samedi 23 février 2008

La question des minorités en Turquie sur Euronews

Euronews vient de consacrer un reportage sur la question des minorités en Turquie. Étant donné la rareté avec laquelle ce thème est abordé, comme plus généralement la question des Droits de l'Homme dans ce pays, on s'en frotte d'avance les mains. Cependant, on regrettera certaines imprécisions même si elles sont mineures.




Bahadir Kaleağası, est parfait dans son rôle de représentant de la TÜSIAD (patronat turc et lobby très actif à Bruxelles), c-à-d celui de faire passer des vessies pour des lanternes. La Turquie répondrait déjà "suffisamment" aux critères démocratiques et ne nécessiterait seulement qu'un changement technique sur l'article 301 du code pénal. Ce que recherche la TÜSIAD est évidemment l'adhésion le plus tôt possible pour l'ouverture des douanes et des marchés européens, tout en s'appuyant sur une main-d'oeuvre malléable à souhait, à moindre prix, le tout avec des profits énormes à la clé. Pour atteindre cet objectif, ils sont en fait prêts à tous les mensonges même les plus énormes.

Ce ne serait pas aussi grave si la médiatisation de l'article 301, y compris dans la presse occidentale, ne véhiculait à peu près la même idée sous-jacente, à savoir que la Turquie serait vraiment sur le chemin de la démocratisation avec sa seule suppression, ce qui s'avère évidemment très éloigné de la réalité. Un autre aspect qui falsifie la réalité est le fait de faire passer le projet de nouvelle constitution comme forcément à vocation démocratique. Ce reportage part de l'initiative du PSE, de l'ADLE et des Verts du Parlement européen qui organisent ensemble une conférence début mars.

Pour rappel, Abdullah Gül, alors qu'il faisait campagne auprès des principaux partis de l'opposition pour son élection à la présidence en août dernier, avait déclaré qu'il veillerait et resterait fidèle aux quatre premiers articles de la Constitution, aux principes fondamentaux de la République et à la philosophie de son établissement [Radikal]. Il avait ainsi marqué l'attachement de l'AKP à ce qui constitue la base juridique même du monolithisme d'État. Exit donc tout espoir d'assouplissement envers les minorités à court terme.

Le reportage a toutefois le mérite de donner la parole à deux figures majeures de l'opposition en exil en la personne de Doğan Özgüden, président de la fondation Info-Türk, et de Derwêş Ferho, président de l'Institut kurde de Bruxelles.

L'affirmation selon laquelle les Kurdes n'ont toujours pas le droit de parler leur propre langue et d'avoir leurs propres écoles privées (sic!) alors même qu'on reconnaît qu'ils auraient droit à certains médias sent malheureusement le reportage trop vite bâclé sur un sujet ô combien important et central.

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vendredi 15 février 2008

L'État turc met le paquet...

La décision de la Cour d'appel d'Anvers du 7 février dernier continue à susciter la réaction de la part de la Turquie au-delà de tout ce qui est concevable en Europe. Cependant, l'attention des médias européens est plutôt braquée sur le débat autour du port du voile dans les universités et sur l'interventionnisme du gouvernement au sujet d'un incendie probablement criminel dans un immeuble habité par des Turcs en Allemagne. Là-dessus, une parole qui mérite le détour de la part du premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan, qui fait de l'assimilation “un crime contre l'humanité”. Une phrase qu'il a d'ailleurs répétée devant l'assemblée turque après son retour de voyage.

Cette phrase n'est en effet pas anodine dans un pays comme la Turquie. Les kémalistes, qui se sont inspirés largement du modèle français de l'État au début du 20ème siècle, l'ont porté à son paroxysme pour former le nec plus ultra du jacobinisme, du centralisme et de l'unitarisme et par conséquent l'État le plus assimilationniste du monde. La réaction des milieux pro-kurdes qui dénoncent l'ethnocide de leur culture depuis de nombreuses années ne s'est pas fait attendre [cf : Yeni Özgür Politika (pro-kurde) vilipendant Erdoğan l'hypocrite qui interdit aux Kurdes l'éducation dans leur langue maternelle]. Toutefois, ce genre de contradiction flagrante est souvent relevé par les observateurs réguliers. Une schizophrénie turque dont la base la plus certaine est le nationalisme d'État, y compris au sein de l'AKP, le parti au pouvoir. On est ici dans dans le quasi domaine de la doublepensée orwelienne.

Revue de presse

Pour ceux qui doutaient encore de l'interventionnisme de l'État turc, ses réactions ont été à nouveau nombreuses cette semaine. L'État turc n'accepte définitivement pas le verdict du 7 février de la Cour d'appel d'Anvers, un verdict qui remet en question ipso facto toute sa politique fondée sur la lutte contre le terrorisme. On peut dire que cette politique englobe aussi bien des questions sociales de taille que les droits des minorités qui se retrouvent opportunément résumés à cette seule thématique : le terrorisme.

Dans une interview relatée mercredi dernier par le journal nationaliste Hürriyet, Çiçek a évoqué l'existence d'une réunion ministérielle à propos d'une réaction turque à portée internationale. Cette réunion aurait impliqué le Cabinet du premier ministre, les Affaires intérieures, la Défense nationale, les Affaires étrangères et le Cabinet du ministère de la Justice. Ensemble, ils auraient constitué un “groupe de travail” durant la semaine qui vient de s'écouler pour étudier “quelles sont les choses qui peuvent être faites”. Surtout, il a insisté sur le fait qu'une réaction officielle ne pourrait pas suffire. “Il faut aussi que nos corporations de métier montrent la sensibilité nécessaire à ce sujet et que leurs confrères expriment la réaction nécessaire aux institutions” a-t-il dit. Çiçek ne fait rien d'autre que de demander une implication des lobbies turcs actifs en Europe. Il cite notamment la TÜSIAD et le TOBB, deux patronats turcs très exercés à la pratique du lobbying, notamment à Bruxelles en ce qui concerne la TÜSIAD. Il demande aussi une réaction de l'Union des Barreaux de Turquie. Il ajoute enfin qu' “il serait nécessaire que les chambres de métier aient des choses à dire contre cette décision qui encourage le terrorisme”.

Le même jour, toujours dans Hürriyet, Mehmet Ali Birand, qui n'est rien de moins que le journaliste de la presse écrite le plus médiatique et le plus pris au sérieux, se lance dans un vibrant plaidoyer en faveur de l'application des lois antiterroristes. Partant, il mêle opportunément le verdict du procès d'Anvers à l'affaire du triple assassinat dans la tour du holding Sabancı en 1996 alors même que la Cour de cassation a déclaré la Justice belge compétente pour organiser un futur procès à ce sujet. De plus, à l'instar des premières réactions gouvernementales, M. A. Birand se plaît à parler de "réaction du public turc". Pourtant aucune manifestation et aucune réaction particulière n'ont été constatées jusqu'à présent. Ceci éclaire un autre aspect des médias turcs : ils s'occupent avant tout de fabriquer de toutes pièces l'opinion publique au profit d'un intérêt politique. Pour couronner le tout, il recommande rien de moins que d'apporter les modifications nécessaires à la loi belge pour que la Belgique arrive enfin à mettre les "terroristes" en prison. Du grand journalisme... turc.

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dimanche 10 février 2008

Répliques tous-azimuts

Le verdict de la Cour d'appel d'Anvers a été un véritable coup de tonnerre. Les réactions se font de plus en plus nombreuses, voire virulentes, à mesure que les heures s'écoulent. L'édito que le journal Zaman publie ce samedi dans son édition anglophone, Today's Zaman, est probablement le plus réactif pour le moment. L'ironie atteint son comble quand le quotidien cite la réaction du ministre turc des Affaires étrangères et lorsqu'il affirme qu'il serait possible d'intenter un recours de la décision devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, soit la juridiction devant laquelle, le pays le plus condamné historiquement est... la Turquie.

Le journal ne s'arrête pas en si bon chemin et publie l'opinion du président de l'assemblée turque, Köksal Toptan, qui estime qu' une mentalité qui laisse les gens libres de leurs mouvements parce qu'ils n'ont pas commis de crime en Belgique ne peut pas faire partie de l'effort global pour contrer le terrorisme. Pour rappel, les ex-prévenus n'avaient pas commis de crimes non plus en dehors de la Belgique. Il est vrai que ça change des habitudes turques, pour le reste, les amoureux de la liberté apprécieront...

La Belgique est désignée comme le "mouton noir" de la lutte contre le terrorisme car sa juridiction a refusé de prendre en considération les fameuses listes noires, décidément nouvelles écritures saintes du credo antiterroriste, par ailleurs, des listes de plus en plus décriées car précisément n'ayant aucune base légale. Ce sur quoi, bien sûr, la plupart des agitateurs de peur passent allégrement. Si l'on traduit : au haro sur la justice belge, parce que le pouvoir judiciaire a refusé d'obtempérer devant les desiderata du pouvoir exécutif.

Today's Zaman, proche de l'actuel gouvernement en Turquie, nous livre le plus parfait exemple d'une presse parfaitement dévouée au pouvoir et qui s'en fait le relais dans l'opinion publique. Ce quotidien sert souvent de vitrine à ce qu'un certain nombre d'observateurs européens ont tendance à appeler "le gouvernement des réformes" en référence à l'administration au pouvoir issue du parti AKP et menée par Recep Tayyip Erdoğan. Ainsi, il n'hésite pas à répandre des informations mensongères comme par exemple les pseudos critiques "des journaux (belges)" qui auraient présenté une situation hypothétique pour la Belgique dans laquelle les terroristes d'al-Qaeda, après avoir commis de nombreux actes de violence n'importe où dans le monde - mais pas sur le territoire belge - viendraient dans le pays et demanderaient l'asile.

Soit le plus parfait amalgame entre opposition que l'on veut faire taire et à qui l'on dénie le droit de résister contre la répression militaire et violence gratuite dirigée contre des civils. Cet argument fallacieux est utilisé à outrance par les partisans d'un État exécutif fort contre l'État de droit. Il est intéressant de noter que les gouvernements successifs turcs, aussi bien ceux issus de l'establishment politico-militaire que ceux provenant de l'islam politique, se sont toujours pafaitement entendus sur le musellement de l'opposition qu'elle soit de la gauche non-nationaliste ou qu'elle soit kurde.

Précisément, l'impression qui se dégage des médias en Belgique est plutôt celui du soulagement, ce qui est en soi quelque chose d'étonnant quand on sait que les mêmes étaient par le passé plus prompts à agiter la peur eux aussi ! Ce changement de ton est le fruit de deux longues années riches en rebondissements, en scandales et en publications d'analyses et d'opinions. Pour se faire une idée de la manière dont les médias ont amené l'information, rien de mieux que de faire un tour sur le site d'Info-Türk qui a récolté la plupart des articles francophones parus à ce jour depuis le verdict.

Quant à la télévision, elle a relayé la conférence de presse organisée par le Clea au sein du bâtiment la Ligue des Droits de l'Homme ce vendredi 8 février à Bruxelles et présentée tout à fait justement comme une réplique contre le Parquet fédéral et le gouvernement qui n'ont pas hésité à brader les règles les plus élémentaires de la démocratie pour arriver à leurs fins.

Le journal télévisé de la RTBF relatant ce verdict dans l'édition de midi du 8 février dernier :




Le journal télévisé de la RTBF relatant ce verdict dans l'édition de 19h30 du 8 février dernier :




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vendredi 8 février 2008

Zafer

La journée du jeudi 7 février aura été marquée par l'émotion au fur et à mesure de la lecture du verdict qui déboutait l'un après l'autre les arguments fallacieux, les soit-disantes preuves, et pour le dire plus clairement, les mensonges du procureur fédéral Johan Delmulle. La justice belge a épousé à 99% le point de vue de la défense et des prévenus. On aurait pas pu imaginer meilleur scénario dans l'issue du dit « procès du DHKP-C » bien qu'il faille reconnaître qu'il était complètement ouvert et que le pessimisme était aussi de mise, surtout par rapport à la manière dont il avait débuté. Les deux mois d'attente et l'échéance sans cesse répoussée de la sentence n'auront donc pas été vains mais il aura quand même fallu 2 ans, quasi jour pour jour, de combat acharné et moult péripéties pour en arriver là.

Voici le journal télévisé de la RTBF relatant ce verdict dans l'édition de 19h30 de ce jeudi :




La presse turque enrage

Un autre bon signe de l'issue du « procès du DHKP-C » est l'incompréhension totale lisible dans la presse turque acquise au nationalisme d'État. Il faut dire que le dégoût pouvait déjà se lire sur le visage des journalistes des agences de presse turque présents au tribunal d'Anvers ; des journalistes usuellement plus habitués à respecter une courtoisie hypocrite envers les prévenus mais qui n'en pensent pas moins.

Ainsi le journal en ligne BelTürk, dont la fonction principale consiste à entretenir un nationalisme rampant au sein de la communauté turque expatriée, titre : "La justice belge a surpris de nouveau". La presse belge aurait parlé "d'histoire mensongère" mais l'article se garde bien de révéler lesquelles.

Le canard de Yusuf Cinal, spécialiste ès fausses interview comme l'avait révélé Mehmet Köksal, YeniHaber, parle des applaudissements des "partisans de l'organisation terroriste" à la fin du verdict relativement à la réaction du public de la salle. Il montre les mêmes surprises que son concurrent mais en inventant pour la forme la consternation de la communauté turque de Belgique, probablement peu au courant de la date du procès.

Le quotidien nationaliste Hürriyet fait part de la réaction du ministère turc des Affaires étrangères, pas du tout content, évidemment. Une très classique ingérence turque dans la justice hors frontières, surtout quand il s'agit d'enfoncer ceux qui critiquent la politique d'État. Le mot "terroriste" apparaît en tout sept fois dans l'article, titre inclus. On ne tient peut-être pas le record sur une grandeur de deux petits paragraphes mais la jauge "lavage de cerveau" affiche quand même un beau score.

Milliyet parle de "comédie de jugement" et a visiblement du mal à avaler le fait que Dursun Karataş, symbole de l'opposition de gauche en Turquie et emprisonné peu après le coup d'État, ait été acquitté. Le journal regrette littéralement qu'il n'y a pas moyen de faire appel de la décision.

Radikal, qui passe souvent pour être le journal le plus progressiste de Turquie (mais qui appartient au même groupe de presse que les deux précédents), se plaint du fait que Fehriye Erdal n'ait reçu que deux ans de prison (non réalisables) et n'en revient toujours pas qu'un tribunal ne puisse considérer le DHKP-C comme une organisation terroriste. Le journal prend aussi acte du fait que l'État turc représenté au tribunal n'a pas pu apporter les preuves du "terrorisme" du DHKP-C.

Dans tous les cas, le fameux argument d'autorité des listes noires est abondamment utilisé. Les listes auraient même valeur de loi à en croire Hürriyet, qui trahit ainsi sa passion du dogme.

Nouvelles d'Italie...

Au même moment, se déroulait l'audience de la Cour d'appel de Sassari, en Sardaigne, concernant la validité de l'extradition requise par la Turquie sur la personne d'Avni Er, militant turc emprisonné. L'Italie est désormais le seul pays qui détient en prison des personnes arrêtées suite à l'opération menée le premier avril 2004 et coordonnée par l'exécutif de plusieurs pays dont la Turquie. Contrairement à la Belgique dont nous venons de connaître l'issue heureuse, l'appel en Italie avait confirmé en janvier dernier les peines prononcées en première instance.

Démonstration de soutien pour Avni Er
Sassari - 7 février (photo : Il Sardegna)

Par rapport à la demande formulée par la Turquie, il semblerait que le ministère publique italien lui-même ait été quelque peu circonspect et qu'il aurait demandé des précisions puisqu'il est compétent pour la formuler devant la cour. Pour l'heure, l'audience a été reportée au 10 avril prochain. Avni Er qui était en grève de la faim a décidé de la suspendre. Toutefois, l'incertitude demeure sur la décision finale et la partie est encore loin d'être gagnée dans ce cas-là même si le soutien politique se fait toujours plus grand et qu'Avni Er peut compter sur la solidarité de l'associatif sarde.

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* Zafer signifie victoire en turc