vendredi 30 novembre 2007

Des villageois turcs résistent contre une usine d’enrichissement du phosphate

Depuis quelques semaines, c’est l’inquiétude à Sahil Yenice, un petit village paisible situé à 12 km de la ville de Bandırma (ouest de la Turquie), dont les habitants vivent essentiellement de l’exploitation de la noix. En cause, l’ouverture prochaine d’une entreprise d’enrichissement du phosphate. Le maire du village, Yaşar Panç craint lui aussi les « conséquences désastreuses de l’acivité d’une telle usine sur les produits agricoles, la santé et l’écosystème de la région ».

Le 17 novembre dernier, un millier de villageois ont occupé le terrain où l’usine sera construite.
Ce rassemblement était appuyé par une figure de proue de la lutte paysanne en Turquie, Oktay Konyar. Konyar est le porte-parole des villageois de la région de Bergama qui luttent depuis près de 15 ans contre l’installation d’une entreprise minière d’extraction de l’or par cyanuration.
Le 24 novembre, plus de 600 villageois de Sahil Yenice sont descendus dans la ville de Bandırma pour y manifester. Les femmes présentes étaient vêtues de leur habits traditionnels tandis que les hommes, à l’instar de leurs camarades de Bergama, ont paradé le torse nu et ce, malgré le froid.


« Notre seule usine, c’est la noix », « Nous ne voulons pas d’usine de phosphate », « Les routes de Yenice sont fermées aux entreprises », « Ne te tais pas, si tu te tais, ton tour viendra » ou encore « Notre résistance vaincra » crièrent-ils dans les rues de la ville.


La manifestation s’est achevée par une conférence de presse dans les locaux du syndicat des travailleurs du pétrole « Petrol-İş ».
A leur tour, dès le lendemain, les forces progressistes de la région, dont la « plateforme pour la démocratie » et « l’association de la jeunesse » (Gençlik Derneği) de Bandırma, ont organisé un convoi de solidarité vers le village de Sahil Yenice.
Le convoi a été accueilli par les jeunes du village brandissant des bouquets d’œillets.
En présence des citadins venus par solidarité, 442 villageois ont participé à un referendum qui devait décider de la poursuite du combat contre l’ouverture de l’usine. Les électeurs ont voté à l’unanimité en faveur de la poursuite du mouvement.
Des danses populaires rythmées par les chansons du célèbre groupe musical révolutionnaire « Yorum » ont animé la place du village jusqu’en début de soirée.

Après le retour à Bandırma du convoi de solidarité, le maire MHP (Parti d’action nationaliste, d’inspiration fasciste) de la ville, Adnan Tuksal s’est rendu à son tour au village pour tenter d’intimider les villageois en les accusant d’avoir accueilli des individus subversifs agissant contre l’Etat. A peine eut-il fini sa diatribe que les habitants de Sahil Yenice lui ont indiqué la porte du village...

Bahar Kimyongür - 26 novembre 2007

[Sources : Milliyet, Halkın Sesi TV, Marmara TV, Agence Anatolie]

lundi 26 novembre 2007

Autres militants, autres cadres mais même logique criminalisante

À peine la dernière audience du «procès du DHKC» venait-elle de se terminer la veille que déjà deux autres procès s'ouvraient le lendemain et se poursuivaient. Des affaires où la militance et la revendication sociale en sont les principales accusées. C'est comme si nous étions témoins d'une espèce de déformation de l'espace-temps qui eût voulu concentrer la criminalisation des mouvements sociaux en un point précis de sa courbe, le tout dans une fourchette de moins de 24 heures.

L'une de ces affaires concerne notre ami Thierry Delforge, membre très actif au Clea. Rendez-vous a donc été donné à la 50ème chambre correctionnelle de Bruxelles mercredi passé afin de le soutenir. Les tenants et aboutissants de ce procès sont résumés quatre billets en amont.

La seconde qui n'est pas une mince histoire se déroule à Paris. Qu'il me soit donné la possibilité d'en retracer les grandes lignes à défaut d'avoir pu le faire jusqu'ici.

Tout commence en 2003, où un juge d'instruction français, Gilbert Thiel, lance une procédure à la demande des autorités italiennes contre trois communistes italiens installés à Paris : Angelo D’Arcangeli, Giuseppe Maj et Giuseppe Czeppel. Ils sont suspectés d'appartenir au (n)PCI [pour (nuovo) Partito Comunista Italiano] un parti considéré illégal sur le territoire italien et dès lors rejeté dans la clandestinité, un parti qui tire son origine des mouvements de gauche particulièrement réprimés durant les années noires en Italie du temps des Brigades Rouges (fin des années 70 et début 80). Jusque là, leurs activités militantes étaient tout ce qu'il y a de plus légal et ne dérangaient personne. Dans les faits, aucun acte criminel n'a jamais été commis et il n'y a eu pareille intention.

Malgré tout, l'italie a demandé l'extradition de ces militants en la motivant via la qualification de “terrorisme” c-à-d via les articles 270 et surtout 270 bis du code pénal italien qui n'est autre que l'équivalent de l'article 137 du code pénal belge, soit l'héritage partiel de la fameuse loi-cadre de l'Union européenne votée quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001.

Depuis plusieurs années déjà, les sympathisants du (n)PCI étaient l'objet de poursuites en Italie qui se sont toutes soldées jusqu'ici par des non-lieux. En outre, ces poursuites ont violé le principe du non bis in idem qui consacre le fait qu'un personne ne puisse être jugée plusieurs fois pour la même chose.

Matériellement, il n'y a donc rien contre eux sauf une chose : la possession de faux papiers. Les personnes concernées reconnaissent avoir été en détention de faux documents et s'expliquent par le fait qu'elles ne souhaitaient évidemment pas tomber entre les mains de la justice italienne pour leurs activités militantes préjugées illégales. Il faut dire que cette politique répressive avait connu un renouveau avec l'administration Berlusconi.

L'époque où la France offrait un asile aux militants de gauche semble bel et bien révolue. Que l'on pense à Oreste Scalzone de Potere Operaio et d'Autonomia Operaia qui a pu revenir en Italie récemment grâce à la prescription ou mieux à Cesare Battisti qui a du fuir la persécution politique en se rendant lui aussi dans le pays voisin. Du moins, pendant un temps, avant que le révisionnisme politique ne fasse des ravages et que les faucons italiens, sociaux démocrates de "gauche" compris, ne crient en choeur leur joie de mettre la main sur les néo-"terroristes". Cesare Battisti attend une éventuelle extradition depuis le Brésil où il a du trouver refuge après avoir été lâché par les autorités françaises.

Toujours est-il que dans le cas des sympathisants du (n)PCI de Paris, on demeure encore très loin de quelque chose qui ressemblerait à un crime au sens pénal du terme à tel point que le chef d'accusation retenu à du être redéfini en abandonnant la fameuse qualification de "terrorisme" dans les poursuites.

La justice française n'en démord pas pour autant et va se raccrocher au seul élément délictueux concret qu'elle a entre les mains : les faux papiers. Les peines octroyées ont été effroyablement lourdes, a fortiori pour des personnes qui possédaient un casier judiciaire vierge.

Pour résumer, Giuseppe Maj et Giuseppe Czeppel ont été condamnés à trois ans ferme et deux avec sursis (5 ans en tout) pour «association de malfaiteurs pour la fabrication et l’utilisation de faux papiers» et surtout l'interdiction de séjour sur le sol français les exposant à d'autres peines, factices bien évidemment, en cas d'expulsion. Le cas le plus surprenant est celui d'Angelo D'Arcangeli, condamné également (à un an ferme et un avec sursis, 2 ans en tout), mais en possession de papiers tout ce qu'il y a de plus officiels. Dès lors, personne n'a vraiment compris ce qui lui était exactement reproché. Cette condamnation sent trop la revanche de n'avoir pu mettre en exercice la qualification de terrorisme. Il est criant qu'elle est tout entière marquée d'une volonté répressive politique contre des militants.

Angelo D'Arcangeli

Un comité de soutien s'est créé autour de leur cas et la presse, en particulier le quotidien français Libération, et plusieurs personnalités médiatiques ont suivi attentivement le déroulement de ce procès. Tous trois se sont d'ailleurs pourvus en appel ; un appel dont les audiences se sont déroulées les 21 et 22 novembre derniers.

Dans les prochaines semaines, hasard du calendrier (enfin plus ou moins), un autre jugement sera rendu, en France cette fois, et constituera à n'en pas douter un indicateur supplémentaire sur la progression ou non des crimes d'opinion en Europe.

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La terreur n'est pas celle que l'on croit

La nuit du 22 novembre vers 2h00 du matin, le domicile familial de Gözde Buldu situé dans l’arrondissement stambouliote de Okmeydanı a été attaqué à l’explosif.

L’attentat n’a causé que des dégâts matériels.

Malgré la gravité des faits, les enquêteurs ne sont venus sur les lieux que deux heures après l’attentat et ont procédé à la collecte des preuves avec la plus totale désinvolture, en glissant celles-ci dans leurs poches et en se gardant bien d’attribuer un caractère politique à l’attentat.

La personne manifestement visée par l’attentat, Gözde Buldu, est une militante de gauche active dans l’association pour les droits fondamentaux (Temel Haklar) de son quartier. Cette association est une antenne locale du Front pour les Droits et les Libertés (HÖC), une organisation marxiste qui lutte depuis de nombreuses années par des moyens légaux, sur le terrain politique, social, culturel et syndical.


Dans un communiqué du Front pour les droits et les libertés lu le lendemain en public sur la place Dikilitaş à Istanbul où se sont regroupés une quarantaine de militants, le nouveau directeur de la Sûreté de l’arrondissement de Beyoğlu a été tenu pour responsable de cet attentat. Ce dernier aurait récemment juré de « nettoyer Okmeydanı » de ses militants.

Ces derniers mois, profitant de l’hystérie ultranationaliste qui gagne le pays, les forces de police et les milices d’extrême droite (Loups Gris en tête) ont multiplié leurs attentats terroristes contre les organisations démocratiques, pro-kurdes ou de gauche.

D'après HalkınSesi.tv (24 novembre 2007)

lundi 19 novembre 2007

Éclairages

Alors que le procès contre des militants d'origine turque se poursuit actuellement, plusieurs analyses ont été publiées dans la presse.

Dans le Journal du Mardi, Jean-Claude Paye livre une analyse sans concession des enjeux qui tournent autour du prochain jugement. La notion d'exception, fondamentale pour comprendre, est à nouveau sur la sellette :

La mise en place de procédures spéciales est coutumière des législations antiterroristes. C’est en fait leur raison d’être: installer des exceptions à tous les stades de la procédure pénale, de l’enquête à la détention, en passant par le jugement lui-même. C’est aussi le cas dans cette affaire. Les prisonniers, qui, rappelons-le, n’ont commis, ni collaboré à aucun acte violent, ont été soumis à des conditions de détention tellement sévères qu’elles ne sont pas imposées aux criminels les plus dangereux.

Sur le soutien apporté lors du premier jugement en appel à un régime non-démocratique comme la Turquie :

C’est l’attribution, par le tribunal de première instance, d’un caractère « démocratique » à un régime bien connu pour la guerre qu’il mène contre ses populations et qui définit comme « terroriste » toute action, même pacifique, liée à une organisation d’opposition qui a mené des actions armées, même si elles sont marginales dans l’action de cette organisation. [...]
Cette lecture a pour effet que les accusés ne peuvent invoquer les crimes du gouvernement à leur égard pour justifier leur résistance. La répression se justifie automatiquement comme action « préventive » vis à vis de tout groupe d’opposition radicale.

Sur la tentative d'extradition d'un ressortissant belge vers la Turquie et l'ascendant pris par l'exécutif sur les autres pouvoirs :

La volonté du pouvoir exécutif de violer les règles de droit existantes et de modifier l’ordre juridique se manifeste également dans l’arrestation au Pays-Bas, la nuit du 27 au 28 août 2006, d’un des prévenus disposant de la nationalité belge. Cet enlèvement par les forces de l’ordre néerlandaises (filature, voiture banalisée..) est le résultat d’une entente entre la police hollandaise et le pouvoir exécutif belge. Comme Bahar Kimyongur dispose de la nationalité belge et que la Belgique ne peut extrader ses ressortissants, la solution était d’organiser son arrestation dans un pays tiers qui aurait la possibilité de procéder à son transfert en Turquie. Cette collaboration, en vue d’extrader Bahar Kimyongur vers la Turquie sur base d’un mandat Interpol est connue.

Concernant la création de tribunaux spéciaux :

Les jugements rendus par ces tribunaux [Note : ceux de Bruges et de Gand] ne peuvent être considérés, au stade actuel de l’affaire, comme le point de vue de l’appareil judiciaire au sens strict, mais comme celui d’un tribunal spécial chargé de faire aboutir l’action répressive du pouvoir exécutif. [...]
L’enjeu de ce procès n’est pas de punir une organisation turque à laquelle la Belgique n’est pas confrontée mais de briser la capacité des citoyens de se démarquer des politiques officielles.

Ce texte a également été publié dans le Journal du Collectif "Solidarité Contre l'Exclusion" (pp. 64-66) et comme "carte blanche" en version synthétique dans La Libre Belgique (16 novembre). Elle a été cossignée par le sociologue Jean-Claude Paye, par le journaliste Doğan Özgüden de la fondation Info-Türk, par la députée Marie Nagy, par Peter de Smet, le directeur Greenpeace Belgium, par les avocats Jean-Marie Dermagne et Eric Therer, par le porte-parole d'Attac Flandres et par plusieurs professeurs des Université Libre de Bruxelles, Université Catholique de Louvain, Katholieke Universiteit Leuven et Université de Liège.

Toujours dans le Journal du Mardi (p.15), tout aussi intéressant se trouve l'éclairage de Bahar Kimyongür sur ce qu'est réellement le DHKP-C en Turquie : un mouvement de lutte sociale qui est inextricablement lié au mouvement syndical turc.

En 1965, le Parti Ouvrier de Turquie (TIP) gagne plusieurs sièges au Parlement : c’est la première fois qu’un parti prônant le socialisme occupe un tel terrain sur la scène politique. Ce parti fonde une Fédération des Clubs de Réflexion (FKF) dans les universités et c’est du grand débat « réforme ou révolution » que naîtra le mouvement à l’origine du Parti et Front Révolutionnaire de Libération du Peuple (DHKP-C). Le mouvement syndical est indissociable du mouvement révolutionnaire : d’ailleurs, les phases d’ascension et de récession de ces deux mouvements sont synchrones.
[...]
L’affiliation à un syndicat coûte le licenciement dans la plupart des secteurs des entreprises privées. Et dans le secteur public existe encore la pratique moyenâgeuse du bannissement et de l’exil intérieur.
[...]
Le DHKP-C est méconnu du grand public. D’aucuns pensent qu’il s’agit d’une organisation strictement armée alors que son activité militaire est marginale quand on la compare à ses innombrables activités sociales et politiques. Le DHKP-C, ce sont essentiellement des comités populaires dans les quartiers déshérités situés en périphérie des métropoles comme Istanbul, Izmir, Ankara et Adana.

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lundi 12 novembre 2007

L'argument d'autorité des “listes noires”

Récemment, les “listes noires” ont été montrées du doigt par Dick Marty, rapporteur pour le Conseil de l'Europe, qui en dénonce les atteintes aux droits fondamentaux (Le Monde ; La Libre Belgique).

L'argument suprême, pour ne pas dire l'unique argument, qui détermine aujourd'hui pourquoi le DHKP/C ou d'autres sont des organisations terroristes réfère à ces fameuses listes noires établies par plusieurs administrations d'État. De cette manière, à la fin d'un article de la presse à grand tirage, il n'est pas rare de lire une ritournelle comme : "l'organisation x, y ou z est considérée comme une organisation terroriste par la Turquie, par l'Union européenne et par les États-unis". Qu'il s'agisse du PKK ou du DHKP/C par exemple. Le journaliste plaçant cette mantra dans son article le fait sans doute pour gagner le sentiment d'une certaine objectivité. En réalité, il parle des fameuses listes noires contre lesquelles de plus en plus de critiques se font entendre.

Aux yeux d'un libre-exaministe, on appelle cela un «argument d'autorité», c-à-d le désaveu de la critique. Ces listes ne sont en effet rien d'autre que des instruments créés par le pouvoir exécutif. Ce pouvoir décrète ce qui fait office de vérité, distingue le bien du mal, déclare les uns terroristes et, de fait, les autres non-terroristes. C'est ce qu'on appelle un dogme, un opinion qui s'impose du haut vers le bas. Et comme tout dogme, il est indiscutable.

Il est aussi important de rappeler qu'il n'y a aucun contrôle démocratique sur ces listes, qu'elles n'ont pas été votées par des parlements nationaux ou supranationaux, qu'elles s'imposent de facto a partir du moment où elles ont été rédigées par une administration.

Si l'on porte un zoom sur le cas plus particulier du DHKP/C, ce n'est pas seulement ce mouvement (Parti/Front Révolutionnaire de Libération du Peuple) qui a été inscrit sur cette liste, c'est aussi le Devrimci Sol (Gauche Révolutionnaire) classifié comme une seule et même variable. En d'autres termes, c'est tout le mouvement de lutte sociale opposé aux militaires, au coup d'État et à l'extrême-droite que l'on diabolise dans cette liste par le qualificatif «terroriste» et ce depuis son origine. Le DHKP/C est en effet la continuation du Devrimci Sol dont des dizaines de milliers de sympathisants et membres ont été arrêtés, torturés, assassinés ou conduits à l'exil par la junte militaire au pouvoir au début des années 80. [Voir le numéro 24 des groupes et entités classés comme terroriste sur la liste du Conseil des ministres de l'Union européenne]

Il faut savoir que ce genre de liste ne propose aucune définition du terrorisme et qu'on y retrouve de façon aléatoire des organisations aux idéologies radicalement différentes, c-à-d pêle-mêle : des islamistes ainsi que des mouvements d'opposition de gauche et régionalistes.

À cela, il faut ajouter que les organisations d'extrême-droite y brillent par leur absence. Ces mêmes organisations ne sont pourtant pas économes de nombreux crimes tels que pogroms, incendies criminels, lynchages, trafic de drogue, assassinats politiques et j'en passe et des meilleurs. La terreur qu'elles jettent au sein de la population, des minorités est tout à fait réelle. Rien que l'année 2007, par exemple, a égrené une formidable collection de méfaits commis par l'extrême-droite turque. Depuis l'assassinat de Hrant Dink jusqu'aux récentes émeutes et attaques contres les associations kurdes et celles de la gauche non-nationaliste. Personne n'est en mesure de dire aujourd'hui qu'il l'ignore.

Par conséquent, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que cette liste et ses cousines du département d'État états-unien ou du conseil de l'Europe sont éminemment idéologiques. Et qu'elles visent l'obligation d'épouser une certaine vision du monde.

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dimanche 11 novembre 2007

Deux premiers jours du procès « DHKP-C » à Anvers

Jeudi, le président Libert interroge les inculpés.

Vendredi, le Procureur Delmulle fait comme d’habitude et abroge la vérité.

Justice d’Appel : une fois dépassées les portes d’entrée d’un bâtiment vaguement moderne mais franchement laid, on doit donner «à la garde» sa carte d’identité en échange d’un badge numéroté, puis passer sous un portail détectant d’éventuels objets métalliques «non admis». Il faut dire que la présence policière est plutôt mesurée, voire discrète (rien à voir avec l’atmosphère pesante et suspicieuse ayant survolté les audiences à Bruges puis à Gand).


Jeudi 8 novembre, 14 heures.

Le procès «Erdal et consorts» recommence donc depuis le début. La Chambre d’Appel se trouve au premier étage. Une bonne cinquantaine d’amis de toutes sortes s’y sont donné rendez-vous. Une chambre à trois juges (le Président Stefaan Libert, ainsi que ses deux juges-assesseurs : I. Van Dijck et J.P. Vanden Eede) ; plus les deux représentants du Ministère public (le Procureur fédéral Johan Delmulle et sa «main galante» Leen Nuyts) ; quatre prévenus (sur sept personnes poursuivies) : Şükriye Akar, Musa Aşoğlu, Bahar Kimyongür et Kaya Saz ; cinq avocats pour la défense des inculpés (Carl Alexander ; Paul Bekaert et… son fils Simon ; Raf Jespers et Nadia Lorenzetti). Face à eux, esseulé : Kris Vinck, avocat de l’État turc «partie civile officieuse». Sur les bancs de la «presse» : cinq journalistes dont Mehmet Özdemir, ce reporter payé à la pièce pour toute information qu’il aura pu glaner – puisqu’il est, en réalité, un agent informateur des services secrets turcs…

Jeudi 8 novembre. Cette première audience «sur le fond» va constituer un vraie première : le Président du tribunal a décidé de consacrer tout l’après-midi à l’interrogatoire des quatre prévenus présents. Selon le même scénario. Quand, après Musa Aşoğlu arrivera le tour de Şükriye Akar, on le comprendra : lui sera posée la même trame de questions (une bonne vingtaine) dans la même chronologie (pour Musa et Bahar, le Président sollicitera toutefois d’autres réponses spécifiques, liées aux allégations particulières qui leur sont reprochées par le ministère public). Questions-type : Selon vous, que signifie le sigle DHKP-C ? ; Quels sont les objectifs de cette organisation, que veut-elle ? ; Quelle est la différence entre le DHKP et le DHKC ? ; Quels en sont les dirigeants ? ; Êtes-vous pour la révolution ? ; Quels moyens le DHKP-C utilise-t-il pour atteindre ses buts ? ; Ce mouvement agit de manière violente. Etes-vous d’accord ? ; L'organisation pratique-t-elle la torture ? ; D'où l'organisation se procure-t-elle de l'argent ? Pratique-t-elle le racket ? ; L'organisation recoure-t-elle à la peine de mort ? ; Comment avez-vous connu les autres accusés ? Quelles activités avez-vous eues avec chacun d’eux ? Quel jugement portez-vous sur chacun d’eux ?
En réalité, cette suite express de questions-réponses (destinées, sans doute, à quelque peu éclairer la Cour sur l’engagement et l’implication des uns et des autres) sera finalement plus négative qu’explicative : les inculpés devront s’en tenir à des réponses trop lapidaires, trop ramassées que pour être entendues et acceptées – un exercice à la va-vite, rendant impossible toute explicitation sur les raisons profondes de leur militance, sur le contexte historique dans lequel elle se sera développée (l’état de violence par lequel l’État a toujours régenté et continue d’administrer la société turque ainsi que les peuples qui la composent).

Musa Aşoğlu, à propos de «violences» : Moi, je vis aux Pays-Bas. Là-bas comme en Belgique, tout ce que j’ai fait s’est toujours passé dans un cadre légal. Ni le DHKC, dont je suis membre, ni le DHKP n’ont jamais commis et n’ont jamais voulu commettre le moindre acte violent en Europe. En Turquie, l’organisation a justement abattu des policiers tortionnaires ou des maffieux liés et protégés par des officines d’Etat. Les armes retrouvées à Knokke étaient destinées à protéger Fehriye Erdal que des nervis, payés par Ankara, avaient été chargés d’assassiner par tous les moyens.
Détail qui a son importance, dans une affaire où le Ministère public n’a jamais cessé de trousser la réalité pour mieux détrousser la vérité : Musa répondra à S. Libert…, Oui dans la Lancia, que je conduisais lorsque la police m’a appréhendé, se trouvait bien une antenne parabolique. Que je sache, ce n’est pas illégal. Par contre était illégale mon arrestation par les policiers belges: car elle a eu lieu sur le territoire hollandais.

Şükriye Akar (qui, plus d’une fois, a fait sourire les juges et rire le public) : Selon le Procureur Delmulle, j’aurais déclaré – lors du procès à Gand – être une dirigeante, et avoir milité depuis ma prime enfance pour la Révolution. D’emblée, je veux l’affirmer ici devant vous : je n’ai jamais dit ça. Il a tout inventé ! À quel titre suis-je impliquée dans l’affaire présente ? Mais, Monsieur le Président, moi-même je me le demande encore. Sauf que, j’ai fait 14 mois de prison pour rien. Vous me demandez qui est Musa Aşoğlu ? Je vous le réponds tout net: c’est un très-très… chic type. Bahar Kimyongür ? C’est une victime collatérale du 11 septembre 2001 et de l’hystérie antiterroriste. Il n’a rien fait de mal. Il n’a rien à faire dans cette affaire. Ni moi non plus, du reste…». Le Président : Étiez-vous présente le 26 septembre 1999 dans l’appartement de la Zeedijck à Duinbergen ? Sükriye : Jamais de la vie, vous entendez. Et c’est prouvé !

Bahar Kimyongür : Je suis un militant, un militant marxiste. Je ne suis pas membre du DHKP-C. Je n’ai rien à voir avec la violence. Que je réprouve. Vous me demandez ce que signifie Parti-Front «révolutionnaire» ? «Révolutionnaire» est un adjectif tellement galvaudé… Vous savez : dès que l’industrie lance un modèle de voiture muni d’un nouveau klaxon, la publicité le promotionne comme un achat «révolutionnaire»… Ce dont je suis sûr, par contre : dans l’idée de «Révolution», il y a la lutte pour l’indépendance, la justice sociale, le respect des minorités, la fin de l’exploitation.

Kaya Saz : Le but du DHKP-C ? Renverser le régime fasciste en Turquie et lui substituer le socialisme. Vous comprenez ?

A 16 heures : si tout n’a pas été dit, le premier juge du tribunal semble – lui – «informé» à suffisance. La suite est donc renvoyée au lendemain avec les interventions du Ministère public.
Quelques minutes plus tard sur les marches du Palais, toutes les personnes venues à Anvers pour cette audience inaugurale, se sont mises bras dessus-bras dessous, bien serrées, pour une dernière photo. A côté de Deniz Demirkapı (attendant que tout le monde soit en place pour faire fonctionner son numérique), il y a tout à coup un type qui lui aussi nous fait face pour nous photographier. Mehmet Özdemir.

Fin d'audience bien encadrée...


Vendredi 9 novembre, 9 heures du matin.

Changement d’ambiance.
On ne compte pas plus de camarades, dans les travées réservées au public, que les doigts d’une seule main. Quand on arrive, avec dix minutes de retard suites aux embouteillages sur le ring de Bruxelles, Leen Nuyts vient juste de commencer à lire – d’une voix monotone et égarée – un descriptif au vitriol : la menace et la malfaisance que représente, selon le Parquet fédéral (reprenant là le point de vue des Etats-Unis et d’Ankara), le DHKP-C – une organisation dont le Quartier général pour toute l’Europe était «clandestinement installé à la côte belge».

À peine un quart d’heure après ce premier «réquisitoire», c’est au tour de Delmulle à intervenir. À l’instar de la veille, il est flanqué de deux garde du corps, des malabars qui – en tous temps et en tous lieux – traînent à ses guêtres. Comme c’est déjà la troisième fois (au moins) que le magistrat fédéral se doit de résumer le dossier pénal, ça roule : il n’aura aucun égard pour le souci du détail. L’essentiel de sa «plaidoirie» portera sur les incriminations retenues, la légitimité (au regard des faits énoncés) à les appliquer aux prévenus. Premier «coup de force» dans ses allégations à l’emporte-pièce : pour le représentant du ministère public, il y a une incontestable nécessité de condamner les prévenus du fait d’appartenance à une association de malfaiteurs «à visée terroriste»…, alors que cette notion n’existe pas dans le Droit pénal belge. Peu importe.
Pour soutenir l’attention et souligner l’importance de ses propos, Delmulle n’hésite d’ailleurs pas, utilisant tous les moyens susceptibles d’aviver l’intérêt des trois juges: ainsi, à un moment, il brandira la mitraillette ERO (retrouvée dans la Lancia véhiculée par Aşoğlu) ; juste plus tard, il tentera de paniquer S. Libert et ses deux assesseurs en se référant à des documents «où le DHKP-C évoque l’importance d’user de la dynamite et de l’uranium (sic)». Comme à Bruges et à Gand, le magistrat va entretenir à volonté la confusion, obligé – pour asseoir sa démonstration – d’évoquer non pas des faits commis en Belgique, mais aux Pays-Bas et en Allemagne. Ainsi fera-t-il référence aux «trafics d’héroïne, via une firme de transport international liée au DHKP-C» (une histoire-bidon de financements occultes, intentionnellement travestie par ce faussaire en magistrature). Ou s’appesantira sur plusieurs dizaines de photos où «on voit clairement d’ex-militants ayant été exécutés par l’organisation» (alors qu’ici aussi J. Delmulle refuse de faire une critique exhaustive des documents qu’il produit)…

Revenant évidemment sur la qualification de «dirigeants d’une organisation terroriste» (incrimination portée à l’encontre d’Aşoğlu et de Kimyongür), c’est encore le même Delmulle qui trahira (comme à Bruges, comme à Gand) le contexte réel dans lequel s’était passée la fameuse conférence de presse du 28 juin 2004 à Bruxelles : «Non, c’est de leur propre initiative qu’Aşoğlu et Kimyongür ont distribué ce jour-là aux journalistes présents un communiqué du DHKC revendiquant un attentat»…
En réalité, cette conférence de presse n’avait jamais cessé d’être parasitée par les interventions pressantes et répétitives d’un des «journalistes» présent sur place, interpellant sans cesse les organisateurs sur un tout autre sujet que le Sommet de l’OTAN ayant lieu le même week-end à Ankara. Sur une cassette-vidéo où est enregistrée toute la scène (cassette diffusée devant les juges de la Cour d’Appel de Gand), on voit d’ailleurs Musa Aşoğlu (l’un des deux porte-parole de la conférence) être interrompu à plusieurs reprises, en cours d’exposé, par ce «reporter» turc à propos de l’attentat raté. «Nous ne sommes pas ici pour cela, mais pour parler de Resistanbul»: sont exemptes de toute ambiguïté la réponse d’Aşoğlu au journaliste singulièrement insistant et la traduction par Bahar de certains passages du communiqué (tels que lus par Aşoğlu), où le DHKP-C prend l’entière responsabilité de la tragédie, s’en excuse auprès de l’opinion et des parents des victimes. Dans pareil contexte, où les deux protagonistes expressément sollicités ne pouvaient se dérober à l’insistance d’un prétendu journaliste turcophone, il est donc parfaitement malhonnête de continuer à affirmer (à l’égal du magistrat fédéral) qu’Aşoğlu ou Kimyongür auraient décidé «de leur propre initiative» de «lire», traduire et distribuer le fameux communiqué à la presse. Précision importante, le nom du journaliste impétrant : Mehmet Özdemir…

Dernier cador de la journée du vendredi ? Kris Vinck. L’avocat de la partie turque. Pour trois-quarts d’heure à charge du DHKP-C et des prévenus. Deux effets de manche, parmi beaucoup d’autres : quand pour émouvoir le tribunal, Vinck a comparé le multimilliardaire Ö. Sabancı (dont la Justice soupçonne F. Erdal d’avoir participé à l’exécution) au vicomte Davignon ; ou quand il a révélé que le DHKP-C n’hésitait pas à s’en prendre à des juges abhorrés.

Jean Flinker

mercredi 7 novembre 2007

Un de nos militants condamné

Thierry Delforge est un militant aguerri. Il est de toutes les luttes et sur tous les fronts. Il n'y a pas une manifestation qu'il n'ait faite, un combat social qu'il n'ait soutenu. C'est aussi un militant de la première heure du Clea, toujours fidèle au rendez-vous. Cette fois-ci pourtant, dans sa très longue "carrière" de militantisme, c'est la première fois qu'il se voit condamner.
Aujourd'hui, le Clea dénonce cette condamnation et y voit une étape de plus franchie dans la criminalisation du mouvement social.

Un an de prison pour un graffiti :
c'est la lutte sociale qu'on condamne


Le 21 janvier 2006, après la condamnation de dockers pour avoir participé à la manifestation contre un projet « Bolkenstein » portuaire présenté au Parlement européen de Strasbourg, Thierry Delforge, militant syndical, est arrêté par la police alors qu’il écrit à la peinture, sur le mur d’un hideux dépôt appartenant à la Ville de Bruxelles, la phrase « Libérez les dockers ». La police trouve en outre dans le coffre de sa voiture deux sabres d’abattis dont il se sert pour débroussailler son jardin dans les Ardennes.
Il n’en faut pas plus pour le condamner pour « destruction partielle d’un édifice » et pour « transport d’armes prohibées ». La condamnation est prononcée le 28 mars 2007 en l’absence de l’accusé, la convocation ne lui étant pas parvenue. La peine est incroyablement lourde : un an de prison, dont six mois avec sursis.
Thierry Delforge a fait opposition à ce jugement, et l’affaire doit repasser le 21 novembre devant la 50e chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles. Mais, en attendant, il sera écroué à la prison de Forest dès ce vendredi 9 novembre.
Devant la démesure d’une telle peine pour un délit aussi mineur, il est difficile de ne pas conclure que c’est le militant syndical et associatif qui est condamné, et à travers lui tout le mouvement de contestation sociale.
Les dérives judiciaires de ce type se multiplient ces dernières années ; bientôt tout citoyen qui exprimera sa désapprobation par rapport à l’idéologie politique et économique dominante se verra condamner lourdement. Si la démocratie existe encore, il est grand temps de la sauver.

Le Clea

vendredi 2 novembre 2007

7% de croissance par an...

Une superbe image que l'on pouvait trouver récemment dans Tavır, la revue mensuelle que publie GrupYorum (voir leur site). Nul besoin de moult commentaires, elle s'en passe fort bien :


Sur le bus : "Un bel avenir vous attend"

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