lundi 8 décembre 2008

Grup Yorum sort un nouvel album: "Sans résignation" (Başeğmeden)




A l’occasion de son 23e anniversaire, le groupe musical légendaire Yorum vient de sortir son 20e album.

Cette fois, le groupe militant anatolien se présente devant ses fans avec de nouvelles mélodies, de nouvelles tonalités en respect du principe qui consiste à « appréhender le présent sans oublier le passé pour mieux aborder l’avenir ».

Toujours plus audacieux dans l’expérimentation des mélodies rock, « Grup Yorum » se risque à pratiquer pour la première fois et avec brio le genre hip-hop.

Sur le plan du contenu, le groupe Yorum reste fidèle à sa mission historique : incarner la voix des peuples en lutte contre la tyrannie et semer l’espoir pour un monde de justice, de liberté et de dignité.

Le groupe dédie entre autres une élégie poignante à Abir Kassem Hamza Al-Janabi(Abir’e agit), cette petite irakienne de 14 ans violée par des soldats américains puis brûlée vive et exécutée avec sa famille. La voix de la cantatrice trempe dans les larmes et le sang du martyre du peuple irakien avant de céder sa place à une explosion de colère anti-impérialiste intitulée « Amérique tire-toi », (Defol Amerika). Il s’agit d’un hymne chanté par une chorale qui regroupe pas moins de 70 vedettes de la chanson anatolienne.

Les 122 héros de la résistance carcérale sont également à l’honneur dans une ballade intitulée « Serment sur votre amour » (Sevdaniza and olsun).

Parmi eux, Ibrahim Erler, l’ « amoureux de la rose » (Güle Sevdali), ce révolutionnaire d’origine tsigane qui fut grièvement blessé durant l’assaut militaire du 19 décembre 2000 dans les prisons, revit à travers une mélodie rom baignée du son irrésistible de la clarinette. Cet hommage à Ibrahim est encore plus bouleversant lorsque l’on se rappelle que durant l’assaut, il perdit tous ses doigts et qu’il succomba à ses blessures le 18 septembre 2001 après s’être immolé par le feu dans sa cellule de la prison de type F de Tekirdag, pour protester contre l’assassinat par la police de quatre de ses camarades dans le quartier d’Armutlu.

La légèreté de la mélodie n’atténue pas pour autant la charge voire la décharge émotionnelle que provoque le drame évoqué avec pudeur.

De même, les mots de tendresse que l’humoriste immortel Aziz Nesin (1915-1995) adresse « à nos enfants » (Cocuklarimiza) ne laisseront sans doute personne, indifférent:



Si je pouvais pleurer, tant pleurer les enfants,

Qu’il ne vous reste plus une seule larme.

Si je pouvais frissonner, tant frissonner les enfants,

Que vous n’ayez plus jamais froid.

Si je pouvais souffrir, tant souffrir les enfants,

Qu’il ne vous reste plus, vraiment plus une seule douleur.

Si vous pouviez rire, tant rire les enfants,

Qu’il n’y ait plus, vraiment plus personne qui soit encore triste.



Avec « notre mère est une » du poète militant Enver Gökçe (1920-1981), Grup Yorum rend également hommage à la fraternité entre les peuples et particulièrement entre les peuples turc et kurde.

Pour atténuer la souffrance, l’humour est souvent le meilleur exutoire. C’est sans doute dans cette optique que le Grup Yorum a recouru à la « joute » (atisma) une forme musicale très appréciée en Turquie. Dans ce cas-ci, un gratte-ciel arrogant nargue des masures de bidonvilles qui sont loin de se laisser faire…

Ensuite l’inoxydable Comandante Che Guevara de Carlos Puebla est chanté dans un espagnol aux accents turcs rythmé du saz anatolien.

Décédé en exil en août dernier, un autre leader qui marqua à jamais l’histoire sociale de la Turquie est à l’honneur dans cet album. « Nous serons toi » (Sen olacagiz) promet la chanson qui lui est dédiée.

Par ailleurs, le groupe chante un poème de Ümit Ilter, monument de résistance actuellement incarcéré à la prison de type F de Bolu. Ümit Ilter y raconte son enfance de manière cocasse et sa désillusion après avoir réalisé que Superman n’était pas forcément l’ennemi du mal et que Washington ne désignait pas uniquement une variété d’oranges…

« Sans résignation » (Basegmeden) est comme tous les précédents albums du groupe, un florilège d’émotions exaltant l’amour pour l’humanité et pour les lendemains qui chantent.

Chaque âme sensible et solidaire y trouvera certainement son coup de cœur.

Vient de paraître: Turquie, terre de diaspora et d'exil

Histoire des migrations politiques de Turquie

Prix de la Fondation Info-Türk




S’il est une douleur qui unit les Turcs, les Kurdes, les Arméniens, les Arabes, les Juifs, les Assyro-Chaldéens, les Musulmans sunnites, les Alevis et les Yézidis de Turquie, c’est l’exil.

Ce livre retrace l’histoire des mouvements migratoires en partance et à destination de l’Anatolie. Il analyse en particulier l’exil politique provoqué par les juntes militaires turques de 1971 et 1980. Il décortique le contexte de la “guerre froide” qui amena les généraux turcs à éradiquer les divers courants de gauche, principaux sujets à l’exil. Il décrit ensuite la vie associative des communautés diasporiques et transnationales engendrées par la répression militaire ainsi que le point de vue et l’attitude des mouvements de résistance antifascistes à l’égard de l’exil.

Enfin, l’auteur présente une catégorie particulière d’exilés à laquelle il adhère lui-même : celle des “demi-exilés”, ces enfants d’immigrés de la deuxième ou de la troisième génération, dotés de la double nationalité, mais recherchés dans le pays d’origine de leurs parents à cause de leur “activité dissidente”.

Ce livre démontre avec pertinence le caractère inéluctable des diverses formes d’émigration à partir de la Turquie en l’absence d’une démocratisation sincère et radicale de ce pays.

Né en 1974 à Bruxelles, Bahar Kimyongür est licencié en archéologie et en histoire de l’art. Il milite pour la défense des minorités et l’émancipation sociale en Turquie, un engagement qui lui vaut d’être poursuivi et harcelé sous l’accusation abusive d’activité terroriste par le Parquet fédéral belge ainsi que par le régime d’Ankara.


Pour commander le livre: commandes@couleurlivres.be


ISBN 978-2-87003-509-2 / novembre 2008
136 pages / format 15*22 cm / 15 euros

mardi 25 novembre 2008

Enième opération d'intimidation de l'Etat allemand contre des militants turcs

Le communiqué ci-dessous de l'association démocratique visée par la répression policière de l'Etat allemand, nommément la Fédération anatolienne, se passe de tout commentaire.



Que veut l’Etat allemand ?

Que recherchent les procureurs allemands qui s’en prennent à des associations démocratiques ?

Le 5 novembre 2008 à 7h du matin, les portes d’associations situées à Cologne, Dortmund et Duisburg et liées à notre Fédération ainsi que celles de la centrale de notre Fédération ont été éventrées par la police allemande, le matériel détruit, l’argent, les ordinateurs et les appareils photo et autres accessoires saisis.

Au total, trois de nos amis, dont la présidente de notre Fédération, ont été arrêtés et mis en examen. Les perquisitions ont duré plusieurs heures. Même les visiteurs de nos associations n’ont pas été épargnés : ils ont été contrôlés et leur accès à nos locaux, entravé.

Auparavant, nous, membres de la Fédération anatolienne, avons subi de nombreuses agressions illégales de la part de l’Etat allemand. Et malgré tout le tapage qui a entouré ces multiples perquisitions, à ce jour, pas un seul inculpé n’a été puni suite à celles-ci. Cela montre bien le caractère arbitraire de ces rafles.

Depuis sa création, la Fédération anatolienne se veut être la voix de nos concitoyens vivant en Europe. Elle a toujours été aux côtés et à l’avant-garde de la lutte pour les droits démocratiques, sociaux et culturels. Elle a contribué à amplifier la voix des victimes des lois discriminatoires et racistes. A travers la mise sous silence de la Fédération anatolienne, c’est toute une population que les autorités veulent faire taire. Nos trois camarades aujourd’hui arrêtés ont ardemment milité pour faire entendre les sans-voix. C’est manifestement la raison pour laquelle l’Etat allemand tente de les criminaliser sur base de la même rengaine de « l’antiterrorisme » et de lois franchement terroristes.

Les associations qui ont été aujourd’hui saccagées par la police, ont pourtant été créées en vertu de la loi allemande et ont mené une activité tout à fait démocratique. Qui plus est, les camarades arrêtés vivent légalement en Allemagne dans des domiciles connus.

Les mandats de perquisition donnent l’impression que ceux-ci ont été concoctés par les procureurs fascistes de l’Etat turc.

Il est grand temps que l’Etat allemand cesse de réprimer les militants associatifs et de s’ériger en porte-parole de l’Etat turc. Il est temps pour lui de respecter ses propres règles de droit avec équité.

Nous demandons la libération immédiate de Nurhan ERDEM, Cengiz OBAN et Ahmet İSTANBULLU dont l’arrestation ne repose sur aucune base légale.

Quoique nous soyons les cibles actuelles de cette répression, en réalité, ce sont les libertés d’opinion et d’organisation qui sont menacées. Par conséquent, nous attendons de l’opinion publique démocratique qu’elle s’oppose à ces agressions et qu’elle joigne sa voix à la nôtre.

Stop à la répression contre les associations démocratiques.
Stop aux violations de la liberté d’expression et d’association.
Liberté pour nos camarades.

Fédération anatolienne (Anadolu Federasyonu)
Cologne, le 5 novembre 2008

Une nouvelle affaire Engin Ceber ?

Le sang d’Engin n’a pas encore séché que deux militants de gauche, Ileri Kizilatlun (inculpé DHKP-C) et Fehmi Capan (inculpé MLKP) ont été battus par des militaires à la prison smyrniote de Kiriklar.
L’administration Erdogan osera-t-elle encore proclamer la « tolérance zéro pour la torture », un slogan auquel de nombreux démocrates avaient naïvement cru durant la campagne électorale qui s’était soldée par une victoire écrasante du parti de l’actuel premier ministre ?
Nous publions ci-dessous le communiqué de deux ONG turques (IHD et ÇHD) relatif aux supplices que les deux militants ont subis le 3 novembre dernier, durant leur transfert à l’hôpital.


Nouveau cas de tortures et de mauvais traitements dans les prisons

Le 3 novembre 2008, les détenus Ileri Kizilaltun et Fehmi Capan incarcérés à la prison de type F n° 1 de Kiriklar, ont été sauvagement tabassés par les militaires d’abord dans le véhicule pénitentiaire puis en prison.

Le lendemain, des avocats membres de la section d'Izmir de l'Association des juristes progressistes ont rencontré Kizilaltun et Capan et par la même occasion, ont dressé un rapport sur les mauvais traitements qu'ils ont subis.

D’après les récits de Kizilaltun et Capan :

Dans le véhicule les menant à l'hôpital, ils auraient été frappés à la tête par 8 à 10 soldats et deux sergents agissant sous les ordres d’un lieutenant. Les nombreuses traces de coups que les avocats de l'Association des juristes progressistes ont pu observer sur leur visage confirment les témoignages des deux victimes.

Apres les avoir plaqués et battus au sol, les militaires les auraient été traînés hors du véhicule par les pieds, de manière à ce que leur tête cogne les marches métalliques du véhicule.

Les gendarmes les auraient ainsi traîné Kizilaltun et Capan jusqu'au point de fouille et auraient continué à les frapper dans cet endroit, à l’abri de toute camera de surveillance.

Kizilatun et Capan auraient ensuite été traînés jusqu’à l'entrée de la prison puis auraient été jetés devant le portique à rayons X.

Ils auraient eu les mains menottées tout au long de leur calvaire.

Suite aux coups qu’il a reçus, Capan aurait perdu connaissance.

En raison des coups que les militaires leurs auraient porté à la tête :

Le visage d'Ileri Kizilaltun est recouvert d’ecchymoses et la tête, de contusions.

L’œil gauche de Fehmi Capan est gonflé. Les avocats ont constaté des plaies et des points de sutures sur sa tête et son front.

Les avocats ont pu voir tout cela durant leur visite dès le lendemain des faits.

Privés de soins médicaux

Malgré leur état de santé critique, ils auraient été relevés comme un sac de pommes de terre alors qu’ils gisaient devant le portique à rayons X puis pour être emmenés à l’infirmerie.

Malgré le fait que leurs blessures nécessitaient une hospitalisation urgente, il leur a fallu attendre 3 heures avant l’arrivée de l’ambulance.

Aux urgences, ils n’ont été auscultés que superficiellement. La radiographie de leur tête n’aurait pas été effectuée et ils n’ont pas bénéficié de soins médicaux.

Kizilaltun et Capan auraient tenté d'expliquer aux personnes qui les entouraient que malgré les tortures qui ont subies, ils n'ont reçu aucun soin à l'hôpital.

Mais pour les empêcher de parler, on les aurait bâillonné avec une bande adhésive pour colis.

Etant parvenus à s’en débarrasser, on leur aurait ensuite enfoncé un rouleau de gaze dans la bouche.

Après leur hospitalisation formelle, ils auraient été remis en cellule sans faire l’objet d’une enquête judiciaire.


Kizilaltun et Capan doivent-ils se considérer comme des personnes chanceuses pour avoir survécu à leurs mauvais traitements ?

Les prisons restent à ce jour encore une plaie ouverte.

Avant que n’éclate une nouvelle affaire Engin Ceber et que d’autre détenus comme Kizilaltun est Capan ne soient battus, l'opinion publique se doit de se tourner vers les prisons et inciter les autorités à agir de manière responsable.

Nous invitons donc les autorités à prendre les mesures nécessaires afin que Kizilaltun et Capan soient immédiatement soignés et à poursuivre les auteurs de ces actes.


Le 5 novembre 2008

Association des droits de l’homme (IHD)
Section d’Izmir


Association des juristes progressistes (ÇHD)
Section d’Izmir

jeudi 20 novembre 2008

« J’ai tué près de 1.000 personnes »



« Dans la lutte contre le terrorisme, j’ai dû tuer près de 1.000 personnes » a révélé Ayhan Carkin, un membres des équipes d’opérations spéciales (Özel Harekat Timleri) invité aux studios d’« Arena », une émission très populaire présentée par journaliste vedette et très conservateur Ugur Dündar et retransmise le soir du 21 octobre sur Star TV.



Photo: Escadrons de la mort à l'oeuvre durant le massacre de Gazi en mars 1995


Cet aveu vient confirmer ce que l’ex-chef de la contre-guérilla, ex-chef de police, ex-directeur de la Sûreté , ex-gouverneur, ex-ministre de l’intérieur, ex-ministre de la justice et actuel président du Parti de la Juste Voie (DYP, droite) ainsi que baron de la drogue, Mehmet Agar, avait déclaré en mars 2000 dans le cadre d’une enquête parlementaire sur le scandale Susurluk : « Nous avons mené 1.000 opérations pour le compte de l’Etat »…

Nous, familles et sympathisants des victimes de ces nervis, ne sommes que très peu étonnés de ces déclarations.
Gageons toutefois que cette info éclairera ceux qui douteraient encore du caractère terroriste et fasciste d’un Etat qui est à l’image de ses agents sanguinaires sans foi ni loi.

Qui est Ayhan Carkin ?
Ayhan Carkin est né en 1962 à Erzurum. Issu d’une famille pauvre, il aurait abandonné ses études durant le lycée en raison du « terrorisme », selon ses dires. En 1985, il s’inscrit aux « opérations spéciales », une formation donnée par la Direction de la Sûreté générale. Son professeur n’est autre que le lieutenant colonel Korkut Eken, un autre mercenaire plusieurs fois récompensé par l’armée pour ses basses besognes. Les deux hommes seront symboliquement condamnés dans la très sale affaire Susurluk qui révéla les liens entre politiciens, trafiquants d’héroïne, chefs de police et nervis fascistes membres des Loups Gris.
C’est Korkut Eken qui fera de lui une machine à tuer. Carkin est d’abord envoyé dans les provinces kurdes pour éliminer les militants du PKK. Après avoir fait ses armes dans la guerre contre les patriotes kurdes, il est rappelé à Istanbul pour liquider les militants du Devrimci Sol (le mouvement qui en 1994, deviendra le DHKP-C).
Première mission, l’opération de Nisantasi menée le 11 juillet 1991 au cours de laquelle 11 militants du DHKP-C sont exécutés. La Cour européenne des droits de l’homme condamnera la Turquie pour cette opération meurtrière qualifiée d’ « exécution extrajudiciaire ». Dans sa deuxième opération urbaine, menée dans le quartier de Ciftehavuzlar à Istanbul, Carkin assassine le 17 avril 1992 trois figures importantes du DHKP-C dont Sabahat Karataş, l’épouse du secrétaire général du mouvement révolutionnaire[1].


Photo: Eda Yüksel et Sabahat Karataş, deux militantes du DHKP-C exécutées par Ayhan Carkin et ses sbires le 17 avril 1992

Après chaque opération, il est traduit en justice puis acquitté…
Le 13 août 1993, il participe au massacre de Perpa, une opération contre le DHKP-C menée dans un centre commercial stambouliote : 5 morts. Le corps de Selma Citlak, la caissière d’une cafeteria sera retrouvé criblé de 18 cartouches. Après ses exécutions, Ayhan Carkin déposait souvent un revolver au côté de sa victime.
Il exécutera plusieurs dizaines d’autres militants du mouvement : le 14 juillet 1992, Nurten Demir et Ismail Akarçesme à Kasimpasa (Istanbul), le 23 avril 1992, Ibrahim Yalçin à Kartal (Istanbul), le 24 mars 1993, Ibrahim Yalçin Arikan, Avni Turan et Recai Dinçel à Bahçelievler (Istanbul), le 10 avril 1996, Mustafa Bektas et Muharrem Karakus à Göztepe (Istanbul), …
Ayhan Carkin, le « Rambo turc » comme le surnomme la presse, aurait également trempé dans le massacre de Gazi, le 12 mars 1995. Dans ce quartier, des émeutes avaient éclaté après que des escadrons de la mort eurent ouvert le feu sur des établissements fréquentés par la communauté musulmane progressiste alévie abattant un vieillard et un jeune homme et blessant 25 autres. La chasse à l’homme à laquelle se livreront Carkin et ses acolytes dans les jours qui suivirent cette fusillade coûtera la vie à dix-huit personnes.
Mais à chaque fois, grâce à ces nombreuses protections et à la culture de l’impunité entretenue et encouragée par la « justice » turque, Ayhan Carkin ne sera jamais écroué pour ces innombrables crimes abominables.

Justice pour toutes les victimes d’Ayhan Carkin et de ses sbires.

C’est là notre seule exigence.

Tayad Komite
Le 22 octobre 2008


[1] On retrouvera 40 cartouches dans le corps de Sabahat Karataş, 58 dans le corps d'Eda Yüksel et 45 dans le corps de Taşkin Usta

Torture partout, justice nulle part

Photo: Une "Mère Courage" brandissant sa carte d'identité aux policiers qui tentent de disperser une manifestation pacifique organisée par l'association d'entraide avec les familles de prisonniers politiques (TAYAD) à Ankara.


Ci-dessous, un communiqué du Comité international de soutien aux familles des prisonniers politiques (Tayad Komite) qui rend compte de l'état de la santé de la "démocratie turque".

Bruxelles, le 18 octobre 2008

Des cercueils continuent de quitter les prisons de Turquie

Engin Ceber, 29 ans, mort sous la torture
Le 28 septembre dernier, Engin Ceber est arrêté avec 3 autres personnes à Istanbul, alors qu’ils distribuaient la revue « Yürüyüs » (un hebdo de gauche) et manifestaient contre l’impunité dont bénéficiaient des policiers qui un an plus tôt, avaient abattu, Ferhat Gerçek, un autre distributeur de la revue Yürüyüs âgé de 18 ans et désormais paralysé à vie. En garde à vue, Engin Ceber, est sauvagement torturé au commissariat, puis à la prison de Metris où il sera incarcéré.
Le 10 octobre, il succombe à ses blessures. Sa mort démontre que la torture demeure une pratique systématique couverte à tous les échelons de l’Etat. En effet, le médecin qui ausculta Engin au plus fort de ses séances de torture a rédigé un rapport qui concluait que Engin Ceber était en bonne santé... Par ailleurs, le dossier d'instruction concernant la mort d’Engin Ceber est actuellement frappé du secret, ce qui peut entraîner toutes sortes de manipulations de la part du juge d’instruction. Dans l’affaire Ferhat Gerçek par exemple, les enquêteurs ont fait disparaître la principale pièce à conviction, à savoir le T-shirt du jeune militant transpercé par la balle du revolver du policier...
Enfin, le ministre turc de la justice a eu beau s’excuser auprès de la famille d’Engin, la seule mesure qu’il a prise a été le limogeage de quelques matons. Or, en Turquie, les tortionnaires limogés ne sont quasi jamais poursuivis et pire, ils sont promus à des postes plus élevés.

6.000 tortionnaires identifiés, 0 tortionnaire en prison !
Il y a 8 ans, 21 prisons étaient prises d’assaut par l’armée. Le but de cette vaste opération militaire appelée cyniquement «retour à la vie» était de déporter les détenus politiques vers de nouvelles prisons, dites de « type F » au régime carcéral encore plus dur, basé sur un isolement total. Du 19 au 22 décembre 2000, au total 28 détenus seront abattus par les militaires à coups de fusils automatiques, de lance-flammes, de matraques et de gaz toxiques.
Rien qu’à la prison de Canakkale, trois détenus seront massacrés par les militaires. Pourtant, le 16 septembre dernier, la justice turque a acquitté les 563 militaires assassins inculpés dans l’assaut de la prison de Canakkale.
Cette impunité n’est pas un cas isolé : la Fondation turque des droits de l’homme (TIHV) vient d’annoncer qu’en 2006 et 2007, sur les plus de 6.000 policiers et militaires turcs faisant l’objet d’une plainte pour tortures, seuls 223 ont été jugés dont 79 ont été officiellement « condamnés ». Pourtant, aucun de ses 79 agents de l’Etat n’a été incarcéré ! En revanche, rien qu’en 2006, 10.207 personnes ont été condamnées pour «rébellion» contre la police. Ce bilan suffit largement à démontrer le caractère policier de l’Etat turc. Qui plus est, le gouvernement AKP vient d’annoncer qu’il comptait augmenter les compétences de la police (loi 2559). La révision de cette loi en 2007 avait provoqué une augmentation sensible des exécutions extrajudiciaires…

Le ministre turc de la justice trahit sa propre parole !
Le 20 octobre 2000, les prisonniers politiques de Turquie entraient en grève de la faim contre le projet des prisons de type F.
Le 22 janvier 2007, au bout de plus de six années de grève de la faim qui coûteront la à 122 détenus, amis et proches, le ministère turc de la justice publie la circulaire n°45/1 qui autorise les prisonniers à se rencontrer sans condition préalable, par groupe de 10, pendant 10h par semaine. Ce droit de rencontre et de conversation est d’une importance vitale pour des prisonniers soumis à un univers cruel, de solitude et de non-droit. Pourtant, près de deux ans après sa parution, non seulement, cette circulaire n’est toujours pas appliquée mais en plus les mesures disciplinaires arbitraires et les passages à tabac ont sensiblement augmenté depuis. La mort d’Engin Ceber témoigne de ce regain de violence à l’égard des détenus politiques.
La situation dans les prisons de type F est devenue tellement intenable que les prisonniers parlent de reprendre la grève de la faim qu’ils avaient suspendue le 22 janvier 2007. Cette déclaration des détenus nous inquiète au plus haut point car la reprise de leur jeûne risquera d’entraîner de nouveaux décès. Nous ne voulons plus voir ce défilé macabre de cercueils quittant les prisons. C’est pourquoi, en tant qu’amis et parents des détenus politiques de Turquie, nous demandons au ministre turc de la justice de respecter sa parole.

Stop à la torture et à l’impunité !
Respect de la circulaire 45/1 qui prévoit le droit de conversation entre détenus.


Tayad Komite (Comité de soutien aux familles des prisonniers politiques de Turquie)
Pour tout contact: tayadkomite@hotmail.com

Après la chaise roulante de Ferhat, le cercueil d'Engin...

Photo: Engin Ceber, brandissant la photo de Ferhat, quelques minutes avant son arrestation fatale...


Communiqué d'Amnesty International sur la mort d'Engin Ceber des suites de tortures :


Turquie. Un mort à l’issue d’une garde à vue

10 octobre 2008

Amnesty International demande l’ouverture dans les meilleurs délais d’une enquête indépendante et impartiale sur les circonstances de la mort d’Engin Ceber, vingt-neuf ans, décédé ce vendredi 10 octobre des suites des tortures que lui auraient infligées des policiers et des membres du personnel pénitentiaire et de la gendarmerie.
Engin Ceber avait été arrêté le 28 septembre, en même temps que plusieurs autres personnes, alors qu’il manifestait contre l’impunité dont continuent de bénéficier les autorités turques dans l’affaire Ferhat Gercek, abattu il y a un an.

Engin Ceber aurait été déshabillé, frappé à coups de pied et battu de manière répétée avec des matraques en bois pendant sa garde à vue et pendant sa détention provisoire. Selon son avocat, il aurait été transféré dans un hôpital le 7 octobre pour des blessures à la tête. Il est décédé des suites de ses blessures dans l’après-midi du 10 octobre.

« La mort d’Engin Ceber est une nouvelle preuve que les actes de torture et les mauvais traitements sont monnaie courante dans les lieux de détention en Turquie. Les responsables présumés de la mort d’Engin Ceber doivent être traduits en justice, a déclaré Amnesty International ce vendredi 10 octobre.

« Les autorités turques doivent montrer que de tels actes ne resteront pas impunis. »

Deux autres personnes, arrêtées en même temps qu’Engin Ceber et qui auraient également été torturées, sont toujours en détention provisoire à la prison de Metris à Istanbul.

Amnesty International lance un appel en faveur d’une action urgente pour demander aux autorités de veiller à ce que ces deux personnes ne soient pas soumises à des actes de torture et autres mauvais traitements et qu’elles reçoivent les soins médicaux dont elles pourraient avoir besoin.

Militant paralysé à vie


Le drame vécu par Ferhat Gerçek constitue un énième exemple de la cruauté que les élites turques réservent aux opposants de gauche.

Au cours du mois d'octobre, la section belge francophone d'Amnesty International a lancé une campagne de soutien à ce jeune militant victime de la terreur policière en Turquie. Détails dans le site Isavelives.be






Le 7 octobre 2007, des militants – parmi lesquels Ferhat Gerçek – vendaient un magazine (légal) de gauche, lorsqu'ils ont été pris à parti par la police. Au plus fort de l’altercation, la police a ouvert le feu. Ferhat Gerçek, touché au dos, est paralysé à vie.

Selon l’acte d’accusation, les policiers ont agi en état de légitime défense, mais aucun rapport d’expertise n’a été produit pour étayer ce fait.
L'avocat de Ferhat Gerçek déclare que le Procureur n'a pas mené d'enquête criminelle, ce qui serait arrivé lors d'une procédure normale. Une preuve cruciale, le tee-shirt que portait Ferhat Gerçek lorsqu'il a été abattu a été égaré par la police. En outre, plusieurs policiers présents sur les lieux de la fusillade ont participé à l'enquête.
L'acte d'accusation considère autant Ferhat Gerçek que sept policiers comme victimes et comme suspects. S'il est reconnu coupable, Ferhat Gerçek risque 15 ans de prison. Les policiers inculpés le sont en rapport avec l'usage excessif qu'ils ont fait de la force. Des lacunes dans l'enquête laissent craindre que l’auteur du coup de feu sur Ferhat Gerçek pourrait échapper à la justice.
Il y a également des soucis à se faire pour le procès à venir qui devrait débuter le 24 décembre 2008.
Selon l'avocat de Ferhat Gerçek, l'un des témoins de la fusillade est également poursuivi par la justice et risque une peine de prison similaire.
Tout semble fait pour décourager d'autres témoins potentiels à se manifester.
Amnesty a appris que deux personnes qui avaient été témoins de la scène et avaient fourni les premiers soins à Ferhat Gerçek ont également été poursuivies.


Modèle de lettre

Monsieur le Procureur,

Le 7 octobre 2007, Ferhat Gerçek, un militant de gauche, a reçu une balle dans le dos tirée par un policier lors d'une altercation avec la police, le laissant paralysé à vie.

Selon l’acte d’accusation, les policiers ont agi en état de légitime défense, mais aucun rapport d’expertise n’a été produit. Il n'y a pas eu d'enquête criminelle et une preuve cruciale, le tee-shirt que portait Ferhat Gerçek quand il a été touché, a disparu, tandis qu’un témoin oculaire est lui aussi poursuivi par la justice. Le procès devrait s'ouvrir le 24 décembre 2008 et, s'il est reconnu coupable, Ferhat Gerçek risque 15 ans de prison.

En tant que membre/sympathisant(e) d'Amnesty International, j'appelle les autorités turques à assurer à Ferhat Gerçek un procès équitable.

Espérant une réponse favorable à mes requêtes, je vous prie d'agréer, Monsieur le Procureur, l'expression de ma considération distinguée.

Signature :Nom :Adresse :

Lettre à adresser à :

Monsieur le Procureur de Bakirkoy, Rahmi Tan Bakirkoy Cumhuriyet bassavcisi Bakirkoy Adliye Sarayi 34144 Osmaniye Bakirkoy Istanbul Turquie

Copie à envoyer à :

Ambassade de Turquie Rue Montoyer, 4 1000 Bruxelles Fax : 02 514 07 48 E-mail : info@brugge-turkishconsulate.be

mardi 26 août 2008

La gauche de Turquie perd un doyen

Dursun Karataş, secrétaire général du Parti révolutionnaire de libération du peuple (DHKP) et figure éminente de la lutte antifasciste et anti-impérialiste en Turquie, s’est éteint le 11 août dernier aux Pays-Bas, des suites d’un cancer.

Il n’avait que 55 ans et pourtant, avec les 38 années de sa vie passées dans les premières lignes de la lutte, il était l’un des doyens de la gauche turque. Dans un pays où, en raison de la terreur d’État, « les morts restent jeunes » comme dirait Anna Seghers, où la génération militante des années 70, est massivement rentrée dans les rangs du système, Dursun Karataş était une exception, un homme à la volonté d’acier dont on retiendra les discours enflammés dans les tribunaux de la junte fasciste du 12 septembre 1980.

Sur 38 années de militance, il en a passées 10 sous les feux du terrorisme d’extrême droite qui ensanglantait les rues durant les années 1970. D’origine kurde, le jeune Karataş dirige la lutte des lycéens et puis des étudiants universitaires tout en organisant la résistance des habitants des quartiers populaires pour le logement et des milices d’autodéfense contre la terreur des Loups Gris. En 1978, il fonde Devrimci Sol (Gauche révolutionnaire), un mouvement communiste de guérilla urbaine. Quelques semaines après le coup d’État de 1980, il est arrêté, torturé puis incarcéré à la prison militaire de Selimiye. En captivité, Karataş lance un mouvement de désobéissance à outrance pour contrer le programme de réhabilitation des prisonniers résistants élaboré par la CIA et destiné à pacifier les forces de gauche. Il participe à plusieurs longues grèves de la faim, dont celle de 1984, contre le port de l’uniforme. En 1989, il s’évade de la prison de Bayrampaşa. La police lance un ordre de l’abattre sur-le-champ. En avril 1992, son épouse, Sabahat Karataş, membre du comité central de Devrimci Sol, ainsi que plusieurs dirigeants du mouvement, sont abattus dans une embuscade de la police à Istanbul. Il vivra de 1989 à sa mort, soit pendant 19 ans, dans des strictes conditions de clandestinité sous la menace permanente d'être abattu par des malfrats à la solde de l'État turc.

Confronté à une crise interne déclenchée par les nombreuses pertes humaines des suites d'opérations policières, le mouvement Devrimci Sol qu’il dirige renaît de ses cendres en 1994 sous le nom de Parti révolutionnaire de libération du peuple (DHKP). Il s’agit d’un parti clandestin doté d'un front regroupant plusieurs secteurs de lutte (culturel, syndical, étudiant, associatif, carcéral, droit des minorités, militaire...), le DHKC. Il en est nommé secrétaire-général. Mais à partir de 1998, il est confronté à un cancer du foie, qui s’étend aux intestins, aux poumons et finalement au cerveau ce qui ne l’empêche pas de continuer à diriger son parti jusque 6 jours avant sa mort.

Décédé le 11 août, sa dépouille a été rapatriée en Turquie le 13 et inhumée le 15 dans le quartier stambouliote de Gazi. Ce jour-là, près de 15.000 manifestants se sont réunis pour lui rendre un dernier hommage. De nombreux représentants de partis progressistes étaient présents aux funérailles parmi lesquels le parti communiste (TKP) et le parti pro-kurde (DTP).

BK

dimanche 3 août 2008

Vague d'arrestations en France contre la gauche turque

Jusqu'à maintenant, la France apparaissait plutôt comme une terre "DHKC-friendly". Bien sûr, ceci est à prendre avec des pincettes et n'est relatif qu'à ce qui se passe ailleurs en Europe. Mais, tout de même : fête de l'huma avec stand DHKC, et ce en dépit des multiples pressions de toutes parts, concerts et manifestations avec nom, drapeaux et slogans du mouvement bien en vue, etc... Depuis de nombreuses années, les sympathisants, nombreux en France, n'ennuyaient personne et personne ne les ennuyait.

Il semble que cet état de fait soit en train de changer à grands coups de politique sarkozyste. Harmonisation européenne ? Il y a sans doute de ça. Volonté d'adoucir les relations diplomatiques franco-turques suite au blocage sur la question de l'adhésion ? C'est probable. Quoiqu'il en soit, dans pareille situation, le choix d'instruire ou de poursuivre sur tel ou tel dossier n'est jamais politiquement neutre.

Ainsi donc, il y a deux mois, une série de perquisitions ont été menées au domicile de plusieurs membres de l'Association anatolienne de culture et de solidarité située à Paris. Cette association est issue de la gauche turque proche de la sphère Dev Sol. Plusieurs inculpations du chef d'appartenance à une organisation terroriste ont été lancées et certaines personnes sont toujours en détention provisoire, en attente de leur procès. L'intervention lourde de la police avait été rapportée par Halkın Sesi.

Nezif Eski, membre de l'association et désormais sous contrôle judiciaire, a écrit une lettre dans laquelle il relate en détail ce qu'il lui est arrivé en juin dernier. Il a fait aussi parvenir une courte biographie qui contraste avec l'étiquette de criminel que les autorités françaises tentent de lui coller aujourd'hui.
Il semblerait aussi que des questions aient été posées directement en rapport avec la procédure judiciaire ayant court en Belgique. De plus, l'intervention de la police française à l'encontre de cette association s'est déroulée à peine un jour avant le verdict de la cassation à Bruxelles qui a ouvert la voie à un quatrième procès contre des sympathisants du DHKC. Cette opération française et les inculpations qui en ont découlé induisent l'ouverture de deux nouveaux procès simultanément : l'un en Belgique et l'autre en France. Comme cela devient coutumier dans ce genre d'affaire, la seule chose que l'on reproche aux inculpés relèverait du « crime associatif » et de la pénalisation de « l'appartenance à ».

Affaires à suivre...

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mercredi 25 juin 2008

Visite de messieurs les députés

Et pour preuve que cette loi et tout ce qui gravite autour constituent une énorme comédie, hier, dans son édition du soir, la RTBF parlait d'une visite de parlementaires à une militante incarcérée pour « terrorisme » qu'ils ont eux-même participé (indirectement) à envoyer en prison. Mais puisqu'ils commencent à supposer que la loi mettrait à mal les libertés, voilà donc tous les militants bien rassurés.
Comme le dit le journaliste, une telle visite, ce n'est pas courant, certes... mais ce n'est pas la première fois.




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Procès du DHKP-C : c'est reparti pour un tour

Ça y est, la Cour de cassation a rendu sa décision suite au pourvoi du Parquet. Elle souhaite un nouveau procès en appel.

En se penchant sur l'argument utilisé pour invalider tous les acquittements, on se rend compte que la limite entre fond et forme est bien mince. L'évaluation de la Cour de cassation, qui ne peut se prononcer que sur la forme, a pourtant bien des relents d'opinion sur le fond. Le juge qui a cassé l'arrêt de la Cour d'Anvers est toutefois le même à avoir cassé les deux précédentes décisions.

Ainsi, la Cour d'appel d'Anvers aurait mal interprété la loi. Plus exactement, l'arrêt rendu par la cour ne serait pas suffisamment étayé car elle aurait écarté les chefs d'inculpation d'organisation à vocation criminelle, d'organisation à vocation terroriste et direction de telles organisations en établissant qu'il n'y avait pas d'association. Or, d'autre part, il y aurait bien association entre les suspects. Donc, l'arrêt est invalidé... Selon la défense, au contraire, l'arrêt était un exemple de rigueur dans son rejet, un par un, des arguments fallacieux du Parquet. C'est ce qui ressort de De Morgen qui a été le premier média à relayer l'info.

Nous aurons donc une prochaine saison antiterroriste prometteuse puisqu'un « quatrième procès DHKP-C » est sur le feu. Sans compter, les soubresauts de l'affaire du Secours Rouge qui réservent encore bien des surprises. Il faudra donc redémontrer depuis le début le flou déployé par le Parquet, le caractère liberticide de la loi et la toute relativité dans la dénomination de "terroriste". Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'application de cette loi donne des sueurs à la Justice et que nous sommes en train d'assister là à l'une de ses énièmes contorsions.

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mercredi 18 juin 2008

Mieux vaut tard...

Dans son édition d'hier soir, la RTBF a consacré un reportage (à l'instar d'autres chaînes) à propos de la lettre envoyée au journal Le Soir par leur journaliste. Le ton reste des plus prudents. Les faits sont toutefois présentés assez objectivement.
La presse flamande a aussi répercuté cette information [De Morgen].




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mardi 17 juin 2008

Le Cauchemar

Voici la lettre écrite par Wahoub Fayoumi, journaliste à la RTBF et militante du Secours Rouge, depuis la prison de Berkendael après son arrestation survenue le 5 juin dernier. Elle a été arrêtée et incarcérée en même temps que trois autres militants. Le journal Le Soir a fait paraître cette lettre aujourd'hui.

Entre parenthèses, notons la "déontologie" de la RTBF qui jusqu'à maintenant n'a jamais pu tenir ces mots : "notre collègue Wahoub Fayoumi". Elle a été traitée comme n'importe quel quidam de l'actualité alors que son nom a signé maints documentaires et reportages auparavant. Ceci n'est pas anodin quand on connaît la solidarité qui s'exprime d'habitude au sein de la profession, particulièrement lorsqu'il s'agit de dénoncer l'incarcération injuste de confrères.

Plus généralement, aujourd'hui, on peut raisonnablement penser que c'est ce qui pend au nez de tout militant syndicaliste, gauchiste ou de l'associatif issu de différentes causes.


Le Cauchemar ; lettre de prison

Je suis journaliste. Mais ce n'est pas pour ça que j'écris aujourd'hui. Ce texte est mon témoignage. Quelque chose d'immense et d'effrayant m'est arrivé, il y a plus d'une semaine.
C'était jeudi. Le 5 juin, c'est l'anniversaire de mon compagnon. A 5h00 du matin, on frappe à la porte. Je dormais encore, je m'habille vite, ça a l'air important. Lorsque j'ouvre, je vois des policiers dans la cage d'escalier. Il y en a beaucoup. Je pense à un cambriolage. On me dit que c'est pour une perquisition. Chez moi ? « Vous venez chez moi ? » je dis. Oui. Je leur demande pourquoi. « On ne sait pas. On a juste un mandat. » Ils entrent. « Vous êtes seule ? Vous êtes sûres ? » Ils sont 6 ou 7. Ce n'est pas normal. « Que ce passe-t-il ? » je dis. Sur le papier, il y a écrit « terrorisme », « urgence ». « Vous êtes privée de liberté, madame ». On ne réalise rien à ce moment-là. On ne comprend simplement pas les mots. La tête tourne. Ils fouillent. Tout. La cuisine, la salle de bain, mes vêtements, mes livres. Ils mettent des choses de côté, ils disent « on saisit ». ça dure 3 heures. Ils prennent les ordinateurs, des affiches, des livres, un bouquin en arabe. Je leur dit « je dois aller au travail. » « Je ne pense pas que ce soit possible ». Je voudrais téléphoner, mon GSM est déjà saisi. Mon équipe attendra à Reyers, mon compagnon aussi, je ne verrai pas mon frère qui prépare un voyage de plus d'un an en Espagne et au Mali. Personne ne saura où je suis aujourd'hui.
« Au bureau » comme ils disent, c'est l'interrogatoire. Des questions sur mon nom, mon âge, mon loyer, mon numéro de carte de banque, mes opinions politiques, mes amis. Des heures passent, je commence à trembler. Aux questions auxquelles je réponds « je ne sais pas », ils insistent. Avant de comprendre ce qu'ils veulent. Le choc se diffuse lentement, à chaque question. C'est l'après-midi. J'aperçois des hommes cagoulés, armés. Ils viendront me chercher. Il doit être 17 ou 18 heures. Je suis menottée, attachée par une corde que tiennent deux hommes. Je suis masquée, je ne peux rien voir. Trajet en voiture. Sirènes hurlantes, escorte. Arrivée au Palais de Justice. Des couloirs, des ascenseurs, je ne vois rien. On s'arrête. Un homme m'enlève les menottes, mains sur la tête ; un autre, le masque. Je suis face à un mur gris. Une porte se ferme. Je n'ai vu personne. Je n'ai rien vu à part cette porte grise qui s'est fermée, grise comme les murs, comme le rebord en béton. Les murs lisses, affreusement lisses. Il n'y a aucune ouverture. J'ai l'impression d'étouffer. Envie de taper sur ces murs lisses. Je ne dois pas pleurer. Personne ne m'a dit un mot. J'attends. Des heures. 20h ? 22h ? Interrogatoire chez la juge d'instruction. « Vous n'avez pas tout dit ». Un cauchemar qui se poursuit. Je ne sais pas où j'ai mal. Ça va s'arrêter, j'en suis sûre. Je pleure quand elle parle de ma famille. C'en est trop.
A nouveau le cachot. Ma tête est raide. Je m'allonge sur le rebord en béton. Quelle heure est-il ? Est-ce que le temps s'allonge ou se rétrécit ? On reviendra me chercher. Chez la juge, dans ce bureau allumé au fond d'un couloir. « J'ai hésité » elle dit. Alors je sais. Sur mon mandat d'arrêt, il est 2h30.
C'était il y a une semaine et quatre jours. Beaucoup de choses à dire sur le mandat d'arrêt, sur l'inculpation, sur les méthodes.
Des méthodes de cowboys, des interrogatoires où on renverse la charge de la preuve. On m'a épiée, surveillée, mise sur écoute, analysé mes comptes bancaires et mon écriture, depuis plus d'un an. Attendait-on de moi que je conforte une hypothèse de départ ? Que je donne des noms qui alimenteraient leur idée ? Leur enquête est restée désespérément vide. Est-ce pour cela que je suis en prison ? Sommes-nous là parce qu'il DOIT y avoir quelque chose ? Il suffirait alors de bien peu : d'affirmer des solidarités, d'avoir des idées politiques. Je l'ai entendu à notre charge, ces idées politiques ont été présentées comme en soi terroristes !
Je n'ai jamais caché mon engagement. Il est public, libre et réfléchi. Défendre des étudiants, des sans-papiers, des prisonniers politiques, se battre pour un monde plus juste, ce ne sont pas des engagements dont on doit avoir honte. Si je n'avais pas été ici, j'aurais été devant ces prisons, j'aurais écrit des communiqués, j'aurais contacté des associations.
La souffrance de ma mère et de mes frères, la solitude de mon compagnon, la tristesse de mes amis, l'incompréhension sur mon lieu de travail, la privation de liberté de quatre militants, la criminalisation de la solidarité, sont-ils des prix à payer ?

Wahoub
Prison de Berkendael

mardi 10 juin 2008

Le Parquet fédéral poursuit sa chasse aux sorcières

L'issue du dit « procès du DHKP/C » a été un échec complet du point de vue du Parquet fédéral, fer de lance de la lutte antiterroriste en Belgique. Celui-ci a toutefois porté un recours en cassation. Virtuellement, si la Cour de cassation devait lui donner raison, ce serait la quatrième fois - oui, la quatrième fois ! - qu'on pourrait rejuger les mêmes "faits". La décision logique après la première audience qui doit se tenir aujourd'hui est l'invalidation définitive de cette requête dans les prochains jours. Du moins, c'est ce que chacun est en droit d'espérer.

Malgré cela, emporté dans une frénésie jusqu'au-boutiste, aveuglé par ses propres erreurs grossières, le Parquet fédéral alias le procureur Johan Delmulle continue à s'en prendre aux cercles communistes. Dernièrement, ce sont quatre militants du Secours Rouge qui ont été mis sous écrous. Le même Secours Rouge avec qui nous manifestions ce Premier Mai (voir post précédent). Le même Secours Rouge qui a apporté tant de fois sa solidarité aux ex-prisonniers du « procès du DHKP-C » désormais acquittés pour les charges de terrorisme. Aujourd'hui, ce sont eux les "terroristes". Doit-on s'en étonner ?

Caricature de Kroll dans Le Soir du 07 juin

Pourtant, loin d'être un sympathisant communiste, comme la simple lecture de ses articles suffit à s'en convaincre, le journaliste Marc Metdepenningen se fait de plus en plus ouvertement critique vis-à-vis de cette croisade paranoïaque dont nous sommes tous les spectateurs.

La ligne d'inculpation épouse désormais une voie des plus classiques : pas de faits, pas de preuves irréfutables, seulement des suppositions, la criminalisation d'une intention, le "principe de contamination" qui fait qu'une personne inculpée et/ou condamnée contamine toute autre personne qui lui témoigne de la solidarité, l'exposant à son tour à des sanctions.
En fait, la stratégie du parquet fédéral est archi-connue. Elle repose sur la peur et la théorie des jeux.

En 1964, une jeune femme, Kitty Genovese a été assassinée par un tueur fou à New York devant plus de 30 personnes. Ceci renvoie aussi au drame qui vient de se dérouler dernièrement à Tokyo. Dans les deux cas, trois ou quatre personnes (au minimum) de bonne condition physique auraient pu maîtriser le forcené ; certains auraient pu même appeler de l'aide pour faire cesser le massacre. Au lieu de cela, les gens sont demeurés spectateurs et ont laissé faire, ce qui a provoqué l'incompréhension et le scandale.

Plusieurs théories contemporaines ont été utilisées afin d'expliquer la non-réaction des gens. Parmi elles : la diffusion de responsabilité (science sociale), l'ignorance pluraliste (psychologie sociale) et la théorie des jeux. Cette dernière affirme que les premiers qui agissent sont aussi les premiers qui s'exposent au coût de la sanction. Alors qu'il est profitable à tout le monde d'agir pour faire cesser une situation injuste qui est aussi préjudiciable à tous et que le coût peut être limité si beaucoup se mobilisent, bien au contraire, la théorie des jeux démontre que personne n'agit et que le coût tend à être maximal pour tout le monde. Ceci tient essentiellement au fait que l'incitant de ne pas agir et de voir cesser la situation est plus intéressant que celui d'agir pour le même résultat, ce qui aboutit au pire des scenari.

Les militants du Secours Rouge illustrent parfaitement cette théorie. Ils payent le prix fort pour la solidarité qu'ils apportent aux autres militants. En même temps, le message qui est véhiculé est très clair : "si vous affichez la même proximité, vous vous exposez aux mêmes sanctions". Cela revient à interdire une opinion et son expression. La peur et la dissuasion.

Cette stratégie n'est efficace que si les différents acteurs cèdent à la peur et ne veulent pas assumer le risque d'un coût en le relèguant à d'autres. De quoi se remémorer la citation attribuée au pasteur Martin Niemöller détenu au camp de concentration de Sachsenhausen :

Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes
Je me suis tu, je n'étais pas communiste.
Lorsqu'ils sont venus chercher les syndicalistes
Je me suis tu, je n'étais pas syndicaliste.
Lorsqu'ils sont venus chercher les sociaux-démocrates
Je me suis tu, je n'étais pas social-démocrate.
Lorsqu'ils sont venus chercher les juifs
Je me suis tu, je n'étais pas juif.
Puis ils sont venus me chercher
Et il ne restait plus personne pour protester.

À considérer qu'il n'y eût jamais de cassation et d'appel dans l'affaire du « procès du DHKP-C », aujourd'hui nous aurions quatre innocents toujours en prison auquels se seraient ajoutés les quatre militants du Secours Rouge encore plus facilement inculpés. Et demain ?
D'abord les communistes Turcs, ensuite les ex-CCC, plus tard les communistes ou anarchistes lambdas, les syndicalistes qui contestent trop fort, les militants qui dénoncent trop haut.

Oui, Wahoub Fayoumi, Constant Hormans, Abdallah Ibrahim Abdallah et Bertrand Sassoye sont nos camarades. Non, nous n'avons pas peur de leur apporter notre solidarité.

En revanche, Johan Delmulle, c'est une tentative d'extradition vers les prisons turques d'isolement sur un citoyen belge, c'est l'organisation d'un tribunal d'exception à Bruges digne des sections spéciales créées sous Vichy, c'est l'utilisation de moyens financiers et techniques considérables de l'État pour remplir les prisons surpeuplées de... militants. N'est-il pas temps pour les autorités gouvernementales de couper quelques têtes et de faire le ménage au sein de la magistrature ?
Sans toutefois être naïf au point de croire que cela puisse résoudre le problème structurel de la paranoïa antiterroriste.

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dimanche 4 mai 2008

Et à Bruxelles...

À Bruxelles, comme dans le reste de l'Europe, j'imagine, des sympathisants de divers mouvements d'opposition à l'État turc ont défilé aux côtés des autres organisations de gauche. Voici quelques photos prises lors du cortège du Premier Mai organisé par le Secours Rouge.


Sympathisants, respectivement, du MLKP et du PKK.
Un PKK moins bien représenté que les autres années toutefois.



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vendredi 2 mai 2008

Ce sera pour l'année prochaine...

Finalement, comme l'année passée, Taksim n'aura pas été prise. Radikal rapporte un bilan d'au moins 100 blessés et 500 personnes placées en garde à vue.

Tout indique que la police a mené une "action préventive" au siège du DİSK dès les premières heures de la journée, sans doute pour briser au plus tôt toute velléité de manifester. Le bâtiment a été littéralement assiégé et ensuite attaqué aux gaz lacrymogènes et ce, jusqu'à midi. Les forces de police ont ensuite continué leurs attaques contre un hôpital où étaient transportés des blessés, non loin du syndicat. Malgré tout, des groupes épars de manifestants ont pris la direction de la place de Taksim sans bien sûr pouvoir y parvenir.

Les forces de sécurité devant le siège du DİSK

Dans une déclaration, le président général du DİSK ne mâche pas ses mots : "À İstanbul, c'est au peuple que le terrorisme d'État a été appliqué". Mais là où ça devient véritablement cocasse, c'est quand il révèle que "l'assaut de la police effectué sans discernement au point de maintenir sous une pluie de gaz lacrymogènes les députés, les membres du Parlement européen, les intellectuels et les artistes venus à notre siège en ne laissant pas seule la classe ouvrière le Premier Mai s'est transformé en terrorisme d'État au sens propre du terme". Il y a de quoi être très curieux de connaître les députés présents sur place. D'aucuns, membres de partis qui ont participé récemment à une résolution plus que laxiste sur la situation politique en Turquie ? Malheureusement, on peut en douter. Le DİSK qui parle d'atteinte aux droits les plus fondamentaux et de violation du domicile envisage des actions internationales auprès de l'OIT et de la CEDH.

La presse de caniveau turque se trouve prise dans un étonnant dilemme : d'une part, sa volonté de charger au maximum l'AKP comme responsable de la terrible répression et, d'autre part, celle qui consiste à ne pas dénuer complètement les forces de police et de sécurité d'une certaine gloriole. Comme dans cette fotogaleri de Hürriyet par exemple.

Manifestants et eau pressurisée (photo : Milliyet)

Les récupérations du Premier Mai ne manquent pas non plus. Cela va des néo-fascistes du CHP vilipendant Erdoğan... le fasciste justement - c'est l'histoire de la paille et de la poutre - au soutien hypocrite de la TÜSİAD, patronat turc, et de leurs ouailles du GYİAD (litt. association des jeunes managers et businessmen) qui s'affirment tous deux "du côté des travailleurs" [Radikal et Radikal toujours].

Si le Premier Mai n'a pas été la "fête" des travailleurs en Turquie, nul doute qu'ils auront pu faire entendre leurs voix et attirer l'attention du monde sur eux. Et concernant les commémorations sur Taksim, ce n'est que partie remise pour l'année prochaine...

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jeudi 1 mai 2008

Bir Mayıs

Le premier mai s'annonce très tendu à İstanbul où les autorités ont interdit pour la énième fois l'accès à la place de Taksim. Partout en Europe, les sympathisants du PKK et des principaux mouvements de la gauche turque : DHKP/C, MLKP, TIKKO,... devraient manifester aux côtés des autres formations de gauche.

Radikal titre sur la page principale de son site rien de moins que "Aujourd'hui, premier mai, c'est jour d'examen de la démocratie". Malgré une certaine facilité dans la qualification de démocratie, le ton est donné. D'ailleurs, même cet examen-là, la Turquie n'est pas sûre de le passer. Le gouvernement reste intransigeant sur ses positions, certains transports en commun ont même été suspendus comme l'année passée. Les trois plus grandes centrales syndicales ; le DİSK, le KESK et le Türk-İş et de nombreuses autres ONG devraient participer de toute manière à la fête. Milliyet s'étonne que le premier mai soit un jour de congé officiel dans de nombreuses régions du monde et titre : "Le monde entier fait la fête et nous on se braque". Le quotidien note que les mesures de sécurité prises à İstanbul aujourd'hui en feront "une ville interdite". D'autre part, il annonce déjà, video à l'appui, les premiers heurts dans le quartier de Şişli près du siège du DİSK et déclare que la police se montre particulièrement ferme.


On notera aussi la première ligne de fracture entre Türk-İş et les autres centrales syndicales participant à l'évènement. Celui-là semble en effet revenu sur sa décision de se rendre coûte que coûte sur la place de Taksim. Parmi les syndicats ayant pris cette décision, le Türk-İş est le seul syndicat à utiliser le drapeau turc comme symbole et ne rompant pas avec le nationalisme d'État. Il est également le seul convié par le gouvernement à donner son avis sur le projet de nouvelle constitution. En "compensation", il se dit toutefois prêt à envoyer une délégation pour déposer une couronne sous le monument à la gloire nationale trônant sur la place (!). Si cette rupture n'est pas vraiment une mauvaise surprise, le bilan de fin journée pourrait en être une. Le 21 mars et le premier mai sont certainement les deux jours les plus sensibles de l'année où l'État turc fait savoir clairement qui sont ses ennemis : les Kurdes et la gauche.




GrupYorum - Bir Mayıs
Album : Marşlar

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mercredi 23 avril 2008

Fascisme structurel et « peur du rouge » en Turquie

Quatre faits illustrant le caractère structurel du fascisme et la « peur du rouge » en Turquie ont défrayé la chronique ces derniers jours. C’est avec tristesse et dépit que je souhaitais les partager avec vous :

1. La semaine dernière, le maire de la petite bourgade égéenne de Dikili dénommé Osman Özgüven a été mis en examen pour « abus de pouvoir » et ce, pour avoir fait du social et rendu service à la population comme par exemple, des trajets en bus gratuits pour les étudiants, la distribution gratuite d’eau courante en deçà d’un certain seuil de consommation, des soins de santé quasi gratuits dans un centre médical de la municipalité et la vente du pain à un prix modique. Ce même maire avait été mis sous enquête en 1984 pour « propagande communiste » sous prétexte d'avoir fait peindre les trottoirs qui bordent la plage en rouge parce que, selon ses dires « cela faisait plus joli au moment du coucher du soleil ». M. Özgüven a déclaré que s’il est interdit de servir le peuple, il continuerait à commettre ce crime (source : Milliyet, 14 avril 2008).

2. Dans son édition du 22 avril 2008, la une du quotidien « Radikal » libéral de centre gauche, a informé qu’un policier dénommé Ercan Elmastaş avait été limogé pour avoir participé en novembre dernier à une conférence organisée dans les locaux de la municipalité de Tunceli sur le thème d’un projet de Constitution populaire alternative à la Constitution militariste et répressive actuellement en vigueur. La conférence avait été organisée par le Front pour les droits et les libertés (HÖC), une organisation sociale considérée comme une émanation du mouvement marxiste clandestin DHKP-C (Part-Front révolutionnaire de libération du peuple) et appuyée par de nombreuses organisations de gauche telles que le Parti du travail (EMEP) et le Parti pour une société démocratique (DTP) pro-kurde. Le malheureux policier aurait été exclu de la police pour avoir « attentivement écouté » et « applaudi » les conférenciers. Avoir des sympathies pour les idées de gauche ? Impardonnable pour le pouvoir. Mais que la police turque soit idéologiquement dominée par les « Loups Gris » fascistes liés au Parti d’action nationaliste (MHP) n’a jamais suscité la moindre opposition de la part des autorités et ce, depuis le coup d’état militaire du 12 septembre 1980.

3. Le 21 avril 2008, le Conseil des ministres a refusé de faire du 1er mai un jour férié sous prétexte qu’il y aurait trop de congés en Turquie et que cela coûterait 2 milliards de livres turques (grosso modo 1,2 milliards d’euros). Pourtant, le 1er mai est un jour férié dans 166 pays, soit dans 4/5 des pays de la planète (source : journal télévisé du Kanal D). Il est vrai que vu le nombre de fêtes célébrées à la gloire de la nation turque et de l’Islam sunnite, il ne reste plus beaucoup de place dans le calendrier...

4. Le 22 avril 2008, le gouverneur et la police d’İstanbul appuyés par le premier ministre ont refusé la demande de manifester sur la place Taksim introduite par les syndicats. Pourtant, à Taksim, tout peut s’organiser: feux d’artifice, concentrations de supporters de football et de hooligans, manifestations d’extrême droite, défilés militaires, … Tout sauf, des manifestations syndicales ou des rassemblements d’organisations de gauche. Taksim revêt une importance hautement symbolique pour le mouvement ouvrier car c’est là que les services secrets et les policiers turcs massacrèrent 34 travailleurs lors du 1er mai 1977. Depuis lors, toute manifestation du 1er mai y est interdite.

Manifestation nationaliste sur la
place de Taksim - 29 octobre 2005

Les organisations syndicales comme la Confédération révolutionnaire des syndicats ouvriers (DİSK) et même la Confédération ouvrière Türk-İş généralement très conciliante envers les autorités ainsi que plus de 50 associations et partis politiques de gauche ont fait savoir que malgré l’interdiction, ils manifesteraient sur la place Taksim. D’ores et déjà, on peut craindre le pire pour les manifestants.

Bahar Kimyongür

vendredi 18 avril 2008

Avni Er ne sera pas extradé vers la Turquie

Le 10 janvier dernier, une démonstration de soutien à Avni Er s'est tenue devant le Tribunal d'appel de Sassari (Sardaigne) contre sa possible extradition vers la Turquie. Avni Er et Zeynep Kılıç demeurent les seuls militants incarcérés à ce jour pour "terrorisme" suite à l'opération internationale du 1er avril 2004 [voir le topic consacré].

Plusieurs représentants d'associations de gauche sont venus le soutenir comme l'ASP ["Association de Solidarité Prolétaire"], les CARC ["Comités d'Appui à la Résistance pour le Communisme"], a Manca pro s'Indipendentzia [litt. "à Gauche pour l'Indépendance" ; une association indépendantiste sarde de gauche] et d'autres encore. La plupart ont eu l'occasion de redécorer la facade avant du tribunal durant l'évènement.


Sur le fond du dossier, le Parquet rejetait lui-même la demande d'extradition formulée par la Turquie en rejoignant le principal argument de la défense, à savoir le principe du non bis in idem. En effet, Avni Er a déjà été condamné à deux reprises comme "dirigeant d'une organisation terroriste" : une fois en première instance et une autre fois en appel. Or, la Turquie réclamait précisément son extradition pour le juger selon cette inculpation. Pour rappel, lui et sa compagne ne faisaient rien d'autre que gérer un site internet à Pérouse. Cette gestion de site et quelques coups de fil constituent la "preuve" de l'appartenance pour la Justice italienne.

Selon Flavio Rossi Albertini, l'avocat d'Avni, la Turquie n'était par représentée durant l'audience interdite au public et l'argumentation présentée relevait plus de quelque chose comme "nous voulions le juger avant vous, donc donnez-le nous", très loin des principes de base de la Justice. Il faut dire que l'État turc traque un grand nombre de ses contestataires hors frontières et qu'il n'est pas très regardant sur la forme, c'est le moins que l'on puisse dire.

La Cour n'a rendu sa décision que 5 jours plus tard, ce mercredi-ci. Elle y a invalidé assez logiquement la requête d'extradition grotesque formulée par la Turquie. Ainsi donc, pour l'heure, Avni ne risque pas de se retrouver dans les geôles turques et de connaître l'isolement carcéral réservé aux prisonniers politiques, ce qui en soi est déjà une belle bataille de gagnée.


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jeudi 3 avril 2008

PKK non-terroriste sur le plan juridique

La CEJ (Cour européenne de Justice) vient de se prononcer contre l'inscription du PKK sur les fameuses listes noires de l'UE adoptées après les attentats du 11 septembre 2001 et calquées sur le modèle états-unien [note de l'AFP sur le site d'Info-Türk]. La presse pro-kurde, proche de l'environnement PKK, est la première à se féliciter d'un tel jugement et titre : "CEJ : le PKK n'est pas une organisation terroriste" [Yeni Özgür Politika].

Dans les faits, même si la jurisprudence de cette décision remet les choses en ordre, l'arrêt n'annule techniquement que la décision de 2002. Comme ces listes sont régulièrement "complétées" et "parachevées", il suffit au Conseil des ministres de l'UE d'une simple mise à jour pour passer outre la décision du tribunal et continuer à classer telle personne ou telle organisation comme "terroristes".

Militante du PKK
(Photo : Gündem Online)

Il faut rappeler que ces décisions du Conseil des ministres de l'UE n'ont absolument aucune valeur légale, qu'elles sont strictement de nature administrative et qu'aucune instance législative - en l'occurrence le Parlement européen - n'a même été consultée à ce sujet. Elles ont quand même de nombreuses conséquences fâcheuses, notamment dans la suspension aléatoire de droits fondamentaux pour certaines personnes et associations. Mais aussi dans la transformation progressive des États en des régimes nettement plus répressifs. C'est en tous cas, ce qui ressort des conclusions du Conseil de l'Europe. À ce propos, dans Horizons et Débats, il faut lire l'interview de Dick F. Marty qui est rapporteur auprès de cette assemblée et qui a fait voter à une écrasante majorité une résolution critiquant sévèrement l'emploi de ces listes [voir la résolution 1597 et aussi la recommandation 1824 adoptée à sa suite]. La revue publie aussi le communiqué de presse du Conseil de l'Europe qui affirme que les listes noires violent les droits de l'homme. Preuve en est que lorsqu'une assemblée est consultée, elle ne désire pas laisser faire n'importe quoi.

Le cas de l'UÇK (Armée de Libération du Kosovo) est probablement celui qui permet le mieux de comprendre l'inclinaison arbitraire et idéologique de ces listes. D'abord placée comme une organisation terroriste sur la liste du département d'État des États-unis au cours des années 90, elle en a été ensuite rayée quelques temps après, juste avant que l'OTAN décide d'intervenir contre la Serbie. L'UÇΚ devint à ce moment-là la première alliée des troupes occidentales sur le terrain. La suite de l'histoire est relativement bien connue puisque désormais la plupart des pays de l'OTAN reconnaissent l'indépendance du Kosovo, une revendication qui était au fondement même de l'existence de l'organisation, et qu'enfin son inscription sur la fameuse liste du département d'État est une vieille histoire dont personne ne souhaite vraiment se rappeler aujourd'hui.

À côté des organisations qui y étaient et que l'on a retirées quand ce n'était plus compatible avec la politique étrangère des pays atlantistes, il y a aussi toutes les organisations armées et paramilitaires qui n'y figurent pas, qui n'y ont jamais figuré et qui n'y figureront probablement jamais. Souvent des organisations d'extrême-droite nationalistes ou des mafias, dont les crimes contre les populations civiles ne sont pourtant pas des secrets bien cachés.

De cela découle un enseignement majeur : ces listes sont avant tout des listes guidées par une vision idéologique du monde et certainement pas par un jugement à caractère scientifique basé sur une définition universelle et stable qui séparerait à coup sûr le bon grain de l'ivraie. Au contraire, elles ne se font et se défont qu'au regard de la météo géopolitique du moment. Ceux qui les utilisent le savent d'ailleurs fort bien mais ne le font qu'à titre d'autorité.

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mardi 1 avril 2008

Le bilan

La vice présidente générale du DTP Emine Ayna (photo) a commenté récemment les évènements qui ont eu lieu dans les régions kurdes pour les festivités du Newroz [Radikal]. Le bilan répressif communiqué est asser lourd : deux morts et un grand nombre de blessés, 2000 personnes placées en garde à vue et 402 personnes emprisonnées. Il n'a rien de volontairement exagéré dans la mesure où les chiffres correspondent globalement aux informations relatées par la presse turque et qu'ils sont tout à fait réalistes par rapport à l'importance de la fête et aux rafles qui y ont été menées.

L'inconnue demeure toutefois le nombre de personnes torturées et battues par les forces de l'ordre, ce qui n'a pas du manquer de se passer comme le suggèrent les nombreuses vidéos qui ont pu filtrer malgré tout et qui ont été largement diffusées. On peut supposer qu'un grand nombre des personnes placées en garde à vue et emprisonnées l'ont été.

Emine Ayna note qu'une conception unitaire, fascisante et raciste sous-jacente à l'intolérance que subissent les Kurdes a été dévoilée ouvertement au cours des derniers évènements. Elle a demandé au nom de son parti la démission des gouverneurs et directeurs des services de l'ordre des provinces de Van et Hakkari. Il va de soi que les chances de l'obtenir sont nulles. Elle cite le premier ministre comme le principal responsable. Le DTP a aussi décidé d'envoyer une copie des images des violences en anglais et en turc aux ambassades des pays européens, que l'on devine très peu au fait de cette actualité.
Pour sa part, l'AKP, à travers le premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, renvoie la balle au DTP en leur reprochant de préparer le terrain au vandalisme et de transformer la fête du Newroz en un jour de combat (sic!).

S'il est indéniable que l'AKP a une responsabilité morale, leur faute consiste plutôt à n'avoir rien fait pour empêcher ces violences car jusqu'à preuve du contraire un gouvernement est responsable des forces de police de l'État. En Turquie, cela reste quand même très relatif. Il est clair que la conception unitaire, fascisante et raciste est avant tout l'oeuvre du kémalisme originel, aujourd'hui porté à bout de bras par ses héritiers les plus directs : CHP et MHP en tête et bien sur par l'establishment. L'AKP ne rompt certes pas avec le nationalisme d'État - déjà parce qu'il risquerait gros s'il le faisait - mais n'en est pas l'apôtre principal.

Ces querelles éclairent davantage les frictions entre les deux principales formations politiques de la région qui se résument à l'AKP et au DTP mais échouent à amorcer une critique systématique du nationalisme d'État et du kémalisme. Ce qui est bien dommage...

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lundi 31 mars 2008

Torture sur YouTube : les suites

Comme cela ne manque jamais dès lors que des images choquantes sont montrées au grand jour concernant la cruauté de l'armée et de la police turque envers les civils, on a très vite pu lire certaines dénonciations au "fake", au montage ou à la supercherie. Souvent, une réaction issue des milieux nationalistes pour qui la remise en cause de la sacralité qui tourne autour des forces de l'ordre impliquerait un trop gros effort sur soi.

Or, vu que cette affaire a fait un petit peu de bruit en Turquie et qu'il est relativement facile d'identifier les auteurs de ce supplice - ce qui est excessivement rare soit dit en passant - certains médias turcs ont relayé l'info [CNN Türk]. Très modestement toutefois. Il y est dit que cette affaire a été portée à l'ordre du jour par Akın Birdal, député DTP (pro-kurde) de Diyarbakir. Une délégation de la Commission d'Enquête des Droits de l'Homme de la Grande Assemblée Nationale de Turquie a même été dépêchée dans les environs de Hakkari par le parti au pouvoir, l'AKP.


Cette démarche de l'AKP, d'habitude complètement indifférent à la répression et à la violation systématique des droits fondamentaux au Kurdistan, ne doit pas surprendre. Comme le note Le Monde, les élections municipales/communales ont lieu dans un an et il semble que le parti ait déjà amorcé sa pré-campagne. Il est de notoriété publique que l'ambition principale de l'AKP est de s'emparer de la mairie/du mayorat de Diyarbakir (détenu par Osman Baydemir - DTP). De plus, l'AKP qui est lui-même menacé d'interdiction comme son premier rival dans la région par l'establishment * n'est pas vraiment en mesure de faire l'économie du soutien électoral qu'il reçoit au Kurdistan. Un soutien assez relatif et sans doute un peu plus fragilisé après le Newroz.

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* L'establishment est une formule qui désigne la seconde tête pensante non-officielle de Turquie à côté du gouvernement : les milieux militaires et nationalistes-laïques.