dimanche 11 novembre 2007

Deux premiers jours du procès « DHKP-C » à Anvers

Jeudi, le président Libert interroge les inculpés.

Vendredi, le Procureur Delmulle fait comme d’habitude et abroge la vérité.

Justice d’Appel : une fois dépassées les portes d’entrée d’un bâtiment vaguement moderne mais franchement laid, on doit donner «à la garde» sa carte d’identité en échange d’un badge numéroté, puis passer sous un portail détectant d’éventuels objets métalliques «non admis». Il faut dire que la présence policière est plutôt mesurée, voire discrète (rien à voir avec l’atmosphère pesante et suspicieuse ayant survolté les audiences à Bruges puis à Gand).


Jeudi 8 novembre, 14 heures.

Le procès «Erdal et consorts» recommence donc depuis le début. La Chambre d’Appel se trouve au premier étage. Une bonne cinquantaine d’amis de toutes sortes s’y sont donné rendez-vous. Une chambre à trois juges (le Président Stefaan Libert, ainsi que ses deux juges-assesseurs : I. Van Dijck et J.P. Vanden Eede) ; plus les deux représentants du Ministère public (le Procureur fédéral Johan Delmulle et sa «main galante» Leen Nuyts) ; quatre prévenus (sur sept personnes poursuivies) : Şükriye Akar, Musa Aşoğlu, Bahar Kimyongür et Kaya Saz ; cinq avocats pour la défense des inculpés (Carl Alexander ; Paul Bekaert et… son fils Simon ; Raf Jespers et Nadia Lorenzetti). Face à eux, esseulé : Kris Vinck, avocat de l’État turc «partie civile officieuse». Sur les bancs de la «presse» : cinq journalistes dont Mehmet Özdemir, ce reporter payé à la pièce pour toute information qu’il aura pu glaner – puisqu’il est, en réalité, un agent informateur des services secrets turcs…

Jeudi 8 novembre. Cette première audience «sur le fond» va constituer un vraie première : le Président du tribunal a décidé de consacrer tout l’après-midi à l’interrogatoire des quatre prévenus présents. Selon le même scénario. Quand, après Musa Aşoğlu arrivera le tour de Şükriye Akar, on le comprendra : lui sera posée la même trame de questions (une bonne vingtaine) dans la même chronologie (pour Musa et Bahar, le Président sollicitera toutefois d’autres réponses spécifiques, liées aux allégations particulières qui leur sont reprochées par le ministère public). Questions-type : Selon vous, que signifie le sigle DHKP-C ? ; Quels sont les objectifs de cette organisation, que veut-elle ? ; Quelle est la différence entre le DHKP et le DHKC ? ; Quels en sont les dirigeants ? ; Êtes-vous pour la révolution ? ; Quels moyens le DHKP-C utilise-t-il pour atteindre ses buts ? ; Ce mouvement agit de manière violente. Etes-vous d’accord ? ; L'organisation pratique-t-elle la torture ? ; D'où l'organisation se procure-t-elle de l'argent ? Pratique-t-elle le racket ? ; L'organisation recoure-t-elle à la peine de mort ? ; Comment avez-vous connu les autres accusés ? Quelles activités avez-vous eues avec chacun d’eux ? Quel jugement portez-vous sur chacun d’eux ?
En réalité, cette suite express de questions-réponses (destinées, sans doute, à quelque peu éclairer la Cour sur l’engagement et l’implication des uns et des autres) sera finalement plus négative qu’explicative : les inculpés devront s’en tenir à des réponses trop lapidaires, trop ramassées que pour être entendues et acceptées – un exercice à la va-vite, rendant impossible toute explicitation sur les raisons profondes de leur militance, sur le contexte historique dans lequel elle se sera développée (l’état de violence par lequel l’État a toujours régenté et continue d’administrer la société turque ainsi que les peuples qui la composent).

Musa Aşoğlu, à propos de «violences» : Moi, je vis aux Pays-Bas. Là-bas comme en Belgique, tout ce que j’ai fait s’est toujours passé dans un cadre légal. Ni le DHKC, dont je suis membre, ni le DHKP n’ont jamais commis et n’ont jamais voulu commettre le moindre acte violent en Europe. En Turquie, l’organisation a justement abattu des policiers tortionnaires ou des maffieux liés et protégés par des officines d’Etat. Les armes retrouvées à Knokke étaient destinées à protéger Fehriye Erdal que des nervis, payés par Ankara, avaient été chargés d’assassiner par tous les moyens.
Détail qui a son importance, dans une affaire où le Ministère public n’a jamais cessé de trousser la réalité pour mieux détrousser la vérité : Musa répondra à S. Libert…, Oui dans la Lancia, que je conduisais lorsque la police m’a appréhendé, se trouvait bien une antenne parabolique. Que je sache, ce n’est pas illégal. Par contre était illégale mon arrestation par les policiers belges: car elle a eu lieu sur le territoire hollandais.

Şükriye Akar (qui, plus d’une fois, a fait sourire les juges et rire le public) : Selon le Procureur Delmulle, j’aurais déclaré – lors du procès à Gand – être une dirigeante, et avoir milité depuis ma prime enfance pour la Révolution. D’emblée, je veux l’affirmer ici devant vous : je n’ai jamais dit ça. Il a tout inventé ! À quel titre suis-je impliquée dans l’affaire présente ? Mais, Monsieur le Président, moi-même je me le demande encore. Sauf que, j’ai fait 14 mois de prison pour rien. Vous me demandez qui est Musa Aşoğlu ? Je vous le réponds tout net: c’est un très-très… chic type. Bahar Kimyongür ? C’est une victime collatérale du 11 septembre 2001 et de l’hystérie antiterroriste. Il n’a rien fait de mal. Il n’a rien à faire dans cette affaire. Ni moi non plus, du reste…». Le Président : Étiez-vous présente le 26 septembre 1999 dans l’appartement de la Zeedijck à Duinbergen ? Sükriye : Jamais de la vie, vous entendez. Et c’est prouvé !

Bahar Kimyongür : Je suis un militant, un militant marxiste. Je ne suis pas membre du DHKP-C. Je n’ai rien à voir avec la violence. Que je réprouve. Vous me demandez ce que signifie Parti-Front «révolutionnaire» ? «Révolutionnaire» est un adjectif tellement galvaudé… Vous savez : dès que l’industrie lance un modèle de voiture muni d’un nouveau klaxon, la publicité le promotionne comme un achat «révolutionnaire»… Ce dont je suis sûr, par contre : dans l’idée de «Révolution», il y a la lutte pour l’indépendance, la justice sociale, le respect des minorités, la fin de l’exploitation.

Kaya Saz : Le but du DHKP-C ? Renverser le régime fasciste en Turquie et lui substituer le socialisme. Vous comprenez ?

A 16 heures : si tout n’a pas été dit, le premier juge du tribunal semble – lui – «informé» à suffisance. La suite est donc renvoyée au lendemain avec les interventions du Ministère public.
Quelques minutes plus tard sur les marches du Palais, toutes les personnes venues à Anvers pour cette audience inaugurale, se sont mises bras dessus-bras dessous, bien serrées, pour une dernière photo. A côté de Deniz Demirkapı (attendant que tout le monde soit en place pour faire fonctionner son numérique), il y a tout à coup un type qui lui aussi nous fait face pour nous photographier. Mehmet Özdemir.

Fin d'audience bien encadrée...


Vendredi 9 novembre, 9 heures du matin.

Changement d’ambiance.
On ne compte pas plus de camarades, dans les travées réservées au public, que les doigts d’une seule main. Quand on arrive, avec dix minutes de retard suites aux embouteillages sur le ring de Bruxelles, Leen Nuyts vient juste de commencer à lire – d’une voix monotone et égarée – un descriptif au vitriol : la menace et la malfaisance que représente, selon le Parquet fédéral (reprenant là le point de vue des Etats-Unis et d’Ankara), le DHKP-C – une organisation dont le Quartier général pour toute l’Europe était «clandestinement installé à la côte belge».

À peine un quart d’heure après ce premier «réquisitoire», c’est au tour de Delmulle à intervenir. À l’instar de la veille, il est flanqué de deux garde du corps, des malabars qui – en tous temps et en tous lieux – traînent à ses guêtres. Comme c’est déjà la troisième fois (au moins) que le magistrat fédéral se doit de résumer le dossier pénal, ça roule : il n’aura aucun égard pour le souci du détail. L’essentiel de sa «plaidoirie» portera sur les incriminations retenues, la légitimité (au regard des faits énoncés) à les appliquer aux prévenus. Premier «coup de force» dans ses allégations à l’emporte-pièce : pour le représentant du ministère public, il y a une incontestable nécessité de condamner les prévenus du fait d’appartenance à une association de malfaiteurs «à visée terroriste»…, alors que cette notion n’existe pas dans le Droit pénal belge. Peu importe.
Pour soutenir l’attention et souligner l’importance de ses propos, Delmulle n’hésite d’ailleurs pas, utilisant tous les moyens susceptibles d’aviver l’intérêt des trois juges: ainsi, à un moment, il brandira la mitraillette ERO (retrouvée dans la Lancia véhiculée par Aşoğlu) ; juste plus tard, il tentera de paniquer S. Libert et ses deux assesseurs en se référant à des documents «où le DHKP-C évoque l’importance d’user de la dynamite et de l’uranium (sic)». Comme à Bruges et à Gand, le magistrat va entretenir à volonté la confusion, obligé – pour asseoir sa démonstration – d’évoquer non pas des faits commis en Belgique, mais aux Pays-Bas et en Allemagne. Ainsi fera-t-il référence aux «trafics d’héroïne, via une firme de transport international liée au DHKP-C» (une histoire-bidon de financements occultes, intentionnellement travestie par ce faussaire en magistrature). Ou s’appesantira sur plusieurs dizaines de photos où «on voit clairement d’ex-militants ayant été exécutés par l’organisation» (alors qu’ici aussi J. Delmulle refuse de faire une critique exhaustive des documents qu’il produit)…

Revenant évidemment sur la qualification de «dirigeants d’une organisation terroriste» (incrimination portée à l’encontre d’Aşoğlu et de Kimyongür), c’est encore le même Delmulle qui trahira (comme à Bruges, comme à Gand) le contexte réel dans lequel s’était passée la fameuse conférence de presse du 28 juin 2004 à Bruxelles : «Non, c’est de leur propre initiative qu’Aşoğlu et Kimyongür ont distribué ce jour-là aux journalistes présents un communiqué du DHKC revendiquant un attentat»…
En réalité, cette conférence de presse n’avait jamais cessé d’être parasitée par les interventions pressantes et répétitives d’un des «journalistes» présent sur place, interpellant sans cesse les organisateurs sur un tout autre sujet que le Sommet de l’OTAN ayant lieu le même week-end à Ankara. Sur une cassette-vidéo où est enregistrée toute la scène (cassette diffusée devant les juges de la Cour d’Appel de Gand), on voit d’ailleurs Musa Aşoğlu (l’un des deux porte-parole de la conférence) être interrompu à plusieurs reprises, en cours d’exposé, par ce «reporter» turc à propos de l’attentat raté. «Nous ne sommes pas ici pour cela, mais pour parler de Resistanbul»: sont exemptes de toute ambiguïté la réponse d’Aşoğlu au journaliste singulièrement insistant et la traduction par Bahar de certains passages du communiqué (tels que lus par Aşoğlu), où le DHKP-C prend l’entière responsabilité de la tragédie, s’en excuse auprès de l’opinion et des parents des victimes. Dans pareil contexte, où les deux protagonistes expressément sollicités ne pouvaient se dérober à l’insistance d’un prétendu journaliste turcophone, il est donc parfaitement malhonnête de continuer à affirmer (à l’égal du magistrat fédéral) qu’Aşoğlu ou Kimyongür auraient décidé «de leur propre initiative» de «lire», traduire et distribuer le fameux communiqué à la presse. Précision importante, le nom du journaliste impétrant : Mehmet Özdemir…

Dernier cador de la journée du vendredi ? Kris Vinck. L’avocat de la partie turque. Pour trois-quarts d’heure à charge du DHKP-C et des prévenus. Deux effets de manche, parmi beaucoup d’autres : quand pour émouvoir le tribunal, Vinck a comparé le multimilliardaire Ö. Sabancı (dont la Justice soupçonne F. Erdal d’avoir participé à l’exécution) au vicomte Davignon ; ou quand il a révélé que le DHKP-C n’hésitait pas à s’en prendre à des juges abhorrés.

Jean Flinker

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