hasard “l’inexistence” des Kurdes ou bien encore la conversion des Arméniens à l’origine des Alévis [7].

Yusuf Halaçoğlu (Institut d'Histoire turque)

De cette manière, les Turcs ne sont pas présentés seulement comme un peuple différent, c’est surtout un peuple qui a conservé le caractère originel de sa langue - outre celui de sa race au-delà du métissage - ce qui amène à la dernière étape de ce cheminement nationaliste : le classement inter-racial.

Supériorité

La pureté “acquise” sur le plan “épistémologique”, le discours peut alors s’orienter sur la supériorité de la nation turque.

Lors du dixième anniversaire de la fondation de la République, Mustafa Kemal devenu Atatürk veut marquer le coup et fait composer un chant connu sous le nom d’Onuncu Yıl Marşı. Littéralement : la Marche de la Dixième Année. À ce jour, ce chant est inculqué à l’écolier turc au même titre que l’hymne national. Il s’agit en fait d’un panégyrique où il est question des Turcs dont les poitrails sont les remparts de bronze de la République et de la patrie pure dont la carte a été dessinée avec le sang [turc]. La supériorité du Turc y est entre autre affirmée de manière explicite comme suit : « Türk'üz bütün başlardan üstün olan başlarız » que l’on peut traduire par « nous sommes Turcs, les premiers d’entre les premiers » (litt. : « nous sommes Turcs, les têtes au-dessus de toutes les têtes ») [8].

À côté de cela, on trouve toute une série de citations attribuées à Mustafa Kemal qui attestent de la supériorité de la nation turque [9] :

« Je connais les nations occidentales, toutes les nations du monde. Je connais les Français, je connais personnellement les Allemands, les Russes et toutes les nations du monde. Ces rencontres, je les ai faites au front, sous le feu. Face à la mort. Je peux vous le garantir en jurant que la force morale de notre nation est plus forte que celle de tous les nations »

« La nation turque est supérieure à toutes les nations tant dans l’héroisme que le talent et la dignité »


Ceci ne se veut qu’une esquisse brève de la parenté entre le fascisme originel et le kémalisme tel qu’il a été initié, l’hérédité des systèmes totalitaires qui le concerne. On ne saurait assez écrire à ce propos et à vrai dire, il y aurait beaucoup de choses à énumérer. Hamit Bozarslan cite notamment les délégations dépéchées par Mustafa Kemal auprès de l’Italie fasciste et de l’URSS stalinienne dans une quête d’inspiration pour la fondation de son propre régime [10]. C’est sans doute l’une des meilleures illustrations mais elle est loin d’être la seule.

Il y a maintenant deux choses à signaler. Tout d’abord la neutralité de la Turquie durant la Seconde Guerre mondiale, ce qui a impliqué que ce régime se soit inscrit dans une certaine continuité sans jamais avoir pu être relativisé. Ensuite, l’intangibilité du mythe kémaliste dogmatisé au point le plus haut que l’on puisse imaginer par l’État (et plus particulièrement l’État militaire) mais aussi renforcé sans doute par ce regard appréciateur de l’Occident qui y cherche non pas une source d’inspiration mais un reflet satisfaisant.
Il est clair que l’accomplissement d’une Anatolie démocratique ne pourra se faire que par la rupture nette du kémalisme, mais aussi de tous ses symboles et références. Si l’on en croit la sagesse d’Héraclite né sur ses terres, ce processus, bien qu'urgent, s’accomplira un jour ou l'autre. En revanche, cela risque de prendre du temps.

1/2KL


Notes :

[1] Raul HILBERG, La Destruction des Juifs d’Europe, Paris, Gallimard, 2006.
[2] Vahe TACHJIAN, La France en Cilicie et en Haute-Mésopotamie - aux confins de la Turquie, de la Syrie et de l’Irak (1919-1933), Paris, Éditions Karthala, 2004, p. 127 ; p. 184.
[3] Sur la constance de l’idéologie kémaliste : Vahe TACHJIAN, op. cit., pp. 184-189 ; lequel cite notamment Mardin ŞERİF, Religion and securlarism in Turkey in The Modern Middle East : A reader, édité par Albert HOURANI, Philip S. KHOURY et Mary C. WILSON, Londres, 1993, pp. 347–371.
[4] Afet İNAN, L’Anatolie, le pays de la Race Turque. Recherches sur les caractères anthropologiques des populations de la Turquie, Genève, 1939.
[5] Il en est ainsi par exemple du professeur Mehmet Yaşar İşcan, professeur d’un département de médecine à l’Université d’İstanbul qui avait révélé très naturellement la conclusion de ses recherches sur la pureté de la race turque, dite “aryenne” [ari ırk Türk] dans la revue Tempo.
[6] Bernard LEWIS, The emergence of Modern Turkey, New York, Oxford University Press, 1961, p. 360.
[7] À titre d'exemples : les spéculations de Yusuf Halaçoğlu sur l’origine supposée des Kurdes dans Radikal 20/08/2007 ou bien celles sur la désormais très classique pseudo-origine turque des Étrusques et donc, par extension, de toute la civilisation romaine dans Radikal 08/06/2007.
[8] Les sites officiels reprenant l’Onuncu Yıl Marşı sont légions mais on peut la consulter, par exemple, sur le site du gouvernorat d’İstanbul.
[9] Ces citations sont traduites, tirées de biographies citées et consultables elles aussi sur le site du ministère turc de la culture et du tourisme.
[10] Hamit BOZARSLAN, Histoire de la Turquie contemporaine, Paris, La Découverte, 2004, pp. 30-31.

lundi 15 juin 2009

La dernière audience du procès DHKC à Bruxelles

«Pour une conférence de presse où a été lu un communiqué –pour "une conférence de presse" je dis bien–, le Procureur Johan Delmulle réclame dix ans de prison à l’encontre de Musa Aşoğlu. "Dix ans", soit la même peine que celle à laquelle a été condamné Nizar Trabelsi qui s’apprêtait, lui, à faire exploser une bombe dans une base belge de l’OTAN».

Après cette entrée en matière «surréaliste», Jan Fermon va expliquer (quatre heures durant, quatre heures sans s’arrêter) pourquoi, dans la présente affaire, on se doit de prendre en compte un évident «état de nécessité». Un état qui explique et justifie les cinq armes, les faux papiers d’identité, les cachets «officiels» contrefaits –toutes choses retrouvées à Knokke en 1999.
Quatre heures donc pour évoquer ce qui, en Turquie, est habituel, récurrent et fonctionnel : la violence d’Etat, dans son exaspération ordinaire et ordurière. Deux cent quarante-deux minutes exactement pour avancer… près de cinquante exemples.
De l’emprise de l’armée sur l’ensemble des superstructures étatiques à l’incrustation de la mafia dans celles-ci (avec l’aval de l’Etat-Major), Fermon n’aura que peu de temps pour faire entrer dans le prétoire une sorte d’émotivité progressivement portée jusqu’à l’émotion. Des histoires de militants d’extrême gauche aux corps torturés, déchiquetés, écrasés, broyés, noyés, révolvérisés, scarifiés, brûlés, gazés, violentés, violés, vitriolés, passés à l’électricité… Par les forces de sécurité, les services spéciaux (organisés au sein des Corps de police ou des différents départements de l’armée), les escadrons de la mort liés au ministère de l’Intérieur, les officines secrètes financées par la CIA, ou les nervis délégués par la pègre pour assassiner les opposants politiques.
Exemple ? Turan Ünal. Ce tortionnaire, spécialisé dans l’enlèvement de militants et la disparition de leurs corps, faisait partie de diverses unités spéciales (dont l’unité 03) et du Service «Renseignements» de la gendarmerie. Ainsi, le 31 mars 1998, il a participé à l’enlèvement à İzmir de quatre membres du DHKC –l’étudiante Neslihan Uslu, Metin Anda (un villageois qui militait contre l’implantation d’une entreprise d’extraction de l’or, Eurogold, empoisonnant la nature au cyanure), le militant Mehmet Ali Mandal et le syndicaliste Hasan Aydoğan. En compagnie de ses sbires, Ünal les a torturés dans une caserne militaire à Foça, a en partie broyé leur corps et a embarqué les restes dans une barque qu’il a fait exploser au large de Seferhisar, une localité proche d’İzmir. Ensuite, lui et ses complices ont célébré cette «opération réussie» dans un club de vacances de Çeşme appelé Fly-Inn. Ünal a aussi participé à de nombreuses séances de torture dans les centres les plus connus de la section antiterroriste d’İstanbul, au laboratoire de recherche approfondie (DAL) à Ankara, au casino Bayrak, dans les locaux des services secrets de la gendarmerie de Yenimahalle, dans les centres de torture à Izmir, en Phocée, à Üçkuyular. En avril 1998, il a créé une association culturelle ainsi qu’une bibliothèque populaire dans le village de Diphaciköy en province d’Amasya pour y attirer le potentiel de gauche et infiltrer les milieux proches des camps de guérilla tant du DHKP-C que du TKP-ML. En juillet 1996, Ünal a participé à plusieurs enlèvements et à la répression contre les familles des disparus qui avaient manifesté en marge du Sommet sur le logement Habitat. Selon des témoignages concordants, il a activement participé aux séances de sévice. Il a également mis sur pied des réseaux d’informateurs dans les montagnes d’Egée et du Taurus pour filer les combattants du DHKC. Il a commis des activités de provocation dans les campus universitaires de Hacettepe, de Beytepe et à la Faculté des Sciences politiques d’Ankara. Idem à İstanbul, où il a tenté d’infiltrer les milieux progressistes de la Faculté des Lettres et a organisé des rafles parmi les étudiants de gauche afin d’intimider et pousser ses victimes à la collaboration.
Durant ses activités de kidnapping menées de novembre 1995 à novembre 1998, Turan Ünal n’a évidemment jamais cessé de s’enrichir : par les trafics de drogue et d’armes, des trafics «sous hautes protections»… «Poing» final ? Le 8 juillet 1999 dans un communiqué explicatif, le DHKC a ouvertement revendiqué l’exécution de cet assassin de masse, dont les missions étaient inspirées, commanditées et couvertes par les plus hautes autorités.

SANS SUITES...
Sur quatre cents plaintes déposées par des victimes de tortures (ou par leurs proches) auprès des organes de Justice turcs compétents, toutes ont été classées «sans suites»... Sauf une (dont les conclusions se font toujours attendre). Pour porter illustration de ces brutalités pour tout dire inimaginables, J. Fermon tendra vers les juges des photos à la vérité insoutenable. Notamment des clichés de la tuerie exécutée au pénitencier d’Ulucanlar (Ankara) par les forces de sécurité... le 26 septembre 1999, lors d’un raid à la kalachnikov. Sur ces documents, on voit distinctement des dizaines de prisonniers politiques dont les cadavres ont été pulvérisés sous les coups de crosse et les balles.
Enfin, Fermon se fera une ultime fois honneur –en prenant en flagrant délire les revendications pénales avancées par le Procureur fédéral contre l’association TAYAD. On le sait ce mouvement (regroupant en Turquie, mais aussi dans la plupart des pays européens, les familles de détenus politiques emprisonnés ou disparus) ne devrait selon J. Delmulle bénéficier d’aucun droit de cité en Belgique parce qu’«il fait partie de la même structure terroriste que le DHKP-C». Autrement dit, TAYAD devrait désormais être purement et simplement interdit en Belgique... «alors que ce n’est aucunement le cas en Turquie» –où ce mouvement a une représentativité sociale et une influence démocratique indéniables. Pour preuve, Fermon fait valoir un reportage photo publié dans l’un des derniers numéros de la revue (sur papier glacé) du HÖC Front for Rights and Liberty»). Des illustrations panoramiques où l’on peut voir treize mille (13.000) sympathisants lors d’un concert donné à Istanbul au profit de TAYAD et 30.000 (30.000) manifestants défilant pour soutenir son combat et ses revendications. Bref une amplitude publique qui n’a rien à voir avec l’habit et l’habitude terroristes dont le Parquet fédéral voudrait travestir cette courageuse organisation…

Fallait-il s’en douter ? Passé 13 heures, le président de la Cour d’Appel invoque un exposé à la longueur compromettante pour refuser à la défense ce qui lui avait été reconnu chichement la veille. La projection des deux vidéos à la durée écourtée ? «Eh bien, ça ne sera pas possible. Vous comprenez ?». Fermon ne comprend pas mais pour Antoon Boyen, c’est comme ça et pas autrement.

Après l’interruption «13 heures 25-14 heures quart», la seconde partie de cette audience finale va donc s’engager au pas de charge. D’abord Raf Jespers (sur la notion de recours justifié à la violence face à la tyrannie, et à la souveraineté populaire pour construire de la démocratie), auquel succède Nadia Lorenzetti. Prenant directement à partie Kris Vincke, l’avoué chaque fois plus désavoué, l’avocate se limite à un considérant et à une admonestation : «Revendiquer des dommages et intérêts au nom d’un Etat mafieux, morbide et criminel, c’est tout simplement choquant. Messieurs de la Cour n’y donnez, s’il vous plaît, aucune suite».
Puis Alexander et Fermon, tous deux courtissimes. Après quoi, une demi-heure est squeezée par Delmulle (là, pour la première fois de la journée, les trois juges n’arrêtent pas de prendre des notes). Premier temps, le représentant du Ministère public passe la pommade et l’onguent («Les faits de répression exercés par l’Etat turc, et qui ont été cités ce matin, sont détestables et intolérables. Cela ne justifie pas pour autant l’action violente du DHKP-C»), après quoi il balance le vitriol et un récit acidifié faisant des accusés des crapules certifiées. Vincke prend le relais pour répéter, comme à chacune de ses interventions, combien le régime «démocratique» turc est droit dans ses bottes («La preuve que les militants du DHKP-C, incarcérés ces dix dernières années, n’ont jamais été les victimes d’un prétendu terrorisme d’Etat, c’est que les 122 d’entre eux qui sont morts l’ont été par leur propre et seule volonté, lors de grèves de la faim qu’ils avaient eux-mêmes décidées»). Une lecture carrément révisionniste de l’Histoire turque contemporaine –de la part d’un avocat acheté, transformé en parfait vendu. Car pour refuser leur transfert dans les nouvelles prisons dites de type F (où les militants auraient été inévitablement transformés en cohortes de morts-vivants), l’opinion démocratique et les secteurs progressistes de la société civile n’ont jamais cessé de réclamer l’ouverture de négociations. Dès juillet 2000 précisément –où pour trouver une solution pacifiée à même de respecter l’identité, l’intégrité des détenus politiques, et mettre un terme à leurs grèves de la faim voire de la soif…, même l’écrivain Orhan Pamuk (devenu, en 2006, Prix Nobel de littérature) fera partie des négociateurs. En vain. Les autorités, roublardes et revanchardes, feront tout pour ralentir l’avènement d’un compromis acceptable par les détenus (espérant, de la sorte, les forcer à mettre fin à leur mouvement de protestation).

TRONQUÉ, DONC TRUQUÉ
Qui risque le plus dans ce dossier tronqué et truqué (où les faits défaits ont été sciemment trafiqués par le Parquet) ? Musa Aşoğlu.
Celui-ci prendra donc la parole. 120 minutes nécessaires pour clarifier ce qu’il est juste d’entendre par «terreur» et par «démocratie». Une démonstration développée sur un ton étonnamment posé et calme. Sauf, une seule fois –quand Musa mettra directement en cause le défenseur du régime turc et l’obscénité d’un Etat coupable d’avoir massacré 28 prisonniers sans défense –dont la seule «violence» était de revendiquer des droits élémentaires.
Dernier à pouvoir s’expliquer : Bahar Kimyongür. Égal à lui-même. Généreux, altruiste, entier. Toujours là pour revendiquer les gestes qu’il avait posés, et l’affirmation irrépressible de les recommencer exactement pareils «si c‘était à refaire».
Après ces explications improvisées (partagées entre une juste véhémence, du bon sens et un zeste d’humour), Antoon Boyen en fera confirmer les affirmations factuelles par l’intéressé lui-même. Des précisions –formant pièce à conviction, versée au dossier– et que les trois magistrats du siège devront apprécier pour constituer leur jugement.
«Nous essaierons de rendre notre Arrêt le 14 juillet», conclura un Président au style en rien révolutionnaire.

Jean FLINKER

Voir les comptes rendus des audiences sur le site du Clea.