dimanche 28 octobre 2007

Coup de projo sur YeniHaber

Les émeutes dans les quartiers habités par les communautés originaires de Turquie semblent avoir jeté la stupeur. Jean Demannez tombe des nues, il ne comprend pas pourquoi cette violence soudaine [Télé Bruxelles]. Toutefois, lui et d'autres, ont caressé dans le sens du poil cette fibre nationaliste. Ils ne méconnaissaient pas l'existence de toute une série d'institutions, de magazines servant de relais à l'État turc vis-à-vis de sa communauté expatriée et ont su les utiliser à l'approche des élections communales.

YeniHaber, par exemple, se défend d’attiser la haine ou d’inciter à la violence. Pourtant, son site web appelle chaque membre de la communauté turque à se reconnaître comme “un soldat”.


Naturellement, pareille phrase (ci-dessus) ne signifie pas quelque chose du style « nous souhaitons tous nous appeler Mehmet » et encore moins « comme Mehmet Köksal » dans le cas plus particulier de Yusuf Cinal, propriétaire de YeniHaber, qui exècre le journaliste indépendant.

Chaque Turc sait en fait que Mehmet réfère au nom générique des soldats, particulièrement ceux que l’État turc charge de sa politique d’occupation au Kurdistan. Ceci est similaire à l’appellation Bidasse, un prénom français à la base, servant à désigner n’importe quel troupier sans grade. On dit aussi Mehmetçik qui est la forme diminutive du prénom pour jouer sur la valeur affective.

Cette phrase réfère donc au dicton qui dit que tout Turc naît soldat (her Türk asker doğar) et est donc indéniablement marqué par le militarisme et le nationalisme.

En cliquant sur l’image, on trouve toutes les informations sur la campagne orchestrée par l’entraîneur de l’équipe de football turque visant à lever des fonds “pour les familles des soldats”, enfin, plus précisément pour l’état-major turc qui les reversera selon son bon plaisir. Une pratique que les autres fondations de vétérans indépendantes de l’armée critiquent fortement (voir l’article du Monde).

Plus généralement, YeniHaber reprend la dialectique habituelle que l’on a entendue mille fois dans la bouche des partisans d’un État kémaliste, centraliste, unitariste et monolithique. On a pas le droit de dire "Kurdistan", dire "Kurde" est même du racisme puisqu'on les divise de leur vraie nation dans laquelle ils doivent être amalgamés, le Turc qui critique la Turquie est un traître à la patrie (vatan haini), le non-Turc qui critique la Turquie est un ennemi de la Turquie (Türk düşmanı) ainsi que d'autres arguments suivant la même logique "imparable". En cela, il ne se distingue pas de plusieurs autres magazines locaux, en ligne ou pas, de la communauté turque comme Anadolu, Binfikir ou BelTürk qui prennent tous très à cœur leur mission d’indiquer l’opinion juste chez leurs compatriotes.

Cet encadrement idéologique est unique. On ne trouve absolument rien de similaire dans les autres communautés installées en Belgique ou en tous cas pas dans ces proportions-là, et de très loin.

Encore plus intéressant, l’ambassadeur turc, à qui il a été reproché plusieurs fois de sortir de sa réserve diplomatique pour souffler sur le feu du nationalisme au sein de la communauté turque (question orale du 23 octobre dernier par le sénateur Josy Dubié), que pense-t-il au juste d’un journal comme YeniHaber ?

Peu avare de mettre en avant la complicité qui le lie au diplomate, Yusuf Cinal fournit lui-même une réponse dans sa gazette en mai dernier :

Monsieur Cinal,

J'ai lu avec plaisir le dernier numéro de la revue YeniHaber.
Je crois que vous rendez un grand service dans le soin apporté à ce que la vie sociale, économique ou encore culturelle des membres de notre communauté vivant en Belgique puisse trouver une voix en son sein. Comme je le dis toujours, j'accueillerai avec estime et je soutiendrai toute sorte d'effort dépensé pour notre unité, pour que nous soyons ensemble. Dans ce contexte, je félicite YeniHaber et je souhaite la suite de son succès.

Fuat Tanlay
Ambassadeur de la République de Turquie à Bruxelles

Cette volonté d’unité est une énième référence au jacobinisme kémaliste turc, à son intolérance par rapport aux autres communautés anatoliennes (kurdes, arabes, assyriennes, arméniennes…) pourtant elles aussi présentes en Belgique, à la volonté affichée de leur dénier toute reconnaissance officielle voire à en combattre l’expression culturelle. Et ce n'est pas faire de l'extrapolation abusive que de dire cela, surtout si on ne méconnaît pas le passif de l'homme.

Le même Fuat Tanlay est en effet coutumier d'un interventionnisme chauvin particulièrement actif dans la sphère politique belge. On se souvient de ses lettres de protestation contre la parution de l'opinion de Bahar Kimyongür dans De Standaard en avril, de ses plaintes le même mois à des organes de presse car ceux-ci avaient directement évoqué des crimes nationalistes turcs contre l'institut kurde et contre des membres de la communauté kurde ainsi que de ses insultes directement dirigées contre Jean Demannez lui-même dans cette affaire et publiées par... Yusuf Cinal (voir la photocopie en ligne de la page de Hürriyet sur le blog "humeur allochtone").

1/2KL

0 commentaires: