dimanche 14 octobre 2007

Anticonstitutionnellement

Vous connaissez le modèle de la démocratie participative ? Vous savez, quand on rassemble “les partenaires sociaux” autour d’une table, que tout le monde s’engueule et qu’à la fin on repart content avec sous le bras un projet qui tient compte des sensibilités de chacun, au moins en théorie. En Turquie, vous pouvez oublier tout de suite, ça n’existe pas, ça n’adhère pas à l’ensemble des réels, c’est hors du champ des possibles.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de mouvements sociaux, de syndicalisme, de contestation ou de conscience politique dans la société civile. De ce point de vue, la Turquie a plutôt des leçons à donner. Simplement voilà, vous pouvez protester, revendiquer, réclamer, le gouvernement s’en fout. Même si vous êtes des centaines de milliers, même si vous le faites depuis des années, vous n’existez pas : it ürür, kervan yürür. Au mieux on vous ignorera, au pire… je ne vous fais pas un dessin.

Avec le projet de constitution “civile“, toutefois, il est vaguement question de laisser la société broder son propre texte pour faire bonne mine. En apparence au moins. Sous le regard bienveillant du maître d’école, alias le gouvernement, “les ONG“ ont pris leurs gouaches et se sont mis à faire des “constitutions civiles”. Officiellement, pour inspirer les pros de la question, à savoir l’équipe de Ergun Özbudun, constitutionnaliste chargé d'en pondre une nouvelle.

En réalité, dans le conseil qui s'en occupe, n'y figurent pas tous les syndicats importants tels que le KESK (secteur public) ou le DİSK, les associations des droits de l'homme habituelles İHD, TİHV ou Mazlum Der - étrange pour une constitution civile - et moult corporations de métier pourtant très politisées usuellement. Seules de puissantes organisations patronales et trois autres syndicats de travailleurs, sans doute choisis pour leur malléabilité, participent au processus de création de la nouvelle Constitution qui représente l'accord de toutes les sections sociales de Turquie (TDN).

Parallèlement, l'association Genç Siviller (“Jeunes Citoyens”) qui représente une certaine classe progressiste-bobo éduquée, riche et citadine a proposé ses propres modifications de la Constitution turque actuelle. Les progrès qu’ils réclament sont tout relatifs et n'introduisent aucune modification profonde. Ils comptent plutôt sur un parti comme le très nationaliste CHP pour les porter à bout de bras.

HÖC (toujours eux), plate-forme de la gauche non-nationaliste, s’est aussi prêté au jeu. Évidemment, dans ce cas-là, ça devait se terminer avec des méchants coups de latte sur les doigts.

D’après HalkınSesi.tv (qui fait partie de la plate-forme), la police est descendue dans les districts de Hatay, Adana, Bursa, Ankara, Mersin, İskenderun, Elaziğ, Dersim et Karadeniz aux sièges d'associations membres afin de… confisquer “le texte subversif”. Il y a eu également plusieurs gardes à vue.

Bref, HÖC vient de se faire envoyer méchamment au coin pour ne pas avoir respecté les consignes tacites : 1° l’État est déjà une démocratie 2° les Kurdes n’existent pas, le concept de minorités n’existe pas 3° il n’y a pas de criminels de guerre en Turquie. Ceci infirme le discours d'Abdullah Gül devant le Conseil de l'Europe sur le travail concerté entre société civile et gouvernement à propos de la Constitution.

Le Projet de Constitution Populaire (Halk Anayasası Taslağı) mis en avant par HÖC se base sur un travail qui date de 1997 et qui a été réalisé suite au scandale de Susurluk. Ce scandale avait alors révélé au grand jour les collusions entre les politiciens, les mafieux et les forces de l’ordre. Ce document n’a jamais été interdit à la publication en Turquie jusqu’à récemment, précisément au moment où le gouvernement turc "demande" la participation de la société civile pour l'aider à rédiger... cherchez l'erreur.

HÖC avait profité de l’engouement constitutionnel pour brandir à nouveau sa Constitution populaire en lui apportant quelques retouches et en fournir une quatrième édition.

Aux fondements de ce texte, pêle-mêle, voici ce que l’on ne trouvera jamais dans la prochaine Constitution turque :

- la reconnaissance explicite du problème et de l’identité kurde (IV).

- la garantie des droits sociaux et culturels pour toutes les minorités d’Anatolie (IV, 22).

- la torture, les crimes racistes définis comme des crimes contre l’humanité (V, 26 & 31).

- les droits de grève et syndicaux garantis (V, 34).

- la santé et l’éducation assimilées à des droits fondamentaux (V, 35 & 36).

- la nationalisation des ressources et des grands chantiers (VI, 45 & 46).

- la justice vis-à-vis des criminels de guerre et des bourreaux (XII, 1).

- l’abrogation de la loi anti-terroriste (XII, 4).

- la lutte contre les mafias et le trafic de drogue (XII, 17).

- bien d’autres choses...

1/2KL

0 commentaires: