vendredi 12 octobre 2007

Députée et "terroriste"

La Turquie, quelque part, c'est une sorte d'immense laboratoire où l'on peut observer le développement avancé d'une "loi de lutte contre le terrorisme". Et pour cause, elle y existe depuis plus de 15 ans (1991). Là-bas, on a pas attendu l'émotion de crash planifiés contre deux buildings pour la faire passer. Quand l'Establishment militaire et militariste possède déjà l'essentiel des prérogatives, ce genre de chose n'est en effet pas nécessaire.

La loi a été modifiée en 2004 mais on a veillé à conserver son essence intacte et l'isolement carcéral prolongé est bien entendu maintenu, voire il était quasi inexistant au départ et il est pour l'heure systématique et systématisé. On peut même dire que la loi a été peaufinée. Près de 2000 prisonniers politiques croupissent toujours dans les prisons turques. Et ce n'est pas l'Europe qui ira faire la leçon à la Turquie sur ce coup-là, au contraire, elle lui emboîte le pas...

Que peut-on faire avec une loi pareille une fois débarrassé de l'un ou l'autre scrupule droit-de-l'hommiste ? Mettre des députés gênants en prison, pardi !

C'est ce que la courageuse Sebahat Tuncel risque d'endurer dans les prochaines semaines. Les rumeurs se sont donc confirmées. Son avocat a plaidé l'immunité parlementaire mais le tribunal en a cure et s'est déclaré compétent pour la juger, ce qui n'est pas bon signe (Info-Türk.be et Bianet.org). Le procureur la poursuit pour "appartenance à une organisation terroriste", un grand classique.

La très chère Sebahat Tuncel est déjà passée par la case prison mais elle avait été libérée grâce à son immunité parlementaire fraîchement acquise après son élection en juillet. De plus, elle est l'une des rares personnalités politiques à avoir osé manifester le 1er mai dernier à Taksim, une manifestation interdite (le 1er mai est aussi un jour non chômé en Turquie !) et très sévèrement réprimée par une quantité hallucinante de gaz lacrymogène. Elle n'a pas non plus serré la main de l'un des fascistes du MHP lors de la prestation de serment, et n'a donc pas reçu les applauses de la presse à grand tirage nationaliste. Bref, elle emmerde les gens. Et quand on ne courbe pas l'échine, les vieux réflexes fascisants ne sont jamais loin...

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois. Tout le monde se souvient en effet de l'épisode Leyla Zana (prix Sakharov en 1995 pour cette raison) et des autres députés kurdes emprisonnés en 1993.

Pourtant, cette fois-ci, les députés DTP n'ont pas négligé les efforts du politiquement correct et de l'auto-censure pour paraître les parfaits petits députés turcs d'origine kurde (que-c'est-de-la-“sphère-privée” -donc-il-ne-faut-pas-le-dire) bien intégrés au jeu politique harmonieux de leur patrie adorée. Concrètement, ça donne : pas un mot en kurde symbolique contrairement à leurs prédécesseurs, pas de signes ostentatoires de kurdité et même une poignée de main avec quelques MHP'li de l'extrême-droite (pas tous, ouf !).

Bref, tout ça pour rien. Recalés à l'examen d'intégration, ils ne seront probablement plus que 19 d'ici peu.

Malgré tout, le gouvernement AKP salué partout comme la splendide machine à réformes qui met la Turquie lentement mais sûrement sur la voie de l'Union européenne et des normes élémentaires de la démocratie (on y croit à mort) pourra encore certainement compter sur le futur constat du rapport de suivi de la Commission européenne du style que c'est la première fois que des députés kurdes forment un groupe à l'assemblée et que cela constitue une preuve objective de progrès certain. L'épisode Tuncel devrait passer à la trappe et figurer avec un peu de chance dans le rapport suivant... soit dans un an, si c'est encore d'actualité et si ça fait du bruit...
C'est pas gagné.

1/2KL

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