lundi 19 novembre 2007

Éclairages

Alors que le procès contre des militants d'origine turque se poursuit actuellement, plusieurs analyses ont été publiées dans la presse.

Dans le Journal du Mardi, Jean-Claude Paye livre une analyse sans concession des enjeux qui tournent autour du prochain jugement. La notion d'exception, fondamentale pour comprendre, est à nouveau sur la sellette :

La mise en place de procédures spéciales est coutumière des législations antiterroristes. C’est en fait leur raison d’être: installer des exceptions à tous les stades de la procédure pénale, de l’enquête à la détention, en passant par le jugement lui-même. C’est aussi le cas dans cette affaire. Les prisonniers, qui, rappelons-le, n’ont commis, ni collaboré à aucun acte violent, ont été soumis à des conditions de détention tellement sévères qu’elles ne sont pas imposées aux criminels les plus dangereux.

Sur le soutien apporté lors du premier jugement en appel à un régime non-démocratique comme la Turquie :

C’est l’attribution, par le tribunal de première instance, d’un caractère « démocratique » à un régime bien connu pour la guerre qu’il mène contre ses populations et qui définit comme « terroriste » toute action, même pacifique, liée à une organisation d’opposition qui a mené des actions armées, même si elles sont marginales dans l’action de cette organisation. [...]
Cette lecture a pour effet que les accusés ne peuvent invoquer les crimes du gouvernement à leur égard pour justifier leur résistance. La répression se justifie automatiquement comme action « préventive » vis à vis de tout groupe d’opposition radicale.

Sur la tentative d'extradition d'un ressortissant belge vers la Turquie et l'ascendant pris par l'exécutif sur les autres pouvoirs :

La volonté du pouvoir exécutif de violer les règles de droit existantes et de modifier l’ordre juridique se manifeste également dans l’arrestation au Pays-Bas, la nuit du 27 au 28 août 2006, d’un des prévenus disposant de la nationalité belge. Cet enlèvement par les forces de l’ordre néerlandaises (filature, voiture banalisée..) est le résultat d’une entente entre la police hollandaise et le pouvoir exécutif belge. Comme Bahar Kimyongur dispose de la nationalité belge et que la Belgique ne peut extrader ses ressortissants, la solution était d’organiser son arrestation dans un pays tiers qui aurait la possibilité de procéder à son transfert en Turquie. Cette collaboration, en vue d’extrader Bahar Kimyongur vers la Turquie sur base d’un mandat Interpol est connue.

Concernant la création de tribunaux spéciaux :

Les jugements rendus par ces tribunaux [Note : ceux de Bruges et de Gand] ne peuvent être considérés, au stade actuel de l’affaire, comme le point de vue de l’appareil judiciaire au sens strict, mais comme celui d’un tribunal spécial chargé de faire aboutir l’action répressive du pouvoir exécutif. [...]
L’enjeu de ce procès n’est pas de punir une organisation turque à laquelle la Belgique n’est pas confrontée mais de briser la capacité des citoyens de se démarquer des politiques officielles.

Ce texte a également été publié dans le Journal du Collectif "Solidarité Contre l'Exclusion" (pp. 64-66) et comme "carte blanche" en version synthétique dans La Libre Belgique (16 novembre). Elle a été cossignée par le sociologue Jean-Claude Paye, par le journaliste Doğan Özgüden de la fondation Info-Türk, par la députée Marie Nagy, par Peter de Smet, le directeur Greenpeace Belgium, par les avocats Jean-Marie Dermagne et Eric Therer, par le porte-parole d'Attac Flandres et par plusieurs professeurs des Université Libre de Bruxelles, Université Catholique de Louvain, Katholieke Universiteit Leuven et Université de Liège.

Toujours dans le Journal du Mardi (p.15), tout aussi intéressant se trouve l'éclairage de Bahar Kimyongür sur ce qu'est réellement le DHKP-C en Turquie : un mouvement de lutte sociale qui est inextricablement lié au mouvement syndical turc.

En 1965, le Parti Ouvrier de Turquie (TIP) gagne plusieurs sièges au Parlement : c’est la première fois qu’un parti prônant le socialisme occupe un tel terrain sur la scène politique. Ce parti fonde une Fédération des Clubs de Réflexion (FKF) dans les universités et c’est du grand débat « réforme ou révolution » que naîtra le mouvement à l’origine du Parti et Front Révolutionnaire de Libération du Peuple (DHKP-C). Le mouvement syndical est indissociable du mouvement révolutionnaire : d’ailleurs, les phases d’ascension et de récession de ces deux mouvements sont synchrones.
[...]
L’affiliation à un syndicat coûte le licenciement dans la plupart des secteurs des entreprises privées. Et dans le secteur public existe encore la pratique moyenâgeuse du bannissement et de l’exil intérieur.
[...]
Le DHKP-C est méconnu du grand public. D’aucuns pensent qu’il s’agit d’une organisation strictement armée alors que son activité militaire est marginale quand on la compare à ses innombrables activités sociales et politiques. Le DHKP-C, ce sont essentiellement des comités populaires dans les quartiers déshérités situés en périphérie des métropoles comme Istanbul, Izmir, Ankara et Adana.

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