mercredi 10 octobre 2007

Le Dersim et ses bourreaux

Récemment, des heurts entre militaires turcs et locaux ont endeuillé le Dersim. Les forces armées ont ouvert le feu sur deux apiculteurs, Bülent Karataş et Ali Rıza Çiçek, le 26 septembre dernier. Après les avoir blessés, ils les ont sequestrés et torturés dans leur caserne, pour ensuite les remettre mourants à un hopital et téléphoner à leurs familles afin qu'elles viennent chercher les “défunts”. Bülent Karataş a succombé à ses blessures et Ali Rıza Çiçek se trouve dans le coma. Quoi de plus légitime que de séquestrer et de torturer à mort deux blessés graves puisqu'il s'agissait de "suspects terroristes" ? C'était l'avis de ces gendarmes qui faisaient partie des Özel Tim ("Special Teams"), un nom qui évoque beaucoup de choses négatives aux populations civiles. Depuis quelques temps, celles-ci étaient en outre la cible de tirs aveugles de la part de l'armée. Le 28 septembre, 5000 Dersimli assistaient à l'enterrement de Bülent Karataş (infos détaillées sur liège.indymedia.org et bianet.org).


Dersim

Malheureusement, cet évènement ne constitue qu'un témoignage de plus du fascisme turc qui s'exerce dans la zone depuis 70 ans. S'il ne fallait qualifier qu'une seule partie de la Turquie de "région-matyre", il serait facile de porter assez facilement ses pensées sur le Dersim.

A vrai dire, les Zazas, habitants du Dersim, font partie des quelques rares avec qui l'on peut être totalement libre dans ses paroles à l'égard du guide immortel et héros incomparable (préambule de la Constitution turque actuelle), à savoir le père-dictateur Atatürk. Et pour cause, ils ont enduré la pire répression de son règne lors de la révolte de 1937.

Aujourd'hui, aussi bizarre que cela puisse paraître, il n'est pas possible de trouver le nom de la région sur une carte officielle ou un panneau routier. Massacrer les populations n'a pas suffi, il aura fallu aussi gommer systématiquement le nom du chef-lieu et le remplacer par un terme exemplatif et avertisseur - en turc - à tous ceux qui auraient la même idée de se rebeller ; tunç-eli... ("la main de bronze").

Qu'avaient donc fait de si grave ces malheureux Zazas alévis pour mériter les foudres sanglantes de Mustafa Kemal Atatürk ? Quel obscurantisme représentaient-ils ? Quels barbares à civiliser étaient-ils ?

D'obscurantisme, absolument aucun. La religion alévie contrairement aux grandes religions monothéistes, Islam sunnite et Christianisme romain en tête, n'impose aucun dogme, aucun "pilier", aucun credo. Une des raisons étant que le divin n'est pas conçu de manière transcendante mais de manière immanente comme dans le sikhisme ou dans la pensée spinoziste. Aussi, leur culte s'apparente davantage à un mysticisme. Le cliché bien ancré en Occident d'un Atatürk triomphateur de la bigoterie patente du peuple peut donc voler en éclat au moins dans ce cas.

Quant à la barbarie dont l'occupant turc les taxe, c'est de lui qu'elle viendra à la manière dont les colonialistes se sont montrés infiniment plus "sauvages" que ceux à qui ils collaient l'étiquette.
Pour les mêmes raisons bizarrement parce que, comprenez-vous, l'occidentalisation est la seule voie possible. Paradoxalement, la première culture que le kémaliste dédaigne est la culture turque mais ensuite il méprise bien davantage les autres cultures anatoliennes alors qu'il pose sur un piédestal le français ou l'anglais. On se sent seigneur quand on parle français dans une ville comme İstanbul mais on s'y sent chien quand on ne parle que le zazaki ou le kurde.

En réalité, leur crime impardonnable a été de ne pas vouloir se soumettre à l'autorité centrale kémaliste désireuse de les assimiler et de les turquiser de force. Et ils le payeront cher au point où les séquelles ne sont pas encore effacés près de 70 ans après.

Le zazaki est comme le français une langue indo-européenne. Elle est assez proche du kurde et des langues persanes. Elle véhicule une culture très riche notamment dans le domaine de la poésie, des chants et des contes.

Aujourd'hui, nombre de descendants des Zazas forment une grande partie des rangs de la gauche non-nationaliste, coincés qu'ils sont entre la peste brune turque et un nationalisme kurde pas toujours compatissant (être victime n'est pas forcément un enseignement). Ils sont tous Alévis, particulièrement tolérants et ouverts. D'ailleurs, "zaza", rien que ce terme, ça les rend sympathiques ;-)

On sait que l'on a apposé le nom du vieux dictateur au principal aéroport d'İstanbul comme à tout d'ailleurs : aux ponts, aux stades, aux rues, aux universités,... Ce que l'on sait moins, c'est que le second aéroport de la ville, Sabiha Gökçen, porte le nom de sa fille adoptive célébrée comme la première femme pilote de guerre... - quelle gloire... - et surtout qu'elle a participé activement aux bombardements sur le Dersim de 1937.

Aujourd'hui en Turquie, les bourreaux sanguinaires des uns sont les héros nationaux et auréolés des autres.

À visiter : un blog sur le Dersim en français et réalisé par un authentique Zaza alévi.

1/2KL

0 commentaires: