mercredi 25 juin 2008

Visite de messieurs les députés

Et pour preuve que cette loi et tout ce qui gravite autour constituent une énorme comédie, hier, dans son édition du soir, la RTBF parlait d'une visite de parlementaires à une militante incarcérée pour « terrorisme » qu'ils ont eux-même participé (indirectement) à envoyer en prison. Mais puisqu'ils commencent à supposer que la loi mettrait à mal les libertés, voilà donc tous les militants bien rassurés.
Comme le dit le journaliste, une telle visite, ce n'est pas courant, certes... mais ce n'est pas la première fois.




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Procès du DHKP-C : c'est reparti pour un tour

Ça y est, la Cour de cassation a rendu sa décision suite au pourvoi du Parquet. Elle souhaite un nouveau procès en appel.

En se penchant sur l'argument utilisé pour invalider tous les acquittements, on se rend compte que la limite entre fond et forme est bien mince. L'évaluation de la Cour de cassation, qui ne peut se prononcer que sur la forme, a pourtant bien des relents d'opinion sur le fond. Le juge qui a cassé l'arrêt de la Cour d'Anvers est toutefois le même à avoir cassé les deux précédentes décisions.

Ainsi, la Cour d'appel d'Anvers aurait mal interprété la loi. Plus exactement, l'arrêt rendu par la cour ne serait pas suffisamment étayé car elle aurait écarté les chefs d'inculpation d'organisation à vocation criminelle, d'organisation à vocation terroriste et direction de telles organisations en établissant qu'il n'y avait pas d'association. Or, d'autre part, il y aurait bien association entre les suspects. Donc, l'arrêt est invalidé... Selon la défense, au contraire, l'arrêt était un exemple de rigueur dans son rejet, un par un, des arguments fallacieux du Parquet. C'est ce qui ressort de De Morgen qui a été le premier média à relayer l'info.

Nous aurons donc une prochaine saison antiterroriste prometteuse puisqu'un « quatrième procès DHKP-C » est sur le feu. Sans compter, les soubresauts de l'affaire du Secours Rouge qui réservent encore bien des surprises. Il faudra donc redémontrer depuis le début le flou déployé par le Parquet, le caractère liberticide de la loi et la toute relativité dans la dénomination de "terroriste". Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'application de cette loi donne des sueurs à la Justice et que nous sommes en train d'assister là à l'une de ses énièmes contorsions.

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mercredi 18 juin 2008

Mieux vaut tard...

Dans son édition d'hier soir, la RTBF a consacré un reportage (à l'instar d'autres chaînes) à propos de la lettre envoyée au journal Le Soir par leur journaliste. Le ton reste des plus prudents. Les faits sont toutefois présentés assez objectivement.
La presse flamande a aussi répercuté cette information [De Morgen].




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mardi 17 juin 2008

Le Cauchemar

Voici la lettre écrite par Wahoub Fayoumi, journaliste à la RTBF et militante du Secours Rouge, depuis la prison de Berkendael après son arrestation survenue le 5 juin dernier. Elle a été arrêtée et incarcérée en même temps que trois autres militants. Le journal Le Soir a fait paraître cette lettre aujourd'hui.

Entre parenthèses, notons la "déontologie" de la RTBF qui jusqu'à maintenant n'a jamais pu tenir ces mots : "notre collègue Wahoub Fayoumi". Elle a été traitée comme n'importe quel quidam de l'actualité alors que son nom a signé maints documentaires et reportages auparavant. Ceci n'est pas anodin quand on connaît la solidarité qui s'exprime d'habitude au sein de la profession, particulièrement lorsqu'il s'agit de dénoncer l'incarcération injuste de confrères.

Plus généralement, aujourd'hui, on peut raisonnablement penser que c'est ce qui pend au nez de tout militant syndicaliste, gauchiste ou de l'associatif issu de différentes causes.


Le Cauchemar ; lettre de prison

Je suis journaliste. Mais ce n'est pas pour ça que j'écris aujourd'hui. Ce texte est mon témoignage. Quelque chose d'immense et d'effrayant m'est arrivé, il y a plus d'une semaine.
C'était jeudi. Le 5 juin, c'est l'anniversaire de mon compagnon. A 5h00 du matin, on frappe à la porte. Je dormais encore, je m'habille vite, ça a l'air important. Lorsque j'ouvre, je vois des policiers dans la cage d'escalier. Il y en a beaucoup. Je pense à un cambriolage. On me dit que c'est pour une perquisition. Chez moi ? « Vous venez chez moi ? » je dis. Oui. Je leur demande pourquoi. « On ne sait pas. On a juste un mandat. » Ils entrent. « Vous êtes seule ? Vous êtes sûres ? » Ils sont 6 ou 7. Ce n'est pas normal. « Que ce passe-t-il ? » je dis. Sur le papier, il y a écrit « terrorisme », « urgence ». « Vous êtes privée de liberté, madame ». On ne réalise rien à ce moment-là. On ne comprend simplement pas les mots. La tête tourne. Ils fouillent. Tout. La cuisine, la salle de bain, mes vêtements, mes livres. Ils mettent des choses de côté, ils disent « on saisit ». ça dure 3 heures. Ils prennent les ordinateurs, des affiches, des livres, un bouquin en arabe. Je leur dit « je dois aller au travail. » « Je ne pense pas que ce soit possible ». Je voudrais téléphoner, mon GSM est déjà saisi. Mon équipe attendra à Reyers, mon compagnon aussi, je ne verrai pas mon frère qui prépare un voyage de plus d'un an en Espagne et au Mali. Personne ne saura où je suis aujourd'hui.
« Au bureau » comme ils disent, c'est l'interrogatoire. Des questions sur mon nom, mon âge, mon loyer, mon numéro de carte de banque, mes opinions politiques, mes amis. Des heures passent, je commence à trembler. Aux questions auxquelles je réponds « je ne sais pas », ils insistent. Avant de comprendre ce qu'ils veulent. Le choc se diffuse lentement, à chaque question. C'est l'après-midi. J'aperçois des hommes cagoulés, armés. Ils viendront me chercher. Il doit être 17 ou 18 heures. Je suis menottée, attachée par une corde que tiennent deux hommes. Je suis masquée, je ne peux rien voir. Trajet en voiture. Sirènes hurlantes, escorte. Arrivée au Palais de Justice. Des couloirs, des ascenseurs, je ne vois rien. On s'arrête. Un homme m'enlève les menottes, mains sur la tête ; un autre, le masque. Je suis face à un mur gris. Une porte se ferme. Je n'ai vu personne. Je n'ai rien vu à part cette porte grise qui s'est fermée, grise comme les murs, comme le rebord en béton. Les murs lisses, affreusement lisses. Il n'y a aucune ouverture. J'ai l'impression d'étouffer. Envie de taper sur ces murs lisses. Je ne dois pas pleurer. Personne ne m'a dit un mot. J'attends. Des heures. 20h ? 22h ? Interrogatoire chez la juge d'instruction. « Vous n'avez pas tout dit ». Un cauchemar qui se poursuit. Je ne sais pas où j'ai mal. Ça va s'arrêter, j'en suis sûre. Je pleure quand elle parle de ma famille. C'en est trop.
A nouveau le cachot. Ma tête est raide. Je m'allonge sur le rebord en béton. Quelle heure est-il ? Est-ce que le temps s'allonge ou se rétrécit ? On reviendra me chercher. Chez la juge, dans ce bureau allumé au fond d'un couloir. « J'ai hésité » elle dit. Alors je sais. Sur mon mandat d'arrêt, il est 2h30.
C'était il y a une semaine et quatre jours. Beaucoup de choses à dire sur le mandat d'arrêt, sur l'inculpation, sur les méthodes.
Des méthodes de cowboys, des interrogatoires où on renverse la charge de la preuve. On m'a épiée, surveillée, mise sur écoute, analysé mes comptes bancaires et mon écriture, depuis plus d'un an. Attendait-on de moi que je conforte une hypothèse de départ ? Que je donne des noms qui alimenteraient leur idée ? Leur enquête est restée désespérément vide. Est-ce pour cela que je suis en prison ? Sommes-nous là parce qu'il DOIT y avoir quelque chose ? Il suffirait alors de bien peu : d'affirmer des solidarités, d'avoir des idées politiques. Je l'ai entendu à notre charge, ces idées politiques ont été présentées comme en soi terroristes !
Je n'ai jamais caché mon engagement. Il est public, libre et réfléchi. Défendre des étudiants, des sans-papiers, des prisonniers politiques, se battre pour un monde plus juste, ce ne sont pas des engagements dont on doit avoir honte. Si je n'avais pas été ici, j'aurais été devant ces prisons, j'aurais écrit des communiqués, j'aurais contacté des associations.
La souffrance de ma mère et de mes frères, la solitude de mon compagnon, la tristesse de mes amis, l'incompréhension sur mon lieu de travail, la privation de liberté de quatre militants, la criminalisation de la solidarité, sont-ils des prix à payer ?

Wahoub
Prison de Berkendael

mardi 10 juin 2008

Le Parquet fédéral poursuit sa chasse aux sorcières

L'issue du dit « procès du DHKP/C » a été un échec complet du point de vue du Parquet fédéral, fer de lance de la lutte antiterroriste en Belgique. Celui-ci a toutefois porté un recours en cassation. Virtuellement, si la Cour de cassation devait lui donner raison, ce serait la quatrième fois - oui, la quatrième fois ! - qu'on pourrait rejuger les mêmes "faits". La décision logique après la première audience qui doit se tenir aujourd'hui est l'invalidation définitive de cette requête dans les prochains jours. Du moins, c'est ce que chacun est en droit d'espérer.

Malgré cela, emporté dans une frénésie jusqu'au-boutiste, aveuglé par ses propres erreurs grossières, le Parquet fédéral alias le procureur Johan Delmulle continue à s'en prendre aux cercles communistes. Dernièrement, ce sont quatre militants du Secours Rouge qui ont été mis sous écrous. Le même Secours Rouge avec qui nous manifestions ce Premier Mai (voir post précédent). Le même Secours Rouge qui a apporté tant de fois sa solidarité aux ex-prisonniers du « procès du DHKP-C » désormais acquittés pour les charges de terrorisme. Aujourd'hui, ce sont eux les "terroristes". Doit-on s'en étonner ?

Caricature de Kroll dans Le Soir du 07 juin

Pourtant, loin d'être un sympathisant communiste, comme la simple lecture de ses articles suffit à s'en convaincre, le journaliste Marc Metdepenningen se fait de plus en plus ouvertement critique vis-à-vis de cette croisade paranoïaque dont nous sommes tous les spectateurs.

La ligne d'inculpation épouse désormais une voie des plus classiques : pas de faits, pas de preuves irréfutables, seulement des suppositions, la criminalisation d'une intention, le "principe de contamination" qui fait qu'une personne inculpée et/ou condamnée contamine toute autre personne qui lui témoigne de la solidarité, l'exposant à son tour à des sanctions.
En fait, la stratégie du parquet fédéral est archi-connue. Elle repose sur la peur et la théorie des jeux.

En 1964, une jeune femme, Kitty Genovese a été assassinée par un tueur fou à New York devant plus de 30 personnes. Ceci renvoie aussi au drame qui vient de se dérouler dernièrement à Tokyo. Dans les deux cas, trois ou quatre personnes (au minimum) de bonne condition physique auraient pu maîtriser le forcené ; certains auraient pu même appeler de l'aide pour faire cesser le massacre. Au lieu de cela, les gens sont demeurés spectateurs et ont laissé faire, ce qui a provoqué l'incompréhension et le scandale.

Plusieurs théories contemporaines ont été utilisées afin d'expliquer la non-réaction des gens. Parmi elles : la diffusion de responsabilité (science sociale), l'ignorance pluraliste (psychologie sociale) et la théorie des jeux. Cette dernière affirme que les premiers qui agissent sont aussi les premiers qui s'exposent au coût de la sanction. Alors qu'il est profitable à tout le monde d'agir pour faire cesser une situation injuste qui est aussi préjudiciable à tous et que le coût peut être limité si beaucoup se mobilisent, bien au contraire, la théorie des jeux démontre que personne n'agit et que le coût tend à être maximal pour tout le monde. Ceci tient essentiellement au fait que l'incitant de ne pas agir et de voir cesser la situation est plus intéressant que celui d'agir pour le même résultat, ce qui aboutit au pire des scenari.

Les militants du Secours Rouge illustrent parfaitement cette théorie. Ils payent le prix fort pour la solidarité qu'ils apportent aux autres militants. En même temps, le message qui est véhiculé est très clair : "si vous affichez la même proximité, vous vous exposez aux mêmes sanctions". Cela revient à interdire une opinion et son expression. La peur et la dissuasion.

Cette stratégie n'est efficace que si les différents acteurs cèdent à la peur et ne veulent pas assumer le risque d'un coût en le relèguant à d'autres. De quoi se remémorer la citation attribuée au pasteur Martin Niemöller détenu au camp de concentration de Sachsenhausen :

Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes
Je me suis tu, je n'étais pas communiste.
Lorsqu'ils sont venus chercher les syndicalistes
Je me suis tu, je n'étais pas syndicaliste.
Lorsqu'ils sont venus chercher les sociaux-démocrates
Je me suis tu, je n'étais pas social-démocrate.
Lorsqu'ils sont venus chercher les juifs
Je me suis tu, je n'étais pas juif.
Puis ils sont venus me chercher
Et il ne restait plus personne pour protester.

À considérer qu'il n'y eût jamais de cassation et d'appel dans l'affaire du « procès du DHKP-C », aujourd'hui nous aurions quatre innocents toujours en prison auquels se seraient ajoutés les quatre militants du Secours Rouge encore plus facilement inculpés. Et demain ?
D'abord les communistes Turcs, ensuite les ex-CCC, plus tard les communistes ou anarchistes lambdas, les syndicalistes qui contestent trop fort, les militants qui dénoncent trop haut.

Oui, Wahoub Fayoumi, Constant Hormans, Abdallah Ibrahim Abdallah et Bertrand Sassoye sont nos camarades. Non, nous n'avons pas peur de leur apporter notre solidarité.

En revanche, Johan Delmulle, c'est une tentative d'extradition vers les prisons turques d'isolement sur un citoyen belge, c'est l'organisation d'un tribunal d'exception à Bruges digne des sections spéciales créées sous Vichy, c'est l'utilisation de moyens financiers et techniques considérables de l'État pour remplir les prisons surpeuplées de... militants. N'est-il pas temps pour les autorités gouvernementales de couper quelques têtes et de faire le ménage au sein de la magistrature ?
Sans toutefois être naïf au point de croire que cela puisse résoudre le problème structurel de la paranoïa antiterroriste.

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