mardi 30 octobre 2007

Le nouveau procès «DHKP-C» devant la Cour d'Appel d'Anvers

Lors de la dernière audience préliminaire, les juges ont refusé de se prononcer immédiatement sur plusieurs entorses au Droit soulevées par les avocats de la défense.

Le 19 avril dernier, la Cour de Cassation prononçait un Arrêt que l’on peut qualifier – à raison – d’«exceptionnel» dans les annales judiciaires de ce pays. Coup sur coup était en effet annulé le jugement rendu en première instance contre sept membres présumés de l'organisation révolutionnaire DHKP-C, et fustigée l’attitude servile des juges de la Cour d’Appel. En cause ? La nomination, entachée de suspicion, du juge Freddy Troch à la tête du tribunal correctionnel du premier degré – une manœuvre organisée par le Procureur fédéral Delmulle et que les juges d’Appel avaient, «à tort», accepté d’avaliser. De ce fait, la Cour de Cassation exigeait que toutes les incriminations soient rejugées devant une autre Cour d’Appel.

C’est ainsi que les 27 et 28 septembre s’étaient tenues, à Anvers cette fois, une audience préliminaire (avant le début des débats officiels, le 8 novembre prochain). Au cours de cette session préalable, les avocats de la défense avaient contesté (comme à Bruges puis à Gand) une série d’incidents et d’abus de pouvoir qui avaient déjà dévoyé les deux verdicts antérieurs : des manœuvres qui, au final, avaient contribué à restreindre (voire à anéantir) une série de droits auxquels les prévenus auraient dû normalement prétendre. Ces éléments préjudiciels se sont notamment cristallisés à travers...

• une instruction judiciaire manipulée, afin qu’elle reste un manifeste uniquement «à charge» des prévenus ;

• un procès correctionnalisé d’office, dont les juges n’ont jamais voulu convenir du caractère indéniablement politique (alors que les délits de nature politique relèvent de la Cour d’Assises) ;

• la désignation de l’État turc au titre de partie civile au procès, alors que cette qualification était et reste parfaitement illégitime.

Sur ces trois points, ainsi que sur la conclusion à tirer du verdict de Cassation lui-même (un verdict radical, laissant supposer que le procès se devait d’être recommencé depuis le tout début, et non «sauter» la première instance), les décisions que devaient prendre les trois juges de la Cour d’Appel d’Anvers – le vendredi 26 octobre – étaient donc extrêmement importantes. Car c’est l’allure générale imprimée à ce nouveau procès qui s’en trouverait ainsi dévoilée. De même que l’appréciation, portée par les trois juges anversois, sur les actes reprochés à des inculpés qui ne sont ni des malfaiteurs, ni des criminels, ni des terroristes.


Les quatre questions préjudicielles


Au lieu de renvoyer l’affaire devant une autre Cour d’Appel, la conclusion logique de l’Arrêt édicté par la Cour de Cassation devait – selon la défense – être tout autre : rejuger les prévenus en recommençant leur procès depuis le début, c’est-à-dire d’abord en première instance.

Dans les attendus de l'Arrêt rendu par la Cour de Cassation le 19 avril 2007, on pouvait lire en effet :

En vertu de l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial (…). L’article 14.1 de la Convention Internationale sur les Droits Civils et Politiques stipule que – pour établir le bien-fondé d’une accusation pénale dirigée contre elle ou pour établir ses droits et obligations dans une procédure – toute personne a droit à ce que sa cause soit traitée équitablement et impartialement par une instance judiciaire compétente, indépendante et impartiale instituée par la loi. Les deux articles précités exigent non seulement que l’instance judiciaire soit indépendante et impartiale, mais également qu’il n’existe aucune apparence de dépendance ou de partialité (…).

Rappelons succinctement le contexte.
Pour être sûr que le tribunal de première instance aboutisse à l’affirmation d’une vérité judiciaire implacable, une partie de la haute magistrature flamande (à l’instigation du Procureur fédéral Delmulle) s’était faite complice d’un véritable coup de force : transformer la quatorzième Chambre du Tribunal correctionnel de Bruges en hall d’entrée de la justice d’exception. C’est ce qu’accomplira, par son ordonnance datée du 4 novembre 2005, le premier Président de la Cour d’Appel de Gand (Jean-Paul De Graeve) en désignant Freddy Troch, juge à Termonde, pour présider «le temps du procès» l’affaire Erdal, y faire primer la tournure dévolue et lui imprimer la tension voulue. Certes, il était de la prérogative du Premier Président de la Cour d’Appel de Gand de désigner un juge à détacher à Bruges pour renforcer les diverses chambres du Tribunal correctionnel en cas de «manque d’effectifs». Termonde faisant partie du ressort «couvert» par Gand, il était sans doute normal qu’on s’adresse aussi à Troch. Pour autant, dans l’avis de transfert (tel que formulé par le premier Président), le Parquet avait indiqué par avance dans quelle Chambre du tribunal de Bruges Troch devait être spécialement affecté et pour quelle affaire. C’est contraire à la loi et à son Article 98. Seul le Président du tribunal de Bruges dispose de ce pouvoir. Il lui revenait donc de désigner, lui-même, la Chambre où aurait dû être affecté Freddy Troch. En l’occurrence, la quatorzième ne pâtissait pas de l’absence de son Président titulaire (madame D’Hooghe) mais de l’un de ses deux juges assesseurs... Conséquemment, une fois Troch installé, tout pourra copieusement se dérouler – même si, en la circonstance, c’est la Justice qui se sera fait pieusement rouler. Cela va sans dire : en degré d’Appel, le 12 septembre à Gand, le juge Logghe – sollicité par la défense unanime – n’osera pas remettre en question la composition indue du tribunal de Bruges – car un aveu de nullité aurait accablé le comportement coupable de son propre supérieur hiérarchique, J.P. De Graeve...

Que disait justement l’Arrêt de Cassation à propos du transfert et de l’affectation du juge Troch ?

Que la délégation d’un juge d’un tribunal dans un autre tribunal concerne par définition un juge particulier, que l’ordonnance en la matière s’effectue sur les réquisitions du procureur général ou sur avis de celui-ci..., ces circonstances ne peuvent susciter une suspicion de partialité dans le chef d’un juge délégué. Il revient au premier président de veiller à ce que la délégation du juge ne vise pas d’autre objectif que celui des nécessités du service. Jusqu’à preuve du contraire, le premier président doit être présumé n’avoir visé en la matière que le bon fonctionnement du service et tous les juges sont également présumés juger de manière impartiale.
En revanche, la désignation d’un juge en application de l’article 98 du Code judiciaire ne peut pas servir de moyen pour influencer la composition du tribunal en vue de l’instruction d’une affaire particulière. Et les circonstances, dans lesquelles les délégations s’opèrent, ne peuvent pas davantage être de nature à susciter auprès des parties et de tiers une apparence de partialité ou de dépendance.
Afin de justifier sa demande d’avis pour la délégation d’un juge d’un autre tribunal de son ressort, le premier président de la Cour d’appel de Gand (Jean-Paul De Graeve, NDLR) déclare dans son courrier du 31 octobre 2006 au procureur général de Gand: «Le procureur fédéral (Johan Delmulle, NDLR) a laissé entendre qu’il s’agit d’un procès très "chargé" et que Madame D’Hooghe se sent mieux soutenue par un juge pénal masculin expérimenté».
Cette justification peut susciter l’impression, dans le chef des justiciables, que la composition du tribunal qui devait instruire l’affaire a été influencée. La désignation du juge Troch qui a suivi, même si chaque juge est présumé être indépendant et impartial, peut dès lors susciter une apparence de partialité et de dépendance. Le fait que le procureur général (Frank Schins, NDLR) a donné un avis négatif le 2 novembre 2005 sur la désignation du juge d’un autre tribunal (...) peut encore renforcer cette impression (...).

Or, de cette série de constats particulièrement sévères, la Cour de Cassation tirait la seule conséquence logique : annuler l’ensemble des jugements rendus par le tribunal correctionnel de Bruges (parce que sa composition pouvait «susciter une apparence de partialité») :

Par ces motifs, la Cour (...) casse les jugements du tribunal correctionnel de Bruges des 6 décembre 2005, 24 janvier 2006 et 28 février 2006; ainsi que les décisions du 28 février 2006 de la Chambre correctionnelle de Bruges ordonnant l’arrestation immédiate des demandeurs.

Dans ses attendus, la Cour de Cassation précisait toutefois :

Il résulte de ce qui précède que les juges de la Cour d’Appel de Gand ont jugé à tort que la composition du tribunal (de Bruges, NDLR) était régulière. C’est dès lors à tort qu’ils n’ont pas expressément infirmé le jugement de première instance. Ceci peut susciter dans le chef des accusés une apparence de partialité et de dépendance des juges d’Appel eux-mêmes.

Selon la défense, dans ces conditions (jugement de Bruges cassé et verdict de Gand fracassé), il était donc fondé, juste et non-discriminatoire de recommander la seule issue garante des droits des inculpés: recommencer leur procès depuis le début – en permettant aux prévenus de concrétiser ce qui est légalement reconnu à tout accusé (pouvoir bénéficier d’un procès avec une instance du premier degré et une instance d’Appel).
Vendredi 26 octobre, dans son Arrêt intermédiaire, la Cour d’Appel d’Anvers a refusé de se prononcer sur cette résolution. Argument essentiel : lorsque, dans une affaire, les deux jugements ont été cassés (comme c’est le cas ici), il est d’habitude de la renvoyer devant le degré de l’instance contestée – qui, la dernière, a rendu jugement. Est-ce que cette règle, renvoyant automatiquement vers le degré d’Appel, est discriminatoire ? Selon son Président Stephaan Libert, ce n’est pas à la Cour d’Appel d’Anvers de le dire. A la limite, au terme de ce nouveau procès, les avocats devraient à nouveau se pourvoir pour exiger de la Cour de Cassation qu’elle dénoue cette contradiction et ce vide constitutionnel (quitte à en saisir la Cour d’Arbitrage [désormais dénommée «Cour constitutionnelle» NDLR]) au profit des inculpés.


Dès 1999, l’instruction judiciaire a été manipulée par la gendarmerie et le Parquet fédéral. Dans le dossier monté contre 11 membres présumés du DHKP-C n’ont été respectées ni la loi ni la jurisprudence. Celles-ci recommandent pourtant que l’ensemble des faits allégués soient l’objet d’une instruction à charge mais aussi «à décharge»… Ce qui n’a pas été le cas. Elle doit donc être reprise, en brisant son caractère unilatéral.

Rappel du contexte.
Suite à l’arrestation de «Neşe Yıldırım», Musa Aşoğlu et Kaya Saz le 26 septembre 1999, l’instruction conduite par le juge Buysse portait sur des faits circonscrits et limités territorialement : à travers l’association de malfaiteurs étaient visés «la possession d’armes; le vol, le recel de matériel électronique et de documents d’identité; les faux et l’usage de faux», toutes choses retrouvées à Knokke. C’est tout. Mais, lorsque «Neşe Yıldırım» sera identifiée sous son vrai nom, l’affaire va prendre – de fait – un tour ouvertement politique : selon la Turquie, Fehriye Erdal avait prêté son concours à l’assassinat d’Özdemir Sabancı – un mandat d’arrêt international étant lancé contre elle pour «tentative de renverser l’ordre constitutionnel». Néanmoins, le juge chargé de l’enquête ne changera pas la géographie des préventions initiales : les incriminations pénales ne concerneront pas d’actes éventuellement commis en Turquie.
Progressivement cependant, l’instruction judiciaire va totalement échapper au juge brugeois : non seulement elle sera réorientée par la gendarmerie et le Parquet fédéral (d’abord sous la pression de Michèle Coninsx puis de son successeur : Johan Delmulle), mais d’autres personnes – soupçonnées d’avoir également des liens avec le DHKP-C, tel B. Kimyongür – vont également faire l’objet de poursuites dans le même dossier. Cette mise sous tutelle va aussi se concrétiser lors de la clôture de l’instruction, alors que tous les devoirs d’enquête ont été accomplis par le juge Buysse. Juste avant d’être transmis à la Chambre du Conseil, le dossier est alors remis aux parties et au Ministère public, ce dernier ayant le droit d’y ajouter ses propres réquisitions – ce que ne manquera pas de faire J. Delmulle. Le magistrat fédéral va, en effet, requalifier la prévention concernant l’accusation d’association de malfaiteurs, en la complétant par huit mots: «(...) en vue de commettre des attentats en Turquie». Cette reformulation de dernière minute (qui va servir de brèche à l’État turc pour se constituer partie civile) a une conséquence immédiate : elle induit une malversation dans la procédure, manifestement attentatoire à la régularité du procès. Comme l’instruction n’a pas inclus d’investigations en Turquie (qui auraient pu utilement démontrer l’emprise militaire qui a écrasé ce pays depuis 1981), elle est partiale parce que partielle.

Pour la défense, il s’agit là clairement d’une nouvelle atteinte aux droits des prévenus – l’instruction devant être reprise et complétée par des devoirs d’enquête supplémentaires qui en briseraient le caractère foncièrement unilatéral.
Vendredi 26 octobre, dans son Arrêt intermédiaire, la Cour d’Appel d’Anvers a refusé de se prononcer sur cette requête, renvoyant l’examen des arguments évoqués pour la justifier lors des débats sur le fond.


On peut la prendre par n’importe quel bout : toute cette affaire est politique. En s’appuyant sur une jurisprudence ridée et anachronique, les juges ont préféré en faire une histoire de délinquance crapuleuse et de criminalité abjecte. En y ajoutant l’accusation infamante de terrorisme.

On le sait : chaque fois interpellés, les juges ont décrété que les faits reprochés aux prévenus ne pouvaient faire l’objet d’un procès politique relevant de la Cour d’Assises.
Mais qu’est-ce qu’un délit politique ? Que ce soit en première ou en seconde instance, les juges ont fait chorus en se référant à des jurisprudences anachroniques datant de… 1900, 1913 ou 1923 (alors que ces 20 dernières années, les lois pénales essentielles ont toutes été «modernisées» et profondément remaniées).
Ainsi dans le verdict posé par la Cour d’Appel, les juges justifient le bien-fondé de cet «a-politisme» en notifiant : «Le fait [pour le DHKP-C, NDLR] de commettre des attentats sur des personnes (principalement des officiers de police, des juges, des industriels (...)) et des bâtiments (bureaux de police, tribunaux, centres commerciaux, etc…) n’est pas en soi de nature à atteindre l’action et l’organisation des institutions politiques législatives ou de menacer l’organisation de l’Etat» (page 35)... Par contre, page 127, le jugement affirmera juste l’opposé : «Il est on ne peut plus clair que la commission systématique et successive d’attentats à l’encontre d’hommes politiques turcs, de personnalités militaires, de magistrats et d’hommes d’affaires, et contre des bâtiments publics, a eu de graves conséquences pour l’organisation et l’administration du pays (...). L’exercice de la lutte armée est de nature à porter gravement atteinte et à désorganiser la structure constitutionnelle fondamentale du pays». Ce qui renvoie à la notion de crime politique, tel que le définit la jurisprudence – fût-elle la plus restrictive.
La défense avait également invoqué un «état de nécessité», arguant que les accusés et leur mouvement politique en Turquie menaient une lutte violente en réaction à une violence d’État : celle d’un régime dominé par l’armée. Depuis la Seconde Guerre mondiale en effet, la Turquie a subi trois coups d’État militaires (le dernier a instauré une dictature épouvantable qui, dans les années 80, a entraîné l’arrestation de 650.000 personnes). En réalité, derrière un façadisme démocratique, les militaires tiennent encore et toujours les rênes du pouvoir. La Turquie détient le record des violations de la Convention européenne des droits de l’Homme (75% des plaintes que doit juger la Cour de Justice de Strasbourg concernent la Turquie) et compte encore des milliers de détenus politiques dans ses prisons. Les juges de Gand n’ont pas voulu en convenir : «Que certaines autorités turques utiliseraient manifestement des moyens illégaux pour se venger (…) ne sont pas non plus à relever pour le jugement des faits qui sont actuellement à charge des accusés» (page 44).
Or, le refus de reconnaître cet état de nécessité, et les justifications qui en sont données, est sans doute l’élément le plus révoltant figurant dans l’arrêt de la Cour d’Appel (page 127) : «Le coup d’État fasciste (…), la répression de l’État turc constituent une réaction à la démonstration de force du parti ouvrier au sens large». Ainsi, selon la Cour (qui ne fait pas de politique), la répression fasciste serait une réaction (légitime en elle-même) à la lutte du mouvement ouvrier. Et puisque tous les désordres devraient être imputés au mouvement ouvrier (en quelque sorte, coupable de vouloir faire triompher ses droits), l’évocation d’un prétendu «état de nécessité» en devient inconvenant, incongru. Historiquement, il faut cependant constater que c’est avec les mêmes arguments qu’ont été justifiés et honorés tous les putsch fascistes – de Mussolini à Pinochet. Dans la même logique scandaleuse, la Cour avait également rejeté toutes les requêtes formulées par la défense pour prendre en considération la situation en Turquie durant la période 1997-2004 (période des faits incriminés) : «Il n’est pas utile d’aller plus loin dans les éventuels méfaits accomplis par les pouvoirs turcs, ni dans les violations des droits de l’Homme en Turquie» (page 42).
D’un côté, on a donc fait totale abstraction du contexte politique réel en Turquie. Mais de l’autre, la Cour s’est néanmoins permis de juger les actions revendiquées par une organisation politique agissant dans un pays situé à plus de 3.000 kilomètres de la Belgique.

Pour la défense, les choses sont donc des plus claires : les délits, si délits il y a, sont de nature politique. Ils doivent être renvoyés devant la Cour d’Assises, constituée de juges et d’un jury populaire.
Vendredi 26 octobre, dans son Arrêt intermédiaire, la Cour d’Appel d’Anvers a refusé de se prononcer immédiatement sur cette conviction, renvoyant l’examen des arguments évoqués pour la justifier lors des débats sur le fond.


Une nouvelle fois, l’État turc entend participer au procès alors qu’il n’en a pas la compétence.

Le jugement de première instance, tel qu’énoncé par la 14ème Chambre correctionnelle de Bruges, avait finalement dû en convenir.
«L’Article 3 du Code d’Instruction criminelle détermine que la réclamation judiciaire civile revient à ceux qui ont subi des dommages. Pour que la constitution comme partie civile soit recevable, la partie doit non seulement décrire son exigence de réparation des dommages, mais aussi relever qu’elle a été personnellement dommagée (Cassation, 4 avril 1987). Il doit, de ce fait, avoir été subi un dommage personnel par le délit. La réclamation d’une personne naturelle ou d’une personne de droit ne peut être acceptée si la partie civile n’a pas un intérêt personnel et direct. Ici, la partie civile [l’État turc, NDLR] ne prouve pas quel dommage direct matériel et/ou moral elle a subi à la suite de faits qui sont mis à charge des inculpés. Ceci est jugé par le tribunal d’une manière inattaquable (Cassation, 16 décembre 1992) (...). Le fait que l’État turc a probablement un intérêt dans la punition des inculpés ne suffit pas non plus à la recevabilité de son action civile (...) [d’autant] que l’intérêt dans la punition se mêle à l’intérêt de la communauté – l’État belge – qui a confié exclusivement l’exécution de l’action judiciaire au ministère public (Cassation, 24 janvier 1996). Attendu les principes précédents, la constitution de l’État turc comme partie civile à la suite de ces méfaits doit être considérée comme non recevable»...
Or, en degré d’Appel, le Président Logghe et ses deux assesseurs (dûment chapitrés par J. Delmulle) avaient récusé ce jugement indéniablement fondé – autorisant la partie turque à siéger, plaider et à se voir symboliquement dédommagée. Se faisant, ils avaient autorisé l’avocat d’Ankara à se comporter, au sein du tribunal, comme un second Procureur. Ce qui ne peut être.

Pour la défense, les arguments «évidents» déjà énoncés par le tribunal de Bruges (dans son jugement du 28 février 2006) sont implacables : la partie turque ne peut se constituer partie civile.
Vendredi 26 octobre, dans son Arrêt intermédiaire, la Cour d’Appel d’Anvers a non seulement refusé de se prononcer sur cette impossibilité mais a décidé d’y surseoir – autorisant d’ores et déjà l’avocat Vincke (porte-serviette de l’État turc, NDLR) de participer aux débats sur le fond et d’y plaider la cause d’Ankara. C’est seulement dans son jugement final que la Cour d’Appel fera savoir si la partie turque en avait bien la compétence...

Jean Flinker

lundi 29 octobre 2007

La Che Guevara Kurde

Bêrîtan, alias Gülnaz Karataş (de son nom turc imposé par l'État), est devenue une véritable légende chez les Kurdes.
Originaire du Dersim, comme beaucoup d'autres militants, elle se politise sur le campus de l'université, à İstanbul. La terrible répression culmine alors contre les Kurdes. À la fin des années 80, elle rejoint la guérilla du PKK n'ayant pas encore atteint l'âge de 20 ans. En 1992, son groupe se retrouve encerclé par le PDK, allié momentané de l'État turc. Blessée et à cours de munitions, plutôt que de tomber entre les mains des hommes de Barzanî, elle préfère se jetter dans le vide du haut des rochers devenant ainsi une sorte d'icône de la résistance.
On oublie souvent que les effroyables mangeurs d'enfants du PKK qui terrorisent tant l'État-major turc ne constituent en fait qu'une poignée de rebelles réfugiés dans les montagnes dont plus de la moitié d'entre eux sont des jeunes femmes qui n'ont pas 25 ans.

Plus que jamais, la Turquie use de l'argument d'autorité : le PKK est une organisation terroriste parce qu' inscrite sur une liste qu'elle a elle-même aidé à rédiger ; les fameuses blacklists de l'UE et du département d'État états-unien. Usant ainsi de la stratégie du miroir, la cause des ignominies qui surviennent au Kurdistan est focalisée sur ce seul groupe de rebelles. Remettre en question l'état des choses n'est pas sans risque. Que l'on pense à Orhan Pamuk pour ne citer que lui.

La diplomatie mussolinienne que la Turquie promène en ce moment semble bien décidée à replonger la région dans le sang et la douleur comme elle l'a toujours fait. On est à des années lumières d'une résolution à l'irlandaise ou de négociations à la basque.

Pour en revenir à Bêrîtan, tout récemment, le groupe kurde Sipan Xelat lui a consacré une chanson dont voici le clip musical :




On y aperçoit des coupures de la presse européenne de l'époque qui rappelle la légende qu'elle est devenue et les petites filles appelées Bêrîtan en nombre par la suite.

Vu que presque la moitié de la chanson est composée du prénom, qu'il n'y a que des phrases nominales quasi et que c'est bientôt la Saint-Nicolas, j'ai décidé de fournir une traduction. De toutes façons, elle est à prendre comme toujours avec des pincettes mais ici bien plus que d'habitude. Je ne prétends pas avoir de connaissances en kurmancî (!) mais bon, c'est une langue cousine, "tu" = "tu", c'est déjà ça... Méthode Coué en somme...

Bêrîtan

Tu di roja rojhilat î Bêrîtan Bêrîtan
Tu aşîtî û xebat î Bêrîtan Bêrîtan

Tu cengawera welat î Bêrîtan Bêrîtan…

Tu di roja rojava yî Bêrîtan Bêrîtan
Silav ji bona gela yî Bêrîtan Bêrîtan

Tu cengawera Kurda yî Bêrîtan Bêrîtan…

Tu sor gula Kurdistanê Bêrîtan Bêrîtan
Rêberê keçê cîhanê Bêrîtan Bêrîtan

Te gel rakir serhildanê Bêrîtan Bêrîtan…



Bêrîtan

Tu es dans le soleil de l’Est, Bêrîtan, Bêrîtan
Tu es la paix et la lutte, Bêrîtan, Bêrîtan

Tu es l’héroïne du pays, Bêrîtan, Bêrîtan,…

Tu es dans le soleil d’Orient, Bêrîtan, Bêrîtan
Tu es le salut pour le peuple, Bêrîtan, Bêrîtan

Tu es l’héroïne des Kurdes, Bêrîtan, Bêrîtan…

Toi, rose rouge du Kurdistan, Bêrîtan, Bêrîtan
Guide des filles du monde, Bêrîtan, Bêrîtan

Ton peuple a soulevé la révolte, Bêrîtan, Bêrîtan...

Sipan Xelat - Bêrîtan
Album : Siya Min
[traduction indicative]


1/2KL

dimanche 28 octobre 2007

Coup de projo sur YeniHaber

Les émeutes dans les quartiers habités par les communautés originaires de Turquie semblent avoir jeté la stupeur. Jean Demannez tombe des nues, il ne comprend pas pourquoi cette violence soudaine [Télé Bruxelles]. Toutefois, lui et d'autres, ont caressé dans le sens du poil cette fibre nationaliste. Ils ne méconnaissaient pas l'existence de toute une série d'institutions, de magazines servant de relais à l'État turc vis-à-vis de sa communauté expatriée et ont su les utiliser à l'approche des élections communales.

YeniHaber, par exemple, se défend d’attiser la haine ou d’inciter à la violence. Pourtant, son site web appelle chaque membre de la communauté turque à se reconnaître comme “un soldat”.


Naturellement, pareille phrase (ci-dessus) ne signifie pas quelque chose du style « nous souhaitons tous nous appeler Mehmet » et encore moins « comme Mehmet Köksal » dans le cas plus particulier de Yusuf Cinal, propriétaire de YeniHaber, qui exècre le journaliste indépendant.

Chaque Turc sait en fait que Mehmet réfère au nom générique des soldats, particulièrement ceux que l’État turc charge de sa politique d’occupation au Kurdistan. Ceci est similaire à l’appellation Bidasse, un prénom français à la base, servant à désigner n’importe quel troupier sans grade. On dit aussi Mehmetçik qui est la forme diminutive du prénom pour jouer sur la valeur affective.

Cette phrase réfère donc au dicton qui dit que tout Turc naît soldat (her Türk asker doğar) et est donc indéniablement marqué par le militarisme et le nationalisme.

En cliquant sur l’image, on trouve toutes les informations sur la campagne orchestrée par l’entraîneur de l’équipe de football turque visant à lever des fonds “pour les familles des soldats”, enfin, plus précisément pour l’état-major turc qui les reversera selon son bon plaisir. Une pratique que les autres fondations de vétérans indépendantes de l’armée critiquent fortement (voir l’article du Monde).

Plus généralement, YeniHaber reprend la dialectique habituelle que l’on a entendue mille fois dans la bouche des partisans d’un État kémaliste, centraliste, unitariste et monolithique. On a pas le droit de dire "Kurdistan", dire "Kurde" est même du racisme puisqu'on les divise de leur vraie nation dans laquelle ils doivent être amalgamés, le Turc qui critique la Turquie est un traître à la patrie (vatan haini), le non-Turc qui critique la Turquie est un ennemi de la Turquie (Türk düşmanı) ainsi que d'autres arguments suivant la même logique "imparable". En cela, il ne se distingue pas de plusieurs autres magazines locaux, en ligne ou pas, de la communauté turque comme Anadolu, Binfikir ou BelTürk qui prennent tous très à cœur leur mission d’indiquer l’opinion juste chez leurs compatriotes.

Cet encadrement idéologique est unique. On ne trouve absolument rien de similaire dans les autres communautés installées en Belgique ou en tous cas pas dans ces proportions-là, et de très loin.

Encore plus intéressant, l’ambassadeur turc, à qui il a été reproché plusieurs fois de sortir de sa réserve diplomatique pour souffler sur le feu du nationalisme au sein de la communauté turque (question orale du 23 octobre dernier par le sénateur Josy Dubié), que pense-t-il au juste d’un journal comme YeniHaber ?

Peu avare de mettre en avant la complicité qui le lie au diplomate, Yusuf Cinal fournit lui-même une réponse dans sa gazette en mai dernier :

Monsieur Cinal,

J'ai lu avec plaisir le dernier numéro de la revue YeniHaber.
Je crois que vous rendez un grand service dans le soin apporté à ce que la vie sociale, économique ou encore culturelle des membres de notre communauté vivant en Belgique puisse trouver une voix en son sein. Comme je le dis toujours, j'accueillerai avec estime et je soutiendrai toute sorte d'effort dépensé pour notre unité, pour que nous soyons ensemble. Dans ce contexte, je félicite YeniHaber et je souhaite la suite de son succès.

Fuat Tanlay
Ambassadeur de la République de Turquie à Bruxelles

Cette volonté d’unité est une énième référence au jacobinisme kémaliste turc, à son intolérance par rapport aux autres communautés anatoliennes (kurdes, arabes, assyriennes, arméniennes…) pourtant elles aussi présentes en Belgique, à la volonté affichée de leur dénier toute reconnaissance officielle voire à en combattre l’expression culturelle. Et ce n'est pas faire de l'extrapolation abusive que de dire cela, surtout si on ne méconnaît pas le passif de l'homme.

Le même Fuat Tanlay est en effet coutumier d'un interventionnisme chauvin particulièrement actif dans la sphère politique belge. On se souvient de ses lettres de protestation contre la parution de l'opinion de Bahar Kimyongür dans De Standaard en avril, de ses plaintes le même mois à des organes de presse car ceux-ci avaient directement évoqué des crimes nationalistes turcs contre l'institut kurde et contre des membres de la communauté kurde ainsi que de ses insultes directement dirigées contre Jean Demannez lui-même dans cette affaire et publiées par... Yusuf Cinal (voir la photocopie en ligne de la page de Hürriyet sur le blog "humeur allochtone").

1/2KL

vendredi 26 octobre 2007

Procès d'Anvers : c'est mal (re)parti

La Cour d'appel d'Anvers vient de se déclarer compétente dans le cadre du "procès du DHKC" ce vendredi matin.

Cette information met déjà en soi un point final à deux des demandes de la défense : à savoir, la reconnaissance d'un procès établi pour délit politique, ce qui aurait nécessité un jury populaire selon l'ordre constitutionnel belge c-à-d une cour d'assises, et la possibilité d'avoir droit à deux degrés de juridiction puisque la Cour de cassation avait cassé précédemment le procès en appel de Gand mais aussi le procès en première instance de Bruges en renvoyant tout de suite l'affaire devant une autre cour d'appel.

Dans les faits, les requêtes de la défense ont toutes été déboutées une par une. S'il n'y avait ainsi quasi aucune illusion à se faire concernant la qualification de ce qui est reproché comme relevant d'un "délit politique" étant donné la tendance à ne plus en reconnaître de pareils en Belgique depuis un bon siècle, les éléments constituants le caractère exceptionnel du procès, eux, demeurent inchangés. L'État turc se voit ainsi confirmer la possibilité d'être présent comme partie civile et d'intervenir en conséquence pour appuyer le dossier à charge du procureur fédéral qui, lui-même, ne devra pas établir d'enquêtes complémentaires, pouvant ainsi déployer à satiété sa diatribe paranoïaque que l'on connaît désormais par coeur.

En dehors du juge précédent, la situation peut se résumer comme suit : "on prend les mêmes et on recommence". La première véritable inconnue est donc levée ; un second procès d'exception est sur le point de recommencer. [cf : La Libre Belgique ; De Morgen]

1/2KL

Pas que des fascistes chez les Turcs

Noyés dans la cacophonie des hurlements de haine fasciste en provenance des quartiers bruxellois à forte présence turque, quelques slogans tels que "à mort le fascisme en Turquie" - en français dans le texte s'il vous plaît - ont pu toutefois se faire une place devant le consulat turc ce jeudi 25 octobre.


A l'heure où l'on tabasse du journaliste, surtout quand ils racontent des choses qui font mal aux complexes, cette autre Turquie même marginalisée ou symbolique fait du bien. Pour ces communistes turcs, il s'agissait justement de rappeler l'incarcération et les poursuites subies par des journalistes progressistes de plusieurs réseaux de médias indépendants dans un pays que la plupart d'entre eux ont fui.

Un muselage et une censure dénoncés depuis un an maintenant par la campagne "we want freedom". Et effectivement ; même si aucun écho significatif ne s'est fait ressentir dans la grande presse européenne, il n'empêche que le gouvernement actuel ne marque pas la rupture en ce qui concerne la traque et la pénalisation des médias alternatifs, des syndicalistes, des intellectuels, des militants voire même des politiques.

Parmi les médias touchés, sont concernés : le journal Atılım et Radyo Özgür. Avec la fameuse loi antiterroriste déployée pour l'occasion, la somme des peines risquées par les intéressés dépasserait les 3000 ans d'emprisonnement !


Une délégation du Clea (bon, d'accord, assez restreinte) y était pour y apporter sa solidarité.

1/2KL

mercredi 24 octobre 2007

Les S.A. de Samsun ou la bande à Serdar

Le 20 octobre 2007, six membres de manifestants du Front pour les droits et les libertés (HÖC) à Samsun déploient un calicot dénonçant la police stambouliote pour avoir tiré dans le dos de Ferhat Gerçek, un distributeur de la revue socialiste « Yürüyüş » à peine âgé de 16 ans. Cette action de protestation des plus anodines est retransmise en direct (!) par le Canal S, la chaîne de télé locale.

Trois brutes des « Sturmabteilung » (SA) locaux passant par là « par hasard », agressent les six manifestants avec des coups de poing américains. Parmi les agresseurs, on reconnaît un certain Mahmut, le directeur publicitaire de la chaîne de télé Canal S.

Dans cette agression, les six manifestants dont une femme sont blessés et hospitalisés. L’un des manifestants, Yusuf Dilber a la pommette gauche fracturée en trois endroits.

Les victimes reconnaissent une autre figure « familière » parmi les fascistes, un certain Serdar qui travaille à la bibliothèque centrale de l’université du 19 mai (OMÜ) de Samsun. Dans ce même campus, il avait auparavant poignardé quatre membres des Maisons du peuple (Halkevi). L’un des agressés est même entré dans le coma.

Le 23 octobre à 17h, le représentant du Front pour les droits et les libertés (HÖC) Hasan Togan et un membre de l’association pour les droits et les libertés fondamentaux dénommé Fatih Yavuz sont agressés par une bande de « Loups Gris » alors qu’ils étaient paisiblement assis à la terrasse d’un café. Attaqués à coups de chaises, Hasan Togan et Fatih Yavuz sont blessés à la tête et aux épaules. Parmi les agresseurs, qui reconnaît-on ? Le même Serdar qui a auparavant poignardé quatre étudiants et achevé six manifestants à coups de poing américain. Entre-temps, que fait la police ? Elle mène des descentes dans toutes les associations pour les droits et les libertés (Temel Haklar ve Özgürlükler Dernekleri) du pays pour saisir les copies des « projets de Constitution populaire ». Serdar et ses sbires peuvent ainsi continuer en toute impunité à casser du gauchiste avec la bénédiction de la police.

Toujours à Samsun, un assistant démocrate de la faculté de médecine de l’université OMÜ (où précisément travaille Serdar le fasciste) a découvert ce matin un tract sur son bureau portant l’emblème des Loups Gris. Voici ce qui y est écrit :

« Nous ne serons pas de ceux qui fuient,
Nous ne serons pas de ceux qui trahissent
Nous ne serons pas de ceux qui détruisent
Nous ne serons pas de ceux qui capitulent
(jeu de mot avec le mot « serpent »)
Nous ne cèderons pas
Nous ne nous abattrons pas
Nous avons réussi et nous réussirons
S’il le faut, nous rendrons l’âme
S’il le faut, nous ôterons des âmes
(une façon de dire « nous tuerons »)



Encouragée par les déclarations belliqueuses du gouvernement AKP à l’encontre de la rébellion kurde et par la terreur policière, l’extrême droite turque s’est jurée d’en « finir » avec les « derniers nids du communisme » dans la Mer Noire. Actuellement, cette terreur fasciste gagne tout le pays et tous les milieux d’opposition, principalement kurdes et turcs.

Contrairement à ce que prétendent l’état-major de l’armée turque et les médias et comme le montrent les agressions survenues ces derniers jours à Samsun et entre autres, l’assassinat du journaliste arménien Hrant Dink en janvier dernier (par un tueur originaire de la Mer Noire ), cette terreur fasciste n’est pas le produit d’un mouvement spontané de la population mais bien d’une stratégie minutieusement préparée dans les coulisses du pouvoir.

lundi 22 octobre 2007

Le fascisme turc sous son vrai jour

En quelques jours, la guérilla kurde vient d'éliminer une vingtaine de soldats turcs au Kurdistan à la frontière irakienne. Une occasion en or saisie par les nationalistes turcs pour révéler leur vrai visage durant ce week-end.

Tout d'abord en Turquie où certains sièges du Parti du Rassemblement Démocratique pro-kurde viennent d'être incendiés pour la seconde fois en l'espace d'une semaine. Parfois, des assauts ont eu lieu à l'arme à feu à l'encontre des bâtiments du parti.
Mais les boucs émissaires dépassent en réalité ce qui ressemble, même de loin, au seul mouvement pro-kurde. Les brigades nationalistes se sont donné permission de frapper bien plus largement. Ainsi, les locaux de la Temel Haklar Federasyonu (Fédération des Droits Fondamentaux) issue de la gauche non-nationaliste ont été à leur tour saccagés. Ces mises à sacs et parfois lynchages ont eu lieu dans les villes de Bursa, d'Elaziğ, d'Erzurum, de Malatya et de Samsun. Idem avec le Parti Communiste de Turquie qui a été pris pour cible sur la place de Taksim et dans le quartier de Tuzla à İstanbul. De plus, on a appris qu'un jeune de gauche, Erkan Bayar, a été tué dans le quartier de Gazi par des bandes d'extrêmes-droite. Ces violences ont été rapportées par l'agence de presse HalkınSesi.tv et le quotidien Radikal (qui a fait un résumé).

En Belgique aussi, les Loups Gris sont sortis de leur tanière. Ils ont détruit un négoce arménien et se sont ensuite dirigés vers l'ambassade états-unienne pour y déverser leur frustration. Le journaliste Mehmet Köksal connu pour sa verve pinçante a du faire les frais d'une agression physique, les nationalistes ne lui pardonnant pas son esprit "trop critique" à leurs égards.

Plus que la pseudo-spontanéité de ces démonstrations à laquelle personne ne croit vraiment, c'est le laxisme des autorités et leur complicité passive qui étonnent. Comme par exemple cette facilité avec laquelle une manifestation essentiellement violente a pu s'approcher d'un périmètre qui fait l'objet de mesures de sécurité exceptionnelles d'habitude à Bruxelles.

Les Loups Gris, les Ülkücü et les autres factions d'extrême-droite ainsi que leurs partis respectifs sont considérés non-terroristes par la Turquie, les États-unis et l'Union européenne.

Culture du lynchage

Le lynchage des militants de gauche, des militants pro-kurdes, des objecteurs de conscience, des homosexuels, des Alévis, bref de tous ceux qui refusent de se mettre au garde-à-vous devant le drapeau turc est loin d'être un phénomène isolé en Turquie. Au point que les sociologues turcs ont adopté un terme pour le désigner : la culture du lynchage.

Le scénario est toujours le même. Chaque fois qu'un évènement susceptible d'heurter la passion nationaliste turque se produit, la presse à grand tirage et les chaînes de télévision nationalistes s'en emparent. L'institution militaire, "la Grande Bavarde", deuxième tête pensante de l'État, qui ne se prive pas de commenter régulièrement la scène politique, ou les associations kémalistes telles que l'Association de la Pensée d'Atatürk peuvent alors compter sur ces medias pour relayer leurs messages. Ce savant mélange de désinformation et d'attisement de sentiments naïfs donnera inévitablement lieu à des débordements, surtout de la part des mouvances d'extrême-droite. Ces débordements peuvent ensuite être utilisés comme preuves du bien-fondé des revendications avancées.




La première video au-dessus reprend la partie consacrée aux lynchages de l'émission Un Oeil sur la Planète de France 2 (voir le topic concerné). La seconde video (nécessite RealPlayer sinon cliquer ici) a été tournée par Indymedia İstanbul en mai 2006. Il s'agit d'un étudiant de gauche de l'Université Technique d'İstanbul que des nationalistes ont tiré hors d'un bus pour le lyncher. Le quotidien à grand tirage Radikal évoquera cette brutalité dans un article dont le titre réfère directement à cette fameuse "culture du lynchage". On y reconnaît facilement la victime de la video sur la photo illustrative.

Ces pratiques ne sont pas sans rappeler des moments terribles de l'histoire occidentale tels que les pogroms ou la Nuit de Cristal dirigés spécialement contre les Juifs par les brigades fascistes.

C'est aussi l'avis de la plate-forme des associations issues de l'exil politique en Belgique, le collectif 1971, qui a déjà mis en garde les autorités belges plus d'une fois des dérives qu'entraînent inévitablement la tolérance de l'extrême-droite.

Tolérance et complicité des politiques belges

En Belgique, les autorités tolèrent les bandes d'extrême-droite turques, ou pire, leur permettent de jouer un rôle dans la société civile qu'on ne donnerait jamais à un parti tel que le Vlaams Belang par exemple. Le fameux "cordon sanitaire" n'est tout simplement pas appliqué dès lors qu'il s'agit de candidats turcs se présentant aux élections.

On se souvient de Laurette Onkelinx qui avait bataillé avec une rare conviction pour maintenir Murat Denizli, Loup Gris avéré contrairement à ce qui en est dit, à la treizième place de sa liste à Schaerbeek lors des élections communales, au grand damne des militants socialistes d'ailleurs, sous prétexte que le nationalisme turc n'était qu'un "nationalisme romantique" [Le Soir] et qu'il fallait faire fi de ces questions de détails.

Jean Demannez, bourgmestre de Saint-Josse et également du Parti Socialiste, craignant un effritement de son électorat potentiel, a rejeté d'emblée la possibilité que l'incendie criminel qui a touché l'institut kurde en avril dernier soit d'origine politique [La Libre Belgique], comprendre qu'il soit imputable aux membres des associations d'extrême-droite qui ont pignon sur rue à Bruxelles. Ceci contre le bon sens commun : l'institut kurde a déjà été attaqué plusieurs fois et la presse turque nationaliste de Belgique a diffusé elle-même les photos des rassemblements Loups Gris devant l'institut...

La Türk Dernekleri Federasyonu dont on sait pertinemment qu'elle est un foyer de Loups Gris et d'extrêmistes turcs n'a jamais été perquisitionnée et continue à étendre son emprise sur les jeunes turcs des quartiers de Bruxelles.

Alors que l'on voit le procureur fédéral s'acharner à faire condamner des militants de la gauche non-nationaliste turque en s'appuyant sur des "caractères qui montrent que", des "crimes d'appartenance à", des "nécessités de mesures pro-actives", les enquêtes touchant aux faits criminels concrets et vérifiables des nationalistes turcs piétinent lamentablement comme l'a rappelé le sénateur Josy Dubié l'année passé au Sénat.

Le fossé entre le zèle du Parquet à poursuivre des militants, qui utilisent les libertés fondamentales dont ils ne pourraient jamais jouir pleinement dans leur pays, et le manque de motivation à poursuivre et à inculper les têtes de l'extrême-droite turque est criant.

Aujourd'hui, il y a suffisamment d'éléments pour en arriver à croire à une véritable complicité au sein même de l'institution.

1/2KL

jeudi 18 octobre 2007

Après l'écrit, l'oral...

Les choses continuent à bouger pour Avni Er et Zeynep Kılıç, les deux militants turcs incarcérés en Italie pour “appartenance à une organisation terroriste”. Cette fois-ci, ce sont deux sénateurs de Rifondazione Comunista qui ont déposé une interrogation à réponse orale (dont voici la traduction) à la fois au Premier ministre et au ministre de la Justice. Par ailleurs, l'exécutif de la GUE/NGL pourrait aussi prendre position au niveau européen.

Ces deux sénateurs sont Fosco Giannini et Haidi Giuliani, la mère de Carlo Giuliani, un étudiant qui a été tué lors des manifestations anti-G8 à Gênes en 2001. Leur intervention avait été déjà annoncée dans le quotidien de gauche Il manifesto par la journaliste Orsola Casagrande qui était revenu sur les grandes lignes de cette affaire (traduction).

On pourrait croire que les interventions de ces députés ravivent l'espoir d'un dénouement heureux parce qu'ils proviennent d'un parti présent dans l'Unione, une coalition de centre-gauche actuellement au pouvoir. Pourtant, rien n'est moins sûr.

Les communistes italiens, qui portent en avant la cause d'Avni et de Zeynep, ont été débouté de quasi tous leurs combats centraux de la part de leurs partenaires politiques : le départ des troupes italiennes d'Afghanistan, la non-extension d'une base états-unienne à Vicenza, la question sensible des pensions et bien d'autres dossiers. À tel point qu'aujourd'hui des voix s'élèvent pour demander le retrait de Rifondazione Comunista de la majorité malgré le risque inévitable de ramener l'équipe Berlusconi. En gros l'argument qui prédomine est celui-là : pourquoi craindre le retour de la droite si un gouvernement "de gauche" mène déjà une politique de droite ?

Dans des telles conditions, peut-on s'attendre à "un geste" de la part de Clemente Mastella, le ministre italien de la Justice qui, lui, appartient à un parti des plus centristes ? Encore une fois, l'évolution de la situation est des plus ouvertes. En revanche, les arguments présentés sont tous en béton armé.

Ainsi, parmi ceux avancés : le fait que même en Turquie, l'acquittement a été prononcé (et pour cause, les policiers turcs avaient construit de fausses preuves) et le fait aussi que les autres personnes concernées ailleurs en Europe par l'opération du 1er avril 2004 n'ont pas été poursuives même s'il s'agissait de "dirigeants" selon les enquêteurs italiens.

Il faut toutefois préciser qu'en Belgique, même si la fameuse opération du 1er avril n'a pas entraîné directement des poursuites - et en ce sens l'intervention parlementaire est tout à fait correcte - le procureur fédéral n'a pas hésité à se baser sur des éléments issus de ces perquisitions pour construire un nouveau dossier à charge. La photo prise au Liban avec Bahar Kimyongür et le RPG en étant le meilleur exemple. Pour rappel, le procès en cours à Anvers, une affaire désormais vieille de 8 ans, ne concernait à la base que quelques personnes pour des faits relevant du droit pénal "classique".

Les Italiens progressistes ont souvent tendance à considérer "les pays du nord" comme des pays de cocagne en ce qui concerne l'observation scrupuleuse des droits de l'homme... hummm, no comment...

Ceci dit, last but not least, les innombrables tortures avérées en Turquie, y compris sur les acquittés du procès qui s'y est déroulé, sont à nouveau sur la sellette. Les sénateurs demandent donc que les textes qui prévoient que l'on ne doit pas extrader quelqu'un lorsqu'il y a de fortes chances qu'il subisse de la torture et des mauvais traitements soient tout simplement appliqués.

La véritable question est donc de savoir ce que cela pèsera face aux juteux contrats commerciaux qui existent entre l'Italie et la Turquie...

1/2KL

mardi 16 octobre 2007

La chanson contestataire

La Turquie recèle des trésors musicaux insoupçonnés. Ces chansons prennent souvent leur force du fait qu'elles tirent leur inspiration de la réalité cruelle et qu'elles arrivent à la transformer en poésie. Je vais créer un libellé spécial sur ce blog pour faire découvrir quelques morceaux de musique turque.

La musique contestataire a donné naissance à un genre particulier en Turquie que l'on appelle protest müzik. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il ne s'agit pas que de “chants militants” ou de “marches” qui en figurent la part la plus restreinte.

Il y a plusieurs aspects qui font apparaître le caractère protestataire : ce sont des chansons en langue locale, c'est-à-dire y compris dans des langues combattues par l'État (kurde, arabe, laz,...), ce sont des chansons qui touchent à des problèmes contemporains et qui les évoquent directement (les prisons, la répression,...) et ce sont des chansons accompagnées par des instruments “traditionnels” et locaux qui passent pour être des instruments “archaïques” selon les discours développementalistes des élites kémalistes.

Dans ce cas-ci, je souhaitais simplement faire découvrir un chant a cappella dont j'ai du mal à traduire le titre. Je pense qu'il n'y en a pas vraiment, on pourrait le rendre par “chanson chantée en une fois”, “volta” semble être du jargon musical d'origine italienne*.
Il n'en demeure pas moins que c'est un air puissant et beau :




"Chanson chantée aux cent pas"

Mon amour libéra sa nostalgie en prison :
“Elle ne vient pas, les routes sont-elles enneigées ?”

La tristesse fit courber la tête de l’homme
“Je suis maintenant une longue plainte qui s’élève de prison”


GrupYorum - Voltada Söylenen Türkü
Albüm : Boran Fırtınası
[traduction indicative]

1/2KL

dimanche 14 octobre 2007

Anticonstitutionnellement

Vous connaissez le modèle de la démocratie participative ? Vous savez, quand on rassemble “les partenaires sociaux” autour d’une table, que tout le monde s’engueule et qu’à la fin on repart content avec sous le bras un projet qui tient compte des sensibilités de chacun, au moins en théorie. En Turquie, vous pouvez oublier tout de suite, ça n’existe pas, ça n’adhère pas à l’ensemble des réels, c’est hors du champ des possibles.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de mouvements sociaux, de syndicalisme, de contestation ou de conscience politique dans la société civile. De ce point de vue, la Turquie a plutôt des leçons à donner. Simplement voilà, vous pouvez protester, revendiquer, réclamer, le gouvernement s’en fout. Même si vous êtes des centaines de milliers, même si vous le faites depuis des années, vous n’existez pas : it ürür, kervan yürür. Au mieux on vous ignorera, au pire… je ne vous fais pas un dessin.

Avec le projet de constitution “civile“, toutefois, il est vaguement question de laisser la société broder son propre texte pour faire bonne mine. En apparence au moins. Sous le regard bienveillant du maître d’école, alias le gouvernement, “les ONG“ ont pris leurs gouaches et se sont mis à faire des “constitutions civiles”. Officiellement, pour inspirer les pros de la question, à savoir l’équipe de Ergun Özbudun, constitutionnaliste chargé d'en pondre une nouvelle.

En réalité, dans le conseil qui s'en occupe, n'y figurent pas tous les syndicats importants tels que le KESK (secteur public) ou le DİSK, les associations des droits de l'homme habituelles İHD, TİHV ou Mazlum Der - étrange pour une constitution civile - et moult corporations de métier pourtant très politisées usuellement. Seules de puissantes organisations patronales et trois autres syndicats de travailleurs, sans doute choisis pour leur malléabilité, participent au processus de création de la nouvelle Constitution qui représente l'accord de toutes les sections sociales de Turquie (TDN).

Parallèlement, l'association Genç Siviller (“Jeunes Citoyens”) qui représente une certaine classe progressiste-bobo éduquée, riche et citadine a proposé ses propres modifications de la Constitution turque actuelle. Les progrès qu’ils réclament sont tout relatifs et n'introduisent aucune modification profonde. Ils comptent plutôt sur un parti comme le très nationaliste CHP pour les porter à bout de bras.

HÖC (toujours eux), plate-forme de la gauche non-nationaliste, s’est aussi prêté au jeu. Évidemment, dans ce cas-là, ça devait se terminer avec des méchants coups de latte sur les doigts.

D’après HalkınSesi.tv (qui fait partie de la plate-forme), la police est descendue dans les districts de Hatay, Adana, Bursa, Ankara, Mersin, İskenderun, Elaziğ, Dersim et Karadeniz aux sièges d'associations membres afin de… confisquer “le texte subversif”. Il y a eu également plusieurs gardes à vue.

Bref, HÖC vient de se faire envoyer méchamment au coin pour ne pas avoir respecté les consignes tacites : 1° l’État est déjà une démocratie 2° les Kurdes n’existent pas, le concept de minorités n’existe pas 3° il n’y a pas de criminels de guerre en Turquie. Ceci infirme le discours d'Abdullah Gül devant le Conseil de l'Europe sur le travail concerté entre société civile et gouvernement à propos de la Constitution.

Le Projet de Constitution Populaire (Halk Anayasası Taslağı) mis en avant par HÖC se base sur un travail qui date de 1997 et qui a été réalisé suite au scandale de Susurluk. Ce scandale avait alors révélé au grand jour les collusions entre les politiciens, les mafieux et les forces de l’ordre. Ce document n’a jamais été interdit à la publication en Turquie jusqu’à récemment, précisément au moment où le gouvernement turc "demande" la participation de la société civile pour l'aider à rédiger... cherchez l'erreur.

HÖC avait profité de l’engouement constitutionnel pour brandir à nouveau sa Constitution populaire en lui apportant quelques retouches et en fournir une quatrième édition.

Aux fondements de ce texte, pêle-mêle, voici ce que l’on ne trouvera jamais dans la prochaine Constitution turque :

- la reconnaissance explicite du problème et de l’identité kurde (IV).

- la garantie des droits sociaux et culturels pour toutes les minorités d’Anatolie (IV, 22).

- la torture, les crimes racistes définis comme des crimes contre l’humanité (V, 26 & 31).

- les droits de grève et syndicaux garantis (V, 34).

- la santé et l’éducation assimilées à des droits fondamentaux (V, 35 & 36).

- la nationalisation des ressources et des grands chantiers (VI, 45 & 46).

- la justice vis-à-vis des criminels de guerre et des bourreaux (XII, 1).

- l’abrogation de la loi anti-terroriste (XII, 4).

- la lutte contre les mafias et le trafic de drogue (XII, 17).

- bien d’autres choses...

1/2KL

vendredi 12 octobre 2007

Députée et "terroriste"

La Turquie, quelque part, c'est une sorte d'immense laboratoire où l'on peut observer le développement avancé d'une "loi de lutte contre le terrorisme". Et pour cause, elle y existe depuis plus de 15 ans (1991). Là-bas, on a pas attendu l'émotion de crash planifiés contre deux buildings pour la faire passer. Quand l'Establishment militaire et militariste possède déjà l'essentiel des prérogatives, ce genre de chose n'est en effet pas nécessaire.

La loi a été modifiée en 2004 mais on a veillé à conserver son essence intacte et l'isolement carcéral prolongé est bien entendu maintenu, voire il était quasi inexistant au départ et il est pour l'heure systématique et systématisé. On peut même dire que la loi a été peaufinée. Près de 2000 prisonniers politiques croupissent toujours dans les prisons turques. Et ce n'est pas l'Europe qui ira faire la leçon à la Turquie sur ce coup-là, au contraire, elle lui emboîte le pas...

Que peut-on faire avec une loi pareille une fois débarrassé de l'un ou l'autre scrupule droit-de-l'hommiste ? Mettre des députés gênants en prison, pardi !

C'est ce que la courageuse Sebahat Tuncel risque d'endurer dans les prochaines semaines. Les rumeurs se sont donc confirmées. Son avocat a plaidé l'immunité parlementaire mais le tribunal en a cure et s'est déclaré compétent pour la juger, ce qui n'est pas bon signe (Info-Türk.be et Bianet.org). Le procureur la poursuit pour "appartenance à une organisation terroriste", un grand classique.

La très chère Sebahat Tuncel est déjà passée par la case prison mais elle avait été libérée grâce à son immunité parlementaire fraîchement acquise après son élection en juillet. De plus, elle est l'une des rares personnalités politiques à avoir osé manifester le 1er mai dernier à Taksim, une manifestation interdite (le 1er mai est aussi un jour non chômé en Turquie !) et très sévèrement réprimée par une quantité hallucinante de gaz lacrymogène. Elle n'a pas non plus serré la main de l'un des fascistes du MHP lors de la prestation de serment, et n'a donc pas reçu les applauses de la presse à grand tirage nationaliste. Bref, elle emmerde les gens. Et quand on ne courbe pas l'échine, les vieux réflexes fascisants ne sont jamais loin...

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois. Tout le monde se souvient en effet de l'épisode Leyla Zana (prix Sakharov en 1995 pour cette raison) et des autres députés kurdes emprisonnés en 1993.

Pourtant, cette fois-ci, les députés DTP n'ont pas négligé les efforts du politiquement correct et de l'auto-censure pour paraître les parfaits petits députés turcs d'origine kurde (que-c'est-de-la-“sphère-privée” -donc-il-ne-faut-pas-le-dire) bien intégrés au jeu politique harmonieux de leur patrie adorée. Concrètement, ça donne : pas un mot en kurde symbolique contrairement à leurs prédécesseurs, pas de signes ostentatoires de kurdité et même une poignée de main avec quelques MHP'li de l'extrême-droite (pas tous, ouf !).

Bref, tout ça pour rien. Recalés à l'examen d'intégration, ils ne seront probablement plus que 19 d'ici peu.

Malgré tout, le gouvernement AKP salué partout comme la splendide machine à réformes qui met la Turquie lentement mais sûrement sur la voie de l'Union européenne et des normes élémentaires de la démocratie (on y croit à mort) pourra encore certainement compter sur le futur constat du rapport de suivi de la Commission européenne du style que c'est la première fois que des députés kurdes forment un groupe à l'assemblée et que cela constitue une preuve objective de progrès certain. L'épisode Tuncel devrait passer à la trappe et figurer avec un peu de chance dans le rapport suivant... soit dans un an, si c'est encore d'actualité et si ça fait du bruit...
C'est pas gagné.

1/2KL

mercredi 10 octobre 2007

Interlude musical

Puisque l'on parle beaucoup du Dersim en ce moment, autant inscrire le Clea dans une certaine continuité de son service public d'information sur la Turquie en vous présentant cette chanson qui est un peu l'équivalent local de "Bella Ciao" chanté en choeur par le public lors des concerts même s'il existe bien d'autres chansons et aussi une version de "Bella Ciao" remaniée en turc. Mais ce sera pour une autre fois...




Le Soleil qui se lève à Dersim

Ce sont les montagnes du Dersim
Foyer des braves
La nuit a pris possession du jour
Et les troupes tombent dans l'embuscade
Le silence est déchiré
Par les tirs de la guérilla
Les lieux réticents de la montagne
Ont rejoint notre lutte
Le soleil qui se lève sur le Dersim
Abonde du côté de Canik
Abonde sur les monts Toros
Ils ne sont pas morts, eux, ils sont vivants
Une chanson dans les montagnes du Dersim
Et les Douze* combattent
Une chanson dans les montagnes du Dersim
Et la guérilla se bat

GrupYorum - Dersim'de Doğan Güneş
Albüm : İleri
[traduction indicative]

1/2KL

Le Dersim et ses bourreaux

Récemment, des heurts entre militaires turcs et locaux ont endeuillé le Dersim. Les forces armées ont ouvert le feu sur deux apiculteurs, Bülent Karataş et Ali Rıza Çiçek, le 26 septembre dernier. Après les avoir blessés, ils les ont sequestrés et torturés dans leur caserne, pour ensuite les remettre mourants à un hopital et téléphoner à leurs familles afin qu'elles viennent chercher les “défunts”. Bülent Karataş a succombé à ses blessures et Ali Rıza Çiçek se trouve dans le coma. Quoi de plus légitime que de séquestrer et de torturer à mort deux blessés graves puisqu'il s'agissait de "suspects terroristes" ? C'était l'avis de ces gendarmes qui faisaient partie des Özel Tim ("Special Teams"), un nom qui évoque beaucoup de choses négatives aux populations civiles. Depuis quelques temps, celles-ci étaient en outre la cible de tirs aveugles de la part de l'armée. Le 28 septembre, 5000 Dersimli assistaient à l'enterrement de Bülent Karataş (infos détaillées sur liège.indymedia.org et bianet.org).


Dersim

Malheureusement, cet évènement ne constitue qu'un témoignage de plus du fascisme turc qui s'exerce dans la zone depuis 70 ans. S'il ne fallait qualifier qu'une seule partie de la Turquie de "région-matyre", il serait facile de porter assez facilement ses pensées sur le Dersim.

A vrai dire, les Zazas, habitants du Dersim, font partie des quelques rares avec qui l'on peut être totalement libre dans ses paroles à l'égard du guide immortel et héros incomparable (préambule de la Constitution turque actuelle), à savoir le père-dictateur Atatürk. Et pour cause, ils ont enduré la pire répression de son règne lors de la révolte de 1937.

Aujourd'hui, aussi bizarre que cela puisse paraître, il n'est pas possible de trouver le nom de la région sur une carte officielle ou un panneau routier. Massacrer les populations n'a pas suffi, il aura fallu aussi gommer systématiquement le nom du chef-lieu et le remplacer par un terme exemplatif et avertisseur - en turc - à tous ceux qui auraient la même idée de se rebeller ; tunç-eli... ("la main de bronze").

Qu'avaient donc fait de si grave ces malheureux Zazas alévis pour mériter les foudres sanglantes de Mustafa Kemal Atatürk ? Quel obscurantisme représentaient-ils ? Quels barbares à civiliser étaient-ils ?

D'obscurantisme, absolument aucun. La religion alévie contrairement aux grandes religions monothéistes, Islam sunnite et Christianisme romain en tête, n'impose aucun dogme, aucun "pilier", aucun credo. Une des raisons étant que le divin n'est pas conçu de manière transcendante mais de manière immanente comme dans le sikhisme ou dans la pensée spinoziste. Aussi, leur culte s'apparente davantage à un mysticisme. Le cliché bien ancré en Occident d'un Atatürk triomphateur de la bigoterie patente du peuple peut donc voler en éclat au moins dans ce cas.

Quant à la barbarie dont l'occupant turc les taxe, c'est de lui qu'elle viendra à la manière dont les colonialistes se sont montrés infiniment plus "sauvages" que ceux à qui ils collaient l'étiquette.
Pour les mêmes raisons bizarrement parce que, comprenez-vous, l'occidentalisation est la seule voie possible. Paradoxalement, la première culture que le kémaliste dédaigne est la culture turque mais ensuite il méprise bien davantage les autres cultures anatoliennes alors qu'il pose sur un piédestal le français ou l'anglais. On se sent seigneur quand on parle français dans une ville comme İstanbul mais on s'y sent chien quand on ne parle que le zazaki ou le kurde.

En réalité, leur crime impardonnable a été de ne pas vouloir se soumettre à l'autorité centrale kémaliste désireuse de les assimiler et de les turquiser de force. Et ils le payeront cher au point où les séquelles ne sont pas encore effacés près de 70 ans après.

Le zazaki est comme le français une langue indo-européenne. Elle est assez proche du kurde et des langues persanes. Elle véhicule une culture très riche notamment dans le domaine de la poésie, des chants et des contes.

Aujourd'hui, nombre de descendants des Zazas forment une grande partie des rangs de la gauche non-nationaliste, coincés qu'ils sont entre la peste brune turque et un nationalisme kurde pas toujours compatissant (être victime n'est pas forcément un enseignement). Ils sont tous Alévis, particulièrement tolérants et ouverts. D'ailleurs, "zaza", rien que ce terme, ça les rend sympathiques ;-)

On sait que l'on a apposé le nom du vieux dictateur au principal aéroport d'İstanbul comme à tout d'ailleurs : aux ponts, aux stades, aux rues, aux universités,... Ce que l'on sait moins, c'est que le second aéroport de la ville, Sabiha Gökçen, porte le nom de sa fille adoptive célébrée comme la première femme pilote de guerre... - quelle gloire... - et surtout qu'elle a participé activement aux bombardements sur le Dersim de 1937.

Aujourd'hui en Turquie, les bourreaux sanguinaires des uns sont les héros nationaux et auréolés des autres.

À visiter : un blog sur le Dersim en français et réalisé par un authentique Zaza alévi.

1/2KL

mardi 9 octobre 2007

La police turque tire sur des distributeurs de journaux...

La Turquie vient encore de dévoiler timidement son visage de pays pluraliste et de prouver une fois de plus sa progression constante vers la démocratie comme chacun sait... enfin, il paraît...

Plus concrètement, ce dimanche à İstanbul dans le quartier de Yenibosna, la police turque a ouvert le feu sur des adolescents de HÖC qui distribuaient des revues du magazine Yürüyüş. Parmi eux, le jeune Ferhat (16 ans) qui se trouve en ce moment entre la vie et la mort après avoir reçu une balle dans le dos. Les membres de HÖC vendaient ces revues comme ils le font assez souvent ; parmi eux une quinzaine de personnes ont été placées en garde à vue. (HalkınSesi.tv)


La haine pour les médias critiques

HÖC (Haklar ve Özgürlükler Cephesi - Front des Droits et des Libertés) est une plate-forme de gauche (non-nationaliste) en Turquie qui rassemble plusieurs associations progressistes, des organes de presse et un groupe de musique. L'Association des Droits Fondamentaux, le journal en ligne HalkınSesi.tv, la revue Yürüyüş, l'agence de presse Özgürlük, l'association de solidarité des familles des prisonniers politiques TAYAD et le groupe de musique GrupYorum en sont tous membres et subissent régulièrement les intimidations de la police turque quand ce n'est pas pire.

Yürüyüş (La Marche) est quant à elle une revue distribuée légalement en Turquie mais dont le siège se trouve aux Pays-Bas, hors frontières pour éviter de tomber sous le coup de la censure comme cela était arrivé à d'autres médias progressistes il y a tout juste un an et dont les sièges étaient situés, eux, en Turquie (voir à ce sujet la campagne "We want freedom" en faveur des prisonniers du 10 septembre). Toutefois, Yürüyüş possède également un siège à İstanbul.

Distribuer, diffuser en Turquie à partir d'une maison d'édition ou d'une antenne installées à l'étranger, sont devenus des secondes natures pour bon nombre de médias anatoliens qui dérangent l'appareil d'État. C'est aussi le cas du quotidien Yeni Özgür Politika (pro-kurde) installé en Allemagne et de la chaîne Roj TV (également pro-kurde) dont l'administration est en Belgique mais qui émet depuis le Danemark. Ce pays subit d'ailleurs les pressions constantes de la Turquie notamment via la diplomatie états-unienne pour faire fermer la chaîne kurde... Fort heureusement, le Danemark n'a jamais cédé jusqu'à maintenant. Info-Türk (de gauche) est aussi abonné à cette mode du média en exil. Les exemples ne manquent bien sûr pas.

Outre les médias de gauche plus épars, certaines revues à grand tirage et à la critique acerbe ne sont pas épargnées non plus par la censure. Ainsi, le magazine Nokta (Le point) a du cesser toute activité après que son directeur, Alper Görmüş, a été traîné devant les tribunaux pour "diffamation" suite à des révélations retentissantes sur les généraux turcs. Pendant près de 6 mois, on pouvait lire sur leur page d'accueil "Avec l'espoir de vivre dans une Turquie plus démocratique". Le procès intenté contre le directeur de Nokta est toujours en cours.

Alors que beaucoup de journaux turcs à grand tirage sont en général abrutissants, que ces derniers consacrent surtout leur attention à mettre une bonne quantité de photos de dames dévêtues plutôt qu'à l'actualité elle-même - un coup d'oeil sur les pages d'accueil de Milliyet ou de Hürriyet à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit suffit à s'en convaincre... - et qu'ils sont largement acquis aux thèses nationalistes en vigueur, la presse critique, elle, fait face quotidiennement à la censure, à l'emprisonnement des journalistes, et aux intimidations qui sont autant de réalités banalisées en Turquie.

1/2KL

lundi 1 octobre 2007

Le procès fleuve poursuit son cours...

Pas grand chose de neuf durant les deux dernières séances du "procès du DHKC" qui se sont déroulées les 27 et 28 septembre derniers. Il s'est agi essentiellement d'essayer de fixer les "règles du jeu" sachant que celles-ci auront un impact décisif sur le déroulement et l'issue du procès.

À nouveau, les avocats de la défense, qui se sont montrés particulièrement combatifs, ont demandé le report aux assises pour une affaire où il est question de délit politique, or une telle décision n'est plus tombée en Belgique depuis près d'un siècle à cause de la restriction de la définition de pareil délit. La Constitution belge prévoit en effet que les procès de délits à caractère politique doivent se faire dans le cadre d'un jury populaire (article 150).

Même avec cette définition restreinte et s'en tenant au grief principal déployé par le ministère publique , i.e. "le DHKP/C est une organisation qui veut renverser l'État turc", il est en effet manifeste que l'on intente un procès purement politique aux membres présumés de l'organisation susdite.


Une autre des réclamations mises en avant par la défense : l'annulation de la mesure spéciale qui permet à l'État turc de se constituer partie civile (voir topic précédent), ce qui a d'ailleurs valu la moue boudeuse et mécontente de Kris Vincke...
Mais aussi l'impossibilité de faire appel de la décision de ce tribunal ; la décision par la Cour de cassation en avril dernier de casser complètement les deux précédents jugements et de porter le procès directement en appel est en effet unique dans l'histoire judiciaire belge. Une des possibles décisions prochaines du Tribunal d'appel pourrait donc être de se déclarer incompétent et de renvoyer l'affaire en correctionnel. On recommencerait alors vraiment tout depuis le début...
Enfin, les avocats de la défense demandent aussi des enquêtes complémentaires de la part de l'instruction. Ils reprochent notamment au procureur Johan Delmulle d'avoir essentiellement construit un dossier à charge et d'avoir négligé d'apporter des éléments à décharge comme il se doit. L'instruction en effet ne repose que sur des préjugés, des postulats, des lapalissades et autres choses qui n'ont pas besoin d'être démontrées. De la part de la défense, il s'agit donc de secouer ce château de cartes sécuritaire en partant de faits avérés et d'éléments concrets.

Un bon exemple de ce type de préjugés justement : l'affaire du bazooka qui consiste en une photo où l'on voit Bahar tenir un vieux RPG dans une maison près des villages de Sabra et Chatila et qui prouverait sa personnalité selon le ministère public. Un très bon communiqué destiné à la presse flamande a été réalisé à ce sujet en réaction au suivisme de la VRT et a été signé par une série de personnalités syndicales (ABVV) ou issues du milieu associatif (Greenpeace, ATTAC,...), par des professeurs d'université (VUB, KUL, UGent), par des artistes et bien sûr par le Clea.

Concernant la mise en scène autour du procès, pas de changement majeur : fouilles corporelles systématiques, les loukoums et autres friandises apportées sont assimilés à des "substances suspectes" et la dernière séance révèlait la quasi parité 1 policier / 1 personne dans le public.
Nihil novi sub sole.

Pour l'heure, une seule chose fait l'unanimité depuis la cassation : l'issue du procès est ouverte. Aucune estimation, aucune probabilité n'est faisable mais la décision de la cour le 26 octobre prochain sera très certainement un bon indicateur du nouveau ton emprunté.

1/2KL